mercredi 26 avril 2017

Road trip des vacances, première partie : la côte ouest et la Terre de Jade. Le Paparoa National Park, les glaciers, Wanaka, le Mount Aspiring National Park et le Kepler Track

Nous les avons attendu... Nous en avons rêver pendant des semaines, perchés sur nos échelles à nettoyer sans relâche des dizaines de pommiers... Elles paraissaient si loin, si inaccessibles... Pourtant, enfin, les voilà. Les vacances!

Comme je le disais dans l'article précédent, une fois le thinning terminé, Brian et Tracey nous ont d'ors et déjà proposé de continuer à travailler dans leur verger pour la cueillette des pommes, et avec l'expérience que nous avons accumulé dans le domaine en Australie, nous avons bien sur accepté cette opportunité d'engranger plus de réserves pécuniaires.

Le truc qui fait plaisir, c'est que la cueillette n'attaque que fin février! Nous nous sommes donc retrouvés avec trois bonne semaines de vacances pour effectuer une première virée autour de l'île sud. J'avais déjà évoqué le fait que cette île est considérée par beaucoup comme la plus belle des deux qui composent le pays, et que la Nouvelle Zélande est souvent qualifiée de plus beau pays du monde... Sachant cela, vous imaginez notre état à la perspective de pouvoir enfin découvrir de nos yeux l'un des plus beaux joyaux de la planète!

Sans vouloir gâcher la surprise, disons que nous en avons vu tellement en trois semaines qu'un seul article ne suffit pas à vous montrer à quel point la réputation de l'île sud néo-zélandaise est fondée. C'est donc un récit en trois parties que nous allons publier, dont voici la première, qui décrit notre descente vers le sud par la côte ouest.

Au programme, un début assez mitigé et pluvieux qui nous a montré le Paparoa National Park et les célèbres glaciers Fox et Franz Joseph. Et ensuite... Le point de rupture, le début d'un claquage rétinien permanent, avec la plongée dans la Terre de Jade, Te Wahipounamu, le sud-ouest néo-zélandais classé au patrimoine mondial. Après un petit tour des formidables alentours de la ville de Wanaka, nous nous sommes lancés dans une très intense, sauvage, extraordinaire et surréaliste session trekking qui nous a fait couvrir quelques 100 kilomètres en quatre jours, à travers le formidable et humide Mount Aspiring National Park et sur le fameux Kepler Track, dans le Fiordland National Park, l'une des 9 Great Walks, et dont nous sommes sortis avec des étoiles plein les yeux.

Bonne lecture!


Pluie, bonnes surprises et grosse déception


Le thinning est donc terminé. Nous sommes le 22 janvier, et trois semaines de vadrouilles loin de ces satanés pommiers nous tendent les bras avant de revenir pour la cueillette! Nous profitons des premiers jours de vacances pour élaborer un début d'itinéraire et de programme. Je vous détaillerai tout ça au fur et à mesure. Pour faire court, nous allons descendre jusqu'au sud de l'île en suivant la côte ouest, avant de remonter par la côte est. En chemin, nous prévoyons de nombreux arrêts que je détaillerais plus tard. Disons que si tout se passe bien, nous allons en prendre plein les yeux!


Et puis, parce qu'il faut commencer à y songer mais surtout histoire de nous faire rêver un peu, nous furetons sur nos sites habituels de réservation de billets d'avion pour jeter un oeil sur les vols vers l'Amérique du sud. Nous avons prévu un budget large, 1000 euros par personne, pour nous envoler de Nouvelle Zélande vers le Chili. Et c'est la surprise : nous trouvons de nombreux vols à moins de 600 euros! Nous vérifions plusieurs sites, plusieurs destinations, et nous confirmons la bonne nouvelle : si nous nous y prenons avec au moins 6 mois d'avance, et avec un peu de chance, nous pourrons diviser par deux la somme que nous pensions avoir à débourser pour rejoindre l'Amérique du sud!

Ca plus les vacances qui s'annoncent... La vie est belle!

Nous passons un jour ou deux à nettoyer la maison, rassembler et préparer nos affaires en vue de la vadrouille, bosser sur le blog, et surtout glandouiller en profitant d'un repos bien mérité! Un matin, nous passons voir Tracey pour lui rendre les clefs de notre maison, elle nous propose de revenir le 15 février, et nous souhaite de bonnes vacances. Nous la remercions et nous mettons en route. Ile sud, nous voilà!

Première étape : le village de Punakaiki, à 265 km de Nelson, pour passer voir les célèbres formations géologiques des Pancake Rocks et des blowholes, littéralement "trous soufflants", et le parc national de Paparoa. Nous n'avons pas encore de plan dans le parc. Probablement un jour ou deux de crapahute dans ses forêts natives. Nous quittons Nelson en direction de la côte ouest. Nous sommes bien, nous sommes heureux, le soleil bril... Ah non. Des trombes de pluie se mettent à tomber violemment tandis que arrivons à hauteur du Nelson Lake. C'est un véritable déluge, le ciel est noir, et notre ardeur redescent de plusieurs crans...

Sans trop y croire, nous repassons au lac Rotoroa, sous le brouillard la dernière fois, mais nous n'arriverons même pas au problème des nuages qui gâchent la vue : la route en terre qui mène aux rives du lac est complètement inondée. Qu'est ce qu'elle commence bien cette histoire!

Nous atteignons la ville de Westport dans l'après-midi et débouchons sur la route côtière en pleine tempête. Au vue des falaises qui se devinent à travers les rideaux de pluie et des masses sombres de forêt qui se dressent au-dessus de nous, on se dit qu'elle doit être sacrément belle cette route quand on y voit à plus de vingt mètres...

Nous atteignons les limites du parc de Paparoa en milieu d'après-midi, mais le temps est bien trop exécrable pour nous lancer dans des visites. Nous décidons de nous trouver un point de chute dans les parages et d'attendre que la météo s'améliore. Nous découvrons un camping en bord de mer à une vingtaine de kilomètres du parc, où nous posons le camp pour quelque 15$ par personne. A ce prix là, nous avons internet, l'eau chaude et la cuisine! Nous nous affalons sur les canapés des parties commune. Bon. Voilà voilà voilà. Qu'est ce que c'est que ce début de vacance pourri?!

Nous faisons la connaissance d'un autre Olivier, français résident en Australie et en vacances en Nouvelle Zélande avec ses parents. Nous ne traînons pas à aller nous coucher, un peu refroidis par ce départ sous la grisaille et la pluie...

Au matin, il pleut toujours de cordes, et il n'y a aucune amélioration de prévu pour la journée. Ca fait plaisir de voir que les choses s'arrangent! En vérité, elles s'arrangent effectivement : du soleil est prévu pour le lendemain, et nous décidons de passer la journée au camping pour profiter du parc sous le ciel bleu.

Comme il n'y a pas vraiment d'autres choses à faire, nous nous lançons dans une planification un peu plus conséquente des jours suivants.

Après les Pancake Rocks et le Paparoa, nous voulons continuer à descendre pour rejoindre la région de Te Wahipounamu, vaste étendue comprenant tout le sud-ouest de l'île et classée au patrimoine mondial (plus de details ci-dessous), et passer y voir les célèbres glaciers Fox et Franz Joseph, dans le Mount Cook/Aoraki National Park, avant de rejoindre la ville de Wanaka et le Mount Aspiring National Park tout proche. Nous comptons vadrouiller les alentours de la ville qu'on nous a souvent décris comme formidables, avant de partir marcher quelques jours dans le parc. Et nous ajouterions bien à ce joyeux programme une petite Great Walk!

Il y en a trois dans les étendues du sud-ouest : le célébrissime Milford Track, le Routeburn Track et le Kepler Track, au coeur du Fiordland National Park. Le choix est vite fait. Il est interdit de poser la tente sur le Milford, ce qui oblige à payer 4 ou 5 nuits à près de 60$ dans les refuges qui jalonnent l'itinéraire. Suivant. Rappelons qu'il n'est pas possible de poser la tente n'importe où sur les trecks classés Great Walks, il faut réserver ses emplacements de camping. Et ceux du Routeburn sont tous pleins pour les trois prochains mois... Et bien ce sera le Kepler Track!

Les glaciers. Wanaka. Mount Aspiring. Kepler Track. Alléchant! Et je te vois venir, jeune lecteur impatient : et le Mont Cook dans tout ça? Nous comptons effectivement passer le voir, mais il s'avère que les balades qui permettent d'approcher le plus haut sommet de Nouvelle Zélande se situent de l'autre cote des Alpes du Sud. Nous y passerons donc sur le chemin du retour, en remontant vers le nord.

Il y a tout de même deux trois choses que nous devons prendre en compte. 3 à 4 jours sont recommandés pour parcourir le Kepler Track, or il n'y a que deux emplacements de camping sur le tracé, le premier se trouvant à seulement quelques kilomètres du départ. Nous devrons boucler la balade en deux jours... Ce qui n'est pas forcément un problème.

Côté timing, nous sommes dépositaires de la météo. Le sud-ouest de l'île sud est réputé pour son climat sans cesse changeant et aléatoire, pourtant nous tombons sur des prévisions étonnamment stables... C'est bien simple, sur les deux prochaines semaines, c'est la foire sur toutes les montagnes du sud-ouest, à grands coups d'avis de tempête et d'orages. La semaine prochaine, seuls quatre petits jours consécutifs de temps relativement clément se sont faufiler peniblement au milieu de cette purée. Je vous fait grâce des détails, nous retournons le problème dans tous les sens, mais il n'y a qu'une solution si nous voulons nous balader deux jours dans le massif du Mount Aspiring et parcourir le Kepler Track dans des conditions relativement favorables : nous devons les enchaîner en profitant de ces quatres jours. Ce qui signifie grimper dans le Mount Aspiring, passer la nuit, redescendre, prendre la voiture, rouler jusqu'a l'entrée du Kepler et enquiller... Ca promet d'être sportif. Le fait de procéder ainsi fait apparaitre l'un de nos démons les plus redoutés : le rush. Nous avons horreur de nous presser en prenant le risque de ne pas profiter. Mais nous n'avons pas vraiment le choix.

Nous réservons nos deux nuit sur le Kepler, avant de nous préparer un itinéraire dans le Mount Aspiring. Je parlais de la simplicité à effectuer la moindre action dans ce pays, en voilà l'exemple parfait : il suffit d'entrer le nom du parc où l'on désire se rendre sur le site internet du Departement Of Conservation, et paf, on trouve des cartes, des listings de balades, avec descriptifs, durées etc... Il est même possible de trier ses choix entre les marches à la demi-journée, à la journée ou sur plusieurs jours! Nous ne mettons pas longtemps à trouver notre bonheur, sous la forme d'un aller-retour de deux jours dans le massif.

Nous détaillerons ce programme d'enfer plus tard. Dans un sens, nous sommes bien lotis : Il s'avère que si la météo est à pleurer dans les montagnes pour les prochains jours, les vallées sont à peu près épargnées, ce qui va nous permettre de passer voir les glaciers et Wanaka sous le soleil en attendant les quatre jours fatidiques sans journée creuse.

Ca pourrait être pire! La journée au camping coule doucement, nous rongeons notre frein, frustrés, en nous occupant comme nous le pouvons tandis que dehors la pluie tombe encore et toujours. Nous travaillons sur le blog, repérons tous les campings gratuits d'ici jusqu'à la côte sud, et buvons 3 ou 4 litres de thé chacun...

Finalement, en fin d'après-midi, les éléments se calment enfin, et nous pouvons mettre le nez dehors, pour nous apercevoir que comme la route côtière, ce petit camping en bord de plage doit être très agréable à fréquenter par beau temps! Le ciel est toujours chargé, mais la plage se laisse parcourir agréablement. La mer, déchaînée, abandonne de véritables tas d'écume sur les galets, et chaque bourrasque de vent détache de ce bain moussant ce qui ressemblent à des flocons de neige!



Nous terminons la journée tranquillement. Demain, nous attaquerons les festivités! Les formations géologiques des Pancake Rocks, grande attraction du coin, s'apprécient visiblement à marée haute, prévue pour 8h du matin. A cause des pluies récentes, la plupart des sentiers du Paparoa National Park sont inondés, mais nous trouvons quand même une petite boucle de trois heures à nous mettre sous la dent. Ce programme nous laissera l'après-midi pour rejoindre les glaciers. Pour plus d'information sur les itineraire du Paparoa, voyez ici (en anglais)

Au matin, nous glissons un oeil craintif vers le ciel... Des nuages, mais pas de pluie! Gloire!

Nous plions le camp et remontons vers le nord, pour arriver tout pile à marée haute sur le site des Pancake Rocks. Vue l'heure très matinale, il n'y a presque personne, une surprise étant donné l'accessibilité et la célébrité du coin.

Quelques explications sur le site en question s'imposent. Il y a quelques 35 millions d'années, des restes d'animaux marins (coquilles, squelettes etc...) ont sédimenté sur le plancher océanique. Durant les 10 millions d'années qui ont suivi, d'énormes masses de sable et de terre provenant de l'érosion du continent ont compacté ces sédiments, provoquant la formation de roche calcaire. Sous l'action de la tectonique des plaques, le plancher océanique est remonté à la surface, tout en subissant l'érosion de l'eau puis, une fois à l'air libre, du vent. Les couches de sable et de graviers qui couvraient le calcaire ont ainsi disparu, pour laisser place à des formations géologiques uniques au monde qui jaillissent de la mer. Considérant le nom du site, ai-je besoin de décrire l'allure de ces formations?

Le coin, tout petit, est accessible depuis la route, et on en fait le tour en quelques dizaines de minutes. Une visite un brin touristique, mais qu'il serait bête de rater si vous passez dans le coin.

Effectivement, les falaises et les pitons rocheux en forme de pile de pancakes sont très intéressants et particuliers à découvrir. En dehors de ses formes rocheuses étonnantes, l'endroit est le théâtre d'un phénomène impressionnant, qui justifie sa visite à marée haute : en s'engouffrant dans les nombreuses cavités et trous creusés dans la roche (les fameux blowholes), les énormes vagues qui s'écrasent sur les falaises font jaillir tout autour de nous de véritables jeysers d'écume de plusieurs mètres de haut.



Une bonne surprise!  

Nous rejoignons ensuite l'intérieur des terres pour aller faire un tour dans le parc de Paparoa. Nous plongeons dans une jungle luxuriante composée d'espèces natives du pays, et longeons pendant près d'une heure une rivière au fond d'un canyon. La forêt est belle, tout comme les points de vue sur le cours d'eau et sur les falaises qui surplombent la gorge. L'effet tropical-amazonien est bien sympa!



Lorsque nous quittons les berges de la rivière pour nous enfoncer dans la forêt, nous retrouvons un cadre un peu plus quelconque. Comprenons-nous bien, vous nous balanciez là-dedans à la descente de l'avion, ca nous aurait décroché la mâchoire, mais après tous ces mois à découvrir monts et merveilles naturelles, nous commençons à être habituer. Non, je n'ai pas dit blasés. Juste moins surpris. Après, les forêts néo-zélandaises, c'est comme les raclettes : même la moins bonne est déjà géniale!  

Nous traversons une grande plaine avant de boucler notre balade.



Et bien sans casser trois pattes à un kiwi, cette matinée était sympa! Encore une fois, le problème lorsqu'on parcourt ce que beaucoup qualifient de plus beau pays de la planète, c'est qu'on acquiert certaines exigences...  

La journée ne fait que commencer. Nous décidons de ne pas nous attarder dans les parages (surtout que de gros nuages noir s'amoncellent au-dessus de la mer...), et mettons le cap vers le sud et les glaciers.    Fox et Franz Joseph. Encore des noms qui nous trottent dans la tête depuis pas mal de temps! Nos attentes à leur égard sont grandes... tout comme le sont nos appréhensions. Si la grandeur des deux mythiques glaciers nous à souvent été contée, d'autres histoires nous sont régulièrement revenues aux oreilles. Des histoires de barrières, d'interdiction d'accès, de visites payantes obligatoires aux prix exorbitants, de tourisme de masse, de business... Oui, pas le genre d'histoires que nous préférons... Nous verrons.  

Trois heures de route nous séparent des glaciers. Plus nous descendons vers le sud, plus le ciel, miracle, se dégage! Le paysage de la route côtière prend une toute autre dimension, et nous faisons une pause repas pour profiter du littoral à Hokitika, petit village de bord de mer battue par les vents.



Nous pénétrons ensuite dans la partie sud-ouest de l'île. Aussi connu sous le nom maori de Te Wahipounamu, la Terre de Jade, cette zone de 2,6 millions d'hectares comprenant les parcs nationaux d'Aoraki/Mount Cook, du Westland/Tai Poutini, du Fiordland et du Mount Aspiring est classée au patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 1990.  

Ca annonce la couleur : Quelque chose comme 10% de la surface du pays, intégralement classés au patrimoine mondial... Carrément. Nous attendons donc avec impatience le grandiose paysage censé se dévoiler à l'approche du Mount Cook National Park, malheureusement nous ne pourrons pas en profiter. La météo s'est plantée, et lorsque nous atteignons les abords des montagnes, un épais couvercle de nuage couvre les massifs.    

En début d'après-midi, nous rejoignons le village touristiques de Franz Joseph, malheureusement dans la grisaille, au pied du glacier du même nom. Nous y voilà.    

Comme il fallait s'y attendre, l'activité de la zone tourne uniquement autour du tourisme. De partout se dressent des hôtels, des restos, des boutiques de souvenirs. Des dizaines de tour-opérateurs porposent des vols en hélicoptères aux flots de touristes se déversant des énormes cars grand-touring qui forment une haie d'honneur de chaque côté de la route. Nous peinons à apercevoir le paysage montagnard, par ailleurs somptueux, qui se dresse derrière ce bourbier.    

Nous sentons venir l'arsouille tandis que nous rejoignons le bureau d'informations du coin. Nous ne savons pas trop ce qu'il est possible de faire comme balade dans les environs, mais nous espérons pouvoir nous préparer une escapade d'une journée loin des foules pour demain. Suivre une petite morraine surplombant la glace, ou prendre un peu d'altitude dans la forêt pour nous percher au-dessus des crevasses et des névés...    

Des clous, petits voyageurs naïfs! Le seul sentier accessible au public de la zone couvre à peine 3 kilomètres, et permet de s'approcher à "seulement" 400 mètres du front du glacier. Comment aller plus près? En hélico, pardi! Pour environ 200$, il est possible de faire un aller-retour d'une vingtaine de minutes au-dessus de la montagne. Pour se poser et marcher sur la glace, 300$ de plus.    

Une blague. Enfin bon, nous avons fait la route jusqu'ici, autant aller jeter un oeil à ce glacier dont on nous a fait tout un patacaisse. Nous rejoignons l'entrée du petit chemin sus-nommé, à 5 kilomètres du village, et tentons de trouver une place où nous garer au milieu des bus et des navettes, avant de nous lancer sur le sentier qui s'enfonce dans la vallée en direction de la langue de glace qui descend de la montagne.    

Il y a foule. Des groupes, des groupes et encore des groupes. Oui, je sais, nous sommes d'une certaine façon des touristes nous aussi, mais bon sang, il y a touristes et touristes. Jamais nous ne nous laisserons comparer à ces hordes de consommateurs de voyage qui quittent leur bus l'espace d'une heure pour aller assouvir leur besoin maladif d'aller incruster leur tronche devant le moindre truc qu'ils visitent à l'aide de leur perche à selfie. Un de ces jours, j'écrirai un bouquin la-dessus.    

Nous avançons en slalomant dans la foule, sur le chemin bien délimité sur toute sa longueur par des barrières, arborant de nombreux panneaux rouge vifs rappelant que les franchir, c'est s'assurer une mort instantanée écrasé par un bloc de glace. J'exagère à peine.




D'autre panneaux évoquent les ravages du réchauffement climatique, montrant des photos qui illustrent le retrait du glacier durant ces dix dernières années. Le message serait peut-être moins ridicule et hypocrite s'il n'était pas accompagné d'un autre, rappelant trèèès subtilement que le seul moyen d'aller sur le glacier, c'est de payer un tour en hélicoptère. Ils sont forts, au Departement Of Conservation! Non parce que ça va bien 5 minutes la protection de l'environnement, mais il faut veiller à faire tourner les business du coin, et qu'importe le nombre de litres de kérosène qui y passent.



Parce que s'il y a foule sur terre, nous remarquons vite, les yeux écarquillés, qu'il en va de même dans les airs : c'est un véritable ballet d'hélicoptères qui se déroule au-dessus de nos tête! Abasourdis, nous lançons nos chronomètres pour déterminer la cadense infernale des vols... En gros, un hélicoptère arrive, reste 5 à 10 minute au-dessus du glacier, puis repart tandis qu'un autre prend sa place... Un hélicoptère toutes les 5 à 10 minutes, trois en permanence dans le ciel, tous les jours de 8h et 18h... Sans parler de la quantité astronomique de carburant qui brûle au-dessus du massif, quoi de plus agréable que le bruit lancinant et continu des pales de trois hélicoptères à basse altitude pendant une promenade en montagne?  

Oui, je m'énerve. Zut. Le paysage? Ba oui, c'est beau. Forcément c'est beau. La montagne se dresse tout autour de nous, jaillissant littéralement du sol, imposante, couvertes de forêts et de cascades. Le glacier, malgré l'absence de soleil, est d'un bleu clair et vif... Dans les hauteurs.



Lorsque nous atteignons, butant contre contre un cordon de sécurité, le fan-tas-tique point de vue iiinnncroyablement proche du front du glacier, une crête nous en cache les partie supérieures, et nous n'avons de ligne de vue que sur la base bien sale et couverte de caillasses sous lesquelles nous peinons à distinguer quelques centimètres carrés de glace. Le rideau de smartphones dressé devant nous n'améliore pas la visibilité...



Punaise, qu'elles sont hargneuses ces lignes... Mais c'est un fait, je suis déçu. Je pensais que tout le ramdam qu'on fait autour des glaciers ne signifiait pas forcément que nous allions y trouver une bonne grosse et vicieuse attraction touristique. Qui pointe encore une fois une facette du pays qui nous exaspère : le coup du préserver-la-Nouvelle-Zélande et celui du pour-votre-sécurité qui servent de prétexte. Car c'est un fait : l'argument pays vert, éco-tourisme et préservation de l'environnement qui est brandit à tous bouts de champs ici sent la stratégie marketing et le coup de pub beaucoup plus souvent que ce que nous pensions.  

Je pense que c'est quelque chose à avoir en tête avant de venir ici, même si le pays est formidable.

Léonore, toute positive, me remonte le moral. Oui, les cascades et les montagnes sont effectivement magnifiques! Nous ne traînons pas 107 ans non plus. La journée touche à sa fin, et il nous reste quelques bornes à parcourir pour rejoindre un camping gratuit du DOC, le Gillespies Beach, proche des glaciers, en bord de mer.    Après une petite route de terre, nous trouvons le campsite, très sympa, même si assez fréquenté. Après le repas, direction la plage de galets toute proche pour un coucher de soleil comme on en fait plus!



Au réveil, encore un brin ensommeillés, nous nous extirpons de la tente pour nous poser sur une table de pique-nique et boire notre café, et puis... Nous jetons un oeil vers l'est. Et pan. Le couvercle nuageux de la veille s'est levé, et nous découvrons enfin les grandioses sommets du parc qui se découpent à l'horizon.



Ce qui est génial, c'est que nous voyons ça depuis le bord de mer! Les montagnes jaillissent littéralement du sol.  

Nous nous préparons pour une journée qui s'annonce encore très active : nous allons passer le Fox Glacier, avant de continuer notre descente vers le sud pour atteindre Wanaka avant ce soir.  

Mais auparavant, nous suivons l'un des sentiers qui part du camping pour nous enfoncer dans la brousaille et passer voir une ancienne mine d'or. Oui, près du camping se trouve apparement une ancienne exploitation minière! Il s'avère que nous venons de pénétrer dans ce qui a été au 19ème siècle l'une des régions aurifères les plus productives du pays, et des vestiges de l'activité minière intense qui a suivit la découverte d'or dans le centre de l'Otago en 1861 subsistent partout dans la zone.  

Nous découvrons ainsi au beau milieu de la jungle des restes de machines rouillées, entourée d'une végétation qui a repris ses droits. Relativement intéressant. Malheureusement, il nous est impossible de pousser nos explorations plus loin, le sentier étant bien sûr fermé à cause des récentes intempéries...



Nous mettons les voiles pour rejoindre la vallée du Fox Glacier. Je ne vous referai pas le couplet de la veille, étant donné que nous y découvrons exactement la même chose qu'au Franz Joseph...  

Je fais ma mauvaise langue. Ici il est visiblement possible de se rapprocher du glacier et même de toucher la glace (rendez-vous compte!) sans prendre d'hélicoptère. En revanche, un guide est obligatoire pour accéder à la plupart des sentiers du coin, interdits au public.

Nous nous contenterons donc d'une balade sensiblement identique à celle de la journée précédente, pour atteindre un point de vue situé à quelques centaines de mètres du front du glacier, avant de nous remettre en route.



Nous continuons notre chemin vers le su... Quoi les glaciers? J'en ai déjà pas mal dis... Disons que si vous avez le temps, passez les voir, c'est gratuit. En revanche, si votre timing est serré et que vous devez faire des choix, éliminez-les sans hésiter de votre programme. A moins d'y aller pour la totale, avec tour en hélicoptère et marche sur la glace, qui doit effectivement être fantastique. Parce qu'on râle on râle, mais il est vrai qu'en matière de rando tout public sur glacier, le Fox et le Franz Joseph sont des références et se targuent d'être les seuls endroits au monde à permettre à monsieur tout-le-monde d'aller crapahuter dans les séracs au milieu des crevasses.  

Et finalement, c'est peut-être bien ça le truc avec le Fox et le Franz Joseph : il faut bien se dire que c'est avant tout leur accessibilité et leur côté grand public qui sont à l'origine de leur réputation internationale. C'est juste que de notre côté, ce n'est pas tellement ce que nous cherchons. Et quand bien même, nous ne sommes pas trop emballés par l'idée de cramer quelques dizaine de litres de kérosène et l'équivalent de deux mois de voyage au-dessus des montagnes...

Enfin, n'oubliez pas qu'on en trouve des très beaux, en France, des glaciers...  

Je disais donc, nous continuons notre chemin vers le sud. Wanaka se trouve à un peu plus de trois heures de route du Fox Glacier, de l'autre côté des Alpes du sud, et il va nous falloir une bonne partie de la journée pour y descendre.  

Sous un ciel toujours aussi désespérément gris, nous roulons sur la route côtière, nous arrêtant régulièrement pour profiter de différents spots sympas. Aux alentours de Bruce Bay, nous faisons une pause repas sur une belle plage de sable noir, à côté d'un amoncellement de galets plutôt marrant.



Sur la route, nous découvrons par hasard le lac de Paringa, où nous faisons un arrêt.



Arrivés à Haast, nous quittons le bord de mer pour prendre un peu d'altitude et traverser les montagne vers l'est. Nous passons un col, et redescendons dans la vallée.  


Point de rupture


Bon. Nous y sommes. C'est en effet à partir de cet instant précis que la dimension visuelle de notre petit tour néo-zélandais va passer un cran supplémentaire dans l'exceptionnel. Nous sommes sur le point de comprendre pourquoi l'intégralité de la région sud-ouest, et pas seulement ses parcs, est classée au patrimoine mondial.  

Nous voici au-dessus du lac de Wanaka, en plein coeur d'un décors montagneux à couper le souffle. De hautes chaînes aux sommets enneigés nous entourent de toute part, surplombant le lac, couvertes de prairies dorées, de rocailles ocres et de forêts d'un vert sombre. Le temps nuageux n'enlève rien à la beauté du panorama. Tandis que nous roulons vers les rives du lac, nous nous disons que quand même, ce pays se la pète... Et nous sommes sur l'autoroute, au beau milieu d'un des axes principaux de l'île! Nous ne résistons pas à l'appel de la pause contemplative..
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Nous arrivons ensuite au lac de Hawea, pour y trouver un nouveau et grandiose paysage. Qu'est ce que ça doit donner sous le soleil!



Finalement, toute la dernière heure de route vers Wanaka est du même acabit. On nous avait prévenu que le coin était magnifique, mais nous ne nous attendions pas à ce qu'il le soit à ce point. A noter que les photos ne rendent pas spécialement honneur à la réalité, mais je n'ai jamais été fichu de prendre des clichés potables sous ciel nuageux...
 
Nous arrivons à Wanaka en fin d'après-midi, épuisés par des heures de route. Léonore est fatiguée de la conduite, malheureusement le camping gratuit le plus proche se trouve encore à 60 kilomètres... D'un autre côté, il nous reste encore deux jours à attendre avant de nous lancer dans les montagnes, et nous voulons les mettre à profit pour explorer les alentours. Finalement, nous repérons un camping à 10$ la nuit à seulement quelques kilomètres du centre ville qui fera très bien l'affaire. Et puis zut, nous avons trimer pour nous faire deux-trois sous, autant les utiliser!  

Avant d'aller nous poser, nous faisons un tour en ville. Au bord de son lac, Wanaka est nichée entre les montagnes, et bien que le bled paraisse assez réduit, son activité semble intégralement tournée vers le tourisme. Les rues sont saturées de restaurants, de bars et d'hôtels, et les rives du lac servent de parking à des dizaines de caravanes, de cars et de bus. Nous n'allons pas nous éterniser ici!  

Nous fouinons un peu, cherchant en premier lieu des prévisions météorologiques fraîches. Pas de changement pour le Mount Aspiring National Parc et le Kepler Track : pluie torrentielle et avis de tempête pour les deux prochains jours, suivis d'une relative amélioration. En revanche, nous tombons sur une bonne surprise : si le temps est exécrable dans les montagnes à seulement quelques dizaines de kilomètres d'ici, le soleil va briller sur Wanaka et ses environs demain et après-demain! De quoi attendre nos quatre jours de trek en crapahutant dans les parages sous le ciel bleu.  

Nous nous préparons donc quelques excursions a la journée pour les deux jours suivants et rejoignons le camping à la sortie de la ville, tandis que le ciel se dégage. Sur place, il fait enfin beau, le camping est immense, et nous profitons d'une rivière pour nous rincer avant de finir la soirée en évoquant les fantastiques paysages que nous avons découvert en arrivant ici, et en faisant quelques pronostiques sur la façon dont il vont rendre sous le ciel bleu et le soleil...  

Au matin, nous partons pour une balade d'une journée qui doit nous faire grimper 1250 mètres pour atteindre le sommet du Roys Peak, 1578 mètres d'altitude. Un fameux perchoir qui permet apparemment d'apprécier l'un des points de vue les plus formidables du coin. Comme prévu, le temps est radieux, et nous parcourons les quelques bornes qui nous séparent de l'entrée de la randonnée tout ragaillardis. C'est qu'il se sera fait désirer ce soleil!  

Sur place, nous embarquons eau et nourriture pour la journée, et attaquons une côte bien raide qui s'élève a flanc de montagne. La grimpette est plutôt ardue, il fait chaud, et le sentier, très dégagé et peu ou pas accidenté, n'est pas des plus intéressants, bordé de broussailles et de buissons et un brin répétitif. Sans compter qu'il y a pas mal de monde, la rando étant proche de Wanaka et finalement assez accessible malgré sa difficulté purement physique.

Mais tout ça, on s'en fiche. Car lorsque nous prenons un peu d'altitude, le paysage qui se dévoile peu à peu balaie toutes ces futiles constatations. C'est purement grandiose.



Plus nous prenons de la hauteur, plus nous multiplions les pauses contemplatives, pour profiter d'une vue irréelle qui parait sortir tout droit du délire coloré d'un artiste particulièrement créatif. Les cimes enneigées du Mont Aspiring qui apparaissent au loin dans les nuages, les prairies dorées et verdoyantes, l'eau azure du lac... On se croirait devant un tableau, et nous avons du mal à nous convaincre que le décors que nous avons sous les yeux est réel. Une impression que nous n'avions pas ressenti depuis un bon moment...



La plupart des touristes s'arrêtent après deux heures de marche au niveau d'un petit col, qui constitue visiblement un célèbre point photo : des dizaines de personnes attendent de pouvoir tirer leur portrait face au fantastique panorama, et nous fuyons prestement pour continuer l'ascension vers le sommet. La fin du tracé est du genre très, très escarpé, à grand coup de marches immenses à peine creusées dans la terre qui escaladent un véritable mur avant de déboucher sur l'arrête terminale roccailleuse du Roys Peak. Pour le coup, il n'y a plus grand monde, et nous atteignons le sommet de la montagne vers midi pour nous affaler, les jambes en feu, en compagnie de cinq ou six personnes tout au plus, après un peu moins de trois heure de marche.

La vue? Ben c'est la même, d'encore plus haut, encore plus dégagée.



Nous sommes à 1578 mètres, le vent se lève, et un phénomène amusant se produit : un seul tout petit nuage nous passe au-dessus de la tête. Le ciel est bleu, le soleil brille, et pourtant... Il se met à neiger!

Nous n'arrivons pas à décoller nos derrières de là-haut. La neige, le calme... Et surtout cette vue de fou.

Parmis les quelques personnes qui profitent de l'endroit en silence se trouve un couple franco-lituanien avec lequel nous engageons la conversation. Mathieu et Irina tiennent un camping en Ardèche, et ils ont travaillé d'arrache-pied ces dernières années sans pouvoir prendre de vacances. Voilà belle lurette qu'ils veulent partir en voyage, mais leurs obligations professionnelles les ont systématiquement bloqués, jusqu'à aujourd'hui : ils ont enfin pu venir passer quelques semaines à l'autre bout du monde!

Nous discutons de nos façons de voyager, de nos motivations. Nous passons toute la descente à papoter, nous arrêtant de temps à autre pour admirer les alentours. Nous nous séparons en bas. Il est 16h, et nous aurons mis environ 6h pour faire l'aller-retour jusqu'au sommet, avec un temps de pauses cumulées plus que conséquent.

Sur le chemin du retour, des étoiles dans les yeux, nous faisons un petit arrêt en ville, au bord du lac. Effectivement, sous le soleil, ça rend bien! Même si l'ambiance tourisme-branché de Wanaka ne nous convient pas, il faut bien avouer que la ville jouit d'un cadre extraordinaire.



Il fait tellement beau que nous craignons de rater un éventuel ciel bleu pour aller dans le parc, mais sur le chemin du retour, au loin, nous apercevons au-dessus des montagnes un épais couvercle de gros nuages noirs.

Le lendemain, nous prenons la matinée pour peaufiner l'organisation des quatres prochains jours. Et comme je le disais, il va y avoir du sport!

Première étape et premier défi, rejoindre l'entrée du Mount Aspiring National Park. 50 kilomètres d'une route de gravier traversée par une dizaine de rivières. Le souci, c'est qu'après les pluies des derniers jours, elles ont peut-être débordé, rendant la route impraticable. Nous passons au bureau du DOC pour demander si l'accès est ouvert, mais personne n'est au courant... Nous verrons sur place.

Nous nous engagerons ensuite dans 4 jours de trek intensifs sur deux tracés.

Dans le Mount Aspiring National Park, nous avons prévu un aller-retour de deux jours dans la Matukituki Valley, au coeur de la partie sud du parc, qui devrait nous conduire, après 17 kilomètres de marche et un bon millier de mètres de grimpette, au sommet de la French Ridge, une crête située au pied du mont Aspiring, à 1400 mètres d'altitude. Nous poserons la tente là-haut. Hormis le repérage du chemin sur les cartes, nous n'avons pas préparé grand-chose. Nous ignorons par exemple comment va se répartir la prise d'altitude, et nous n'avons aucune idée de la nature du terrain dans les hauteurs. La nuit sur un hypothétique tapis de caillasses ne s'annonce pas folichonne...

Les critères qui nous ont conduit à jeter notre dévolu sur ce parc et cet itinéraire particulier sont sensiblement les mêmes que ceux qui nous avaient guidés dans le Nelson Lakes National Parc : la balade traverse des paysages apparemment fabuleux et promet d'être peu fréquentée. Pour plus de renseignements sur le Mount Aspiring et les randonnées qu'il est possible d'y faire, suivez ce lien (en anglais).

Le lendemain, nous avons prévu de redescendre tôt, afin d'avoir le temps de rejoindre Te Anau, petit village à 350 kilomètres de Wanaka, point de départ du célèbre Kepler Track, et d'atteindre le premier camping que nous y avons réserver avant la nuit.

Le Kepler Track donc. L'une des 9 Great Walks de Nouvelle Zélande, une boucle de 60 kilomètres entre les lacs de Te Anau et de Manapouri, à l'intérieur du Fiordland National Park, qui devrait nous faire traverser une multitude d'environnements, de la jungle native aux longues crêtes montagneuses, en passant par des plaines de tussocks, ces fameuses hautes herbes dorées dont je parle souvent. Comme je le disais, si les huttes a près de 60 balles la nuit jalonnent régulièrement le tracé, ce n'est pas le cas des campings : il n'y en a que deux, et le premier se trouve à seulement 6 kilomètres du début du trek... Le deuxième, 25 kilomètres plus loin, et nous devrons parcourir les 29 restant en une journée. Rappelez-vous qu'il interdit de bivouaquer en dehors des zones autorisées sur les Great Walks. Vous trouverez la brochure officielle du Kepler Trak ici (en anglais).

Tout ça va nous faire pas loin de 100 kilomètres à tirer à pied en 4 jours, et je n'ai pas calculer la dénivelé. La session s'annonce très dense et épique, tant physiquement que visuellement!

Un seul petit détail nous fait grincer des dents : pour être sûr d'atteindre la premier camping du Kepler avant la nuit, nous allons devoir cavaler pour redescendre de la French Ridge, et nous sommes plutôt du genre à prendre notre temps pour profiter au maximum. Encore une fois, nous n'avons pas vraiment le choix : la météo n'a pas changé, et s'annonce déplorable avant et après notre créneau de quatre jours.

Je finirais sur cette capricieuse et lunatique météo qui nous mène impitoyablement à la baguette. Histoire de renforcer un peu plus le côté épique de notre entreprise, il faut savoir que si les prévisions ne sont qu'avis de tempête et orages en dehors de ces quatre jours, cela ne veut pas dire que nous allons les passer entièrement sous le ciel bleu et le soleil... Disons que nous avons choisit ces jours parce qu'ils étaient les moins pires : normalement, nous passerons le milieu du premier jour ainsi qu'une bonne partie du troisième arroser par les averses. Ce qui est fâcheux en ce qui concerne ce dernier, étant donné que nous serons à ce moment précisément dans la zone montagnarde du Kepler.

Ca va être grand...

Mais nous attaquerons tout ça demain. Pour l'heure, nous avons l'après-midi pour continuer nos escapades dans la région de Wanaka. Si les nuages sont de retour, le temps est sec.

Nous décidons de fureter un peu au hasard dans les parages, et mettons comme hier le cap vers l'ouest. Nous passons l'entrée du Roy's Peak pour atteindre le Diamond Lake, que nous passons voir après une petite balade en forêt.



La motivation n'est pas au beau fixe : l'ascension du Roy's Peak nous a plus fatigué que ce que nous pensions, et nous devons nous préserver pour les quatre jours de taré qui nous attendent. La marche ne sera pas à l'honneur aujourd'hui!

Nous allons jouer les touristes lambdas : tandis que le ciel se dégage, nous repartons vers Wanaka, multipliant les arrêts sur le chemin, pour nous gorger les yeux de ce genre de trucs :



Nous traversons la ville et nous dirigeons vers le nord, pour aller jeter un oeil au lac Hawae. Nous l'avons passé avant-hier sous les nuages, et nous voulons le redécouvrir par beau temps. Et grand bien nous en prend!

Le lac, sa couleur, les montagnes alentours... Une oeuvre d'art.



Scotchés par le coin, nous passons nous acheter une glace et la dégustons au bord de l'eau turquoise.

Les heures passent vite quand elles sont à ce point contemplatives! L'après-midi s'achève, et nous passons en ville pour faire provision de quatre jours de vivres.

De retour au camping, nous préparons le matériel et rafistolons ce qui doit l'être. Mes chaussures commencent à s'ouvrir en deux, et je dois les recoller. La tente se délabre petit à petit, et nous avons déjà dû réparer un arceau briser avec sections de tube et scotch, réparation que nous vérifions minutieusement. Nous ne sommes pas trop chauds à l'idée de voir la guitoune nous claquer dans les pattes à 1400 mètres d'altitude...

Je rappelle que notre tente est une contrefaçon de Vaude 3 Tempo que nous avons acheté pour l'équivalent d'une soixantaine d'euros au Vietnam en septembre 2015. Bien que la bougresse s'en sorte très bien point de vue résistance au gros temps (même une tempête de mousson asiatique ne l'a pas fait broncher), les finitions et la solidité laissent à désirer. Arceaux en plastique-imitation-fibres-de-carbone-qui-pèsent-un-âne-mort, coutures type atelier d'initiation pour vieillards arthritiques, ce genre de choses. Le truc, c'est que là-bas, les magasins de camping ne courraient pas forcément les rues...

Gaz, provisions, provisions de secours, provisions de secours d'urgence, vêtements de froid, pharmacie... Le fait est que si le Kepler Track, en tant que Great Walk, devrait nous amener à croiser pas mal de monde, notre virée dans l'Aspiring National Park va quand à elle nous entraîner dans un coin très reculé et isolé, en pleine montagne, sous des conditions météos qui risquent fort de partir en vrille, et nous préférons parer à toute éventualité. On ne fait pas les zouaves en montagne!

Vous me direz que 1400 mètres en plein été, ce n'est rien, mais il faut savoir que si la chaîne des Alpes du sud néo-zélandaise jaillit brutalement du sol juste au-dessus du niveau de la mer, le climat y connait des changements tout aussi brutaux. Par exemple, à l'heure où nous préparons notre balade, il neige à seulement 1200 mètres, et la température descend en-dessous de 0 aux alentours des 3000... Bref.

Après un dernier bain dans la rivière, nous engloutissons une bonne plâtrée de pâtes avant de nous mettre au lit.


Trek de l'extrême au pays des merveilles


Au lever du soleil, nous émergeons de la tente l'air grave et déterminé. Ca va dérouiller sec. Prochaine pause dans quatre jours. Nous replions le camps, bouclons les sacs après avoir revérifier une dernière fois le matos et les provisions, mettons le cap sur le centre-ville pour déposer notre Flo, et repartons vers l'ouest. On fait nos malins comme ça, mais rappelons que la route a de grandes chances d'être inondée, ce qui couperait court à notre glorieux programme avant même qu'il ne commence...

En chemin, nous récupérons un auto-stoppeur espagnol, Raoul, avec lequel le courant passe instantanément. Et pour cause, notre homme est de la même trempe que nous : grand voyageur, terrien et humain avant tout, se laissant planer sur les routes du monde au gré de ses envies et des opportunités. Le genre de personne que nous ne rencontrons pas souvent, et avec lequel il y a beaucoup à partager. Pour nous qui préparons notre vadrouille en Amérique du sud, c'est une véritable mine d'informations : il a bien sur quadrillé tout le continent, en stop, à vélo, en voiture et j'en passe.

Le fait est que nous voulons absolument passer du temps au Chili et en Argentine, malheureusement ces deux pays ont la réputation de brûler les économies du voyageur à vitesse grand V, et nous avons d'ors et déjà prévu de les parcourir le pouce en l'air et sous la tente, en zigzagant entre l'un et l'autre tout en remontant vers le nord. Le problème étant que nous ne savons pas vraiment s'il est légalement aussi aisé que nous le pensons de slalomer ainsi entre les deux territoires, ni si les véhicules abondent autour des postes frontières pour nous embarquer. Raoul balaie ces doutes : il l'a lui-même déjà fait à plusieurs reprises et sans problèmes.

On discute on discute, mais la route dans tout ça? Nous quittons la voie goudronnée pour attaquer les 50 bornes de chemin de graviers. Coup de chance, une voiture nous précède, et pourra aller inonder son moteur à notre place si les rivières sont trop hautes.

Nous passons trois premiers cours d'eau sans encombres, mais quand nous voyons le véhicule de devant traverser le quatrième en éclaboussant abondamment les alentours, nous marquons un temps d'hésitation... Avant de nous lancer et passer sans problèmes, si l'on met de côté le panache de vapeur qui s'échappe de sous le capot.

La cinquième rivière, en revanche, tient plus du torrent de montagne que de la simple flaque en travers de la route, et nous nous arrêtons après avoir observé nos prédécesseurs restés presque coincés au milieu. Nous étudions la chose : au moins 40 centimètres de profondeur... Au loin, l'autre voiture s'est arrêtée, et ses occupants nous font de grands signes pour nous dire de ne pas traverser.

Flûte. Et bien... pas de problèmes, nous sommes seulement à trois kilomètres de l'entrée du parc! Vous y avez cru hein?

Raoul, qui veut passer seulement une journée dans le coin, décide d'attendre ici un chauffeur avec qui il pourra rentrer ce soir, et nous le serrons dans nos bras avant de nous harnacher et d'abandonner la voiture. Nous prenons quelques secondes pour nous rendre compte qu'avec ces 3 bornes supplémentaires à l'aller et au retour, nous allons parcourir très exactement 100 kilomètres durant les quatre prochains jours!

Nous passons la rivière en sautant de caillou en caillou, et nous mettons en route en direction des montagnes. 10h30. C'est parti. La première opération trekking d'envergure des vacances est lancée!

Et elle commence bien. Le soleil brille, la Matukituki river, qui donne son nom à la vallée, étale son ruban bleu glace à notre droite au milieu des pâturages et des troupeaux de vaches, et à notre gauche s'élèvent de hautes montagnes, desquelles jaillissent des dizaines de cascades. Magnifique!



Les 3 kilomètres sont vite avalés, et nous débarquons au parking, point de départ de toutes les balades du coin. Il y a pas mal de monde. Car si de notre côté nous allons nous enfoncer dans les profondeurs de la vallée, de nombreuses promenades à la journée permettent d'avoir un bon aperçu du parc. La plus fameuse d'entre elles, d'une durée de deux heures, draine la plupart des randonneurs au pied du célèbre Rob Roy Glacier, que nous comptons bien passer voir un de ces jours.

Mais pas aujourd'hui. Nous passons la jonction avec le sentier conduisant au glacier et continuons sur un large chemin beaucoup moins fréquenté qui longe la rivière. Nous sommes cernés par les montagnes qui se dressent de part et d'autre de la vallée, aux pentes zébrées de nombreuses cascades, et nous traversons vertes prairies et pâturages au milieu des troupeaux de moutons. Le chemin ne présente pas de difficultés particulières : large et plat, il monte et descend de temps à autre en pente douce, nous obligeant souvent à traverser de petits cours d'eau en faisant les équilibristes sur des rochers. En revanche, le ciel se couvre rapidement et un petit crachin commence à tomber, mais le vent se met à souffler tellement fort que nous séchons au fur et à mesure...

Le paysage est grandiose, et même les nuages qui s’amoncellent au-dessus des montagnes ajoutent un petit quelque chose à l'ensemble.



La vallée forme un coude, et une fois de l'autre côté nous en apercevons le fond. Sur le coup, nos impressions sont mitigées : Les premiers sommets enneigés se devinent derrière d'épais nuages noirs et des rideaux de brume, et de loin, c'est beau. Sauf que nous n'oublions pas que c'est justement là-bas que nous allons, au cœur de ce qui fait apparaître le petit crachin qui nous tombe sur le coin du pif comme un simple amuse-gueule avant la tourmente...



Et paf, la météo ne nous ménage aucune surprise : comme prévu, le temps empire tandis que nous remontons la rivière. La dernière parcelle de ciel bleu disparaît, le crachin se transforme en pluie, le vent se fait plus violent, et nous commençons à rentrer la tête dans les épaules, appréhendant la suite.

Et puis c'est mignon, toutes ces cascades, sauf qu'il faut bien que l'eau rejoigne la rivière, et pas de bol, notre chemin se trouve en plein milieu du passage... Les traversées de torrents se multiplient, et au fil des glissades et des pertes d'équilibre, nos pieds s'humidifient lentement, pour notre plus grand bonheur.

Bon, nous sommes encore dans un domaine parfaitement gérable. La pluie tombe en petites averses pas trop violentes, le vent ne nous ralentit pas, et nous sommes loin d'être trempés. Côté visuel malheureusement, entre le brouillard, la pluie et le ciel qui s'assombrit de plus en plus, il devient difficile de profiter de la beauté du décors.

Après deux heures de marche, nous nous réfugions sous le porche d'un cabanon providentiel pour grignoter un morceau, puis repartons. Et là, ça commence à devenir vraiment fendard.

La pluie redouble d'intensité, et le vent tourne pour nous arriver en pleine face... Le chemin de pierres nous oblige à traverser plusieurs rivières qui, gonflées par les intempéries, n'offrent aucun rocher ni tronc sur lesquels passer au sec. En compagnie d'un groupe de randonneurs espagnols, nous voilà donc forcés de déchausser pour traverser pieds nus un premier cours d'eau glacée avant de continuer, les chaussures à la main, en direction d'un deuxième où nous devons répéter l'opération. Voilà que nous crapahutons pieds nus en pleine montagne...

Devant nous, plus de rivière, mais une vaste plaine de hautes herbes. Nous tentons en vain de nous sécher un peu les panards avant de remettre nos chaussures, puis poursuivons en suivant la lisière d'une forêt. Nous nous apercevons rapidement de la futilité de nos efforts pour garder les pieds au sec : ici, c'est tout le chemin qui est inondé, du genre marécageux, et nous pataugeons dans la boue et les hautes herbes, de l'eau jusqu'aux chevilles, sur plusieurs centaines de mètres, avant de rejoindre le couvert des arbres et un sentier toujours boueux mais qui ne disparaît plus sous la flotte.

La forêt est pour ainsi dire plus humide que la plaine : saturés d'eau de pluie, les arbres nous arrosent copieusement de grosses gouttes. Nous sommes trempés, dégoulinants, et nos pas s'accompagnent d'un bruit d'éponge qu'on essore. Sprotch sprotch sprotch... Fendard je vous dis.



Vers 13h, nous atteignons finalement l'Aspiring Hut, un refuge planté au bord de la vallée, à 400 mètres d'altitude. Comme je le disais, la Matukituki Valley offre de nombreuses possibilités de rando à la journée, et l'aller-retour à l'Aspiring Hut fait partie des plus fameuses. Sur place, il y a en effet pas mal de monde, tous les randonneurs s'arrêtant là avant de faire demi-tour ou de passer la nuit sur place. Résistant aux sirènes de l’abri, nous décidons de tracer sans prendre de pause : une fois le refuge passé, nous devrions être seuls au monde. Sans compter que nous sommes frigorifiés, et que nous voulons garder un bon rythme de marche pour nous réchauffer.

Un ranger nous interpelle tandis que nous passons devant le refuge pour nous demander où nous allons. Visiblement, il y a une autre hutte au sommet de la French Ridge, évidemment payante, et il nous demande si nous avons nos réservations... Lorsque nous lui expliquons que nous dormons sous tente, il hausse un sourcil, lève un œil vers le ciel noir et chargé de nuages, puis nous annonce simplement qu'il nous reste environ 5 heures de marche, avant de tenter de nous encourager en nous expliquant que la météo devrait s'améliorer en fin d'après-midi. Ce qui ne serait pas dommage...

Nous repartons d'un bon pas en direction du fond de la vallée, nous enfonçant dans sa partie la plus reculée. Nous progressons un petit moment dans la forêt, sur le chemin qui monte en pente douce au milieu des arbres, pour déboucher en surplomb d'un plateau dégagé.

Depuis notre promontoire, fouettés par la pluie et titubants sous les rafales de vent, nous marquons un temps d'arrêt pour profiter d'une vue extraordinaire, oubliant un moment le froid et l'humidité. La montagne forme un cirque qui entoure le fond de la vallée, dressant au-dessus de nous ses pentes noires, rocailleuses ou couvertes de forêts d'un vert sombre. Plus haut, se devinant sous la grisaille, les neiges éternelles et les glaciers forment des masses grises au pied des sommets qui disparaissent dans les nuages. Le chemin descend en serpentant sur le plateau, couvert d'herbe folles et de buissons, parcouru par la Matukituki River.
  


Il n'y a pas âme qui vive à l'horizon, nous sommes complètement seuls.

Tandis que nous avançons, nous constatons que les cascades sont toujours là, jaillissant de tout côté. Et forcément, le chemin traverse encore et toujours torrents et rivières. Nous tentons de traverser le premier cours d'eau en marchant sur les rochers qui affleurent à sa surface. Pour le deuxième, quelques dizaines de mètres plus loin, nous arrêtons nos pathétiques tentatives, et passons à gué, de l'eau jusqu'aux genoux. Durant la traversée du plateau, c'est une douzaine de torrents que nous franchissons sans même ralentir, les pieds dans l'eau, ne nous embarrassant plus d'essayer de trouver un pont de pierres ou d'enlever nos chaussures. De toutes façons, nous sommes déjà trempés jusqu'aux os, et les passages à gué ont au moins le mérite de renouveler un peu le jus dans lequel baignent nos pieds depuis 3 heures...

Nous replongeons bientôt en forêt, pour nous retrouver devant un spectacle qui nous fait éclater de rire : le sentier, tout plat, s'est littéralement transformé en lit de rivière. Totalement inondé, il est couvert sur toute sa longueur d'une bonne dizaine de centimètres de flotte, et forme par endroit de véritables champs de boue. Notre balade se transforme en sortie canyoning, tandis que nous marchons pendant près d'une heure de l'eau jusqu'aux chevilles, ne quittant parfois cette piscine que pour avancer laborieusement sur plusieurs mètres dans quinze centimètres de boue.

Un gag. De temps à autre, alors que nous pataugeons dans ce bourbier, nos regards se croisent, et nous ne pouvons nous empêcher de rire de la situation. Très franchement, c'est dans ce genre de galères surréalistes que nous nous amusons le plus. Il n'est pas facile de décrire pourquoi nous prenons notre pied à en ramasser autant sur le coin du pif. Masochisme? Amour de la douleur? Je pense plutôt que nous cherchons le challenge physique et psychologique, nous voulons toucher du doigt nos limites et expérimenter nos réactions face à une situation difficile. Ce moment gratifiant où les pensées ne se focalisent plus sur l'aspect négatif de l'inconfort mais le laisse rebondir sans broncher. Et puis la sortie montagne sous les éléments déchaînés a quelque chose d’enivrant, de grandiose, comme si la météo déplorable devenait partie intégrante d'un tout, avec le paysage et la marche, et qu'elle participait positivement à l'atmosphère. Comme le dit très sagement mon père : "ça met l'ambiance!".

Sauf que la chose peut très vite basculer du côté obscure... Nous nous accordons la deuxième pause de la journée, sans nous donner la peine de trouver un quelconque abris, pour souffler un peu et réfléchir à la suite. Voilà plus de 4 heures que nous marchons sous la pluie, complètement trempés, et nos pieds rendus hypersensibles par une longue et constante macération commencent à brûler. Le vent, l'humidité permanente et le froid drainent notre énergie à vitesse grand V, et le temps semble ne pas vouloir nous laisser de répits en dépit des prévisions. Bref, si nous en sommes encore à rire de la situation et à y prendre du plaisir, nous sentons arriver à grand pas le ras-le-bol, et préférons anticiper un éventuel craquage. Malheureusement, nos réflexions sont de courtes durées et n'aboutissent pas à 106 solutions : la plaine est intégralement inondée, impossible d'y poser la tente en cas de coup dur si le trop-plein de communion avec dame nature se fait sentir et si nous devons avorter notre ascension. Si seulement nous pouvions prendre un peu d'altitude et quitter ces étendues plates qui réceptionnent toute l'eau s'écoulant du massif...

L'altitude. La voilà la question. Il y a quelque chose qui cloche... Nous ne montons pas. en 4 heures, nous avons du parcourir une bonne partie des 20 kilomètres du treck, et si nous nous sommes élevés un peu dans la forêt après l'Aspiring Hut, nous sommes redescendus sur le plateau, tandis que tout le reste de la balade s'est déroulée sur un chemin presque totalement plat. Grosso-modo, nous devons toujours nous trouver aux alentours de 400 mètres. Sauf que notre destination se trouve à 1400 mètres, soient 1000 mètres qu'il va bien falloir grimper à un moment ou à un autre... Quand? Et surtout, sur quelle distance horizontale?

Nous repartons, pour sursauter au détour d'un virage lorsqu'une grosse forme noire détale dans les fourrés à notre approche. Nous nous figeons. La bestiole s'est arrêtée à une vingtaine de mètres de nous. Et j'ai ainsi l'honneur de vous présenter le seul, l'unique perroquet des montagnes de la planète : le kea.



Nous tentons de rester discret, mais l'oiseau nous a repéré. Et au lieu de s'enfuir, il vient à notre rencontre en nous dévisageant. Sans rire, la bestiole est curieuse comme tout, pas effrayée pour un sous, et se rapproche en sautillant pour venir nous tourner autour et étudier nos chaussures, nos sacs, nos drôles de têtes et l'appareil étrange que nous tenons à la main, avant de s'envoler vers les sommets ! Formidable.

Nous continuons, pour parvenir bientôt à un pont suspendu qui enjambe la Matukituki River. De l'autre côté, une étendue de hautes herbes complètement inondée nous attend, et nous continuons à progresser de l'eau jusqu'à mi-mollet, longeant le flanc abrupte de la montagne, avançant parfois sur des portions de chemin transformées en véritables torrents. Et nous tombons sur un panneau : French Ridge, 3km, 3h. 3 kilomètres en 3 heures?! Il grimpe comment leur chemin?!

La piste plonge dans la forêt en direction du flanc de la montagne, et s'arrête sur un mur infranchissable d'arbres et de végétation. Nous regardons à gauche, à droite, rien. Aucun passage. Nous avons raté quelque chose. Nous faisons demi-tour et pataugeons aux alentours du panneau en quête d'une piste quelconque, en vain. De retour dans la forêt, avec un drôle de pressentiment en tête, nous levons lentement les yeux sur le mur qui se dresse face à nous... pour repérer un enchevêtrement de racines et de pierres qui forme un semblant de passage à travers les arbres, droit dans la pente, quasiment à la verticale. Ce n'est pas possible, ça ne peut pas être par là... Nous nous approchons, pour apercevoir, 20 mètres au-dessus de nous, un petit triangle orange... Nom d'un chou.

Alors c'est comme ça... Tu veux jouer? On va jouer. Nous sommes venus jusqu'ici, ce n'est pas pour craquer avant la fin. La pluie tombe toujours à verse, mais nous enlevons pull et sous-pull, resserrons les sangles de nos sacs, et nous lançons dans la pente, si l'on peut appeler ça une pente. Et notre virée prend, si c'était encore possible, une tournure encore plus barrée : après le canyoning, l'escalade!

Je n’exagère pas : nous ne marchons plus, nous escaladons des marches de plusieurs mètres, tantôt en terre parcourue de racines sur lesquelles nous nous agrippons, tantôt paroi rocheuse qu'il faut gravir à la force des bras. Il y a même quelques surplombs et passages à franchir en opposition!

La chose n'est pas tellement dangereuse : nous nous trouvons au cœur d'une foret luxuriante, et une hypothétique chute nous ferait atterrir sur un épais tapis de fougère ou contre un arbre.

Et puis évidemment, il pleut toujours, et notre piste constitue une parfaite voie d’évacuation pour l'eau. Nous grimpons donc arroses en continu par la flotte qui nous débaroule droit dans la figure.

Ah, la magie des escapades en plein air... Pour le coup, nous n'avons plus froid du tout, suant comme des bœufs sous la violence de l'effort, en nous demandant régulièrement ce que diable nous sommes allés faire dans cette galère...

1h30. 1h30 d'escalade presque continue. Et on aime ça ! Nous nous surprenons même à essayer de faire ça proprement, pour l'élégance.

Quand nous émergeons finalement de la foret sur un sentier qui redevient a peu près plat, nous jetons nos sacs par terre et nous effondrons, exténués. Nous mettons un moment a nous rendre compte que tiens, la pluie s'est enfin arrêtée... Il s'agit a présent de ne pas refroidir, si près du but que nous sommes, pourtant... Nous ne refroidissons pas. Il fait même plutôt chaud. Nous levons les yeux pour constater le miracle : les nuages se dispersent, le ciel bleu commence a apparaître, et en contrebas, la vallée est baignée par le soleil ! Délivrance. Extase. Moment magique où le bleu du ciel devient la plus belle chose au monde et nous arrache des cris de joie.

Nous secouons nos carcasses douloureuses, puantes et humides pour atteindre enfin cette satanée French Ridge. Le chemin est très escarpé et grimpe fort, mais après l'ascension que nous venons de nous enfiler, il a des airs de mignon et doux sentier. Et pour ajouter à la magie de l'instant, la végétation devient clairsemée, la vue se dégage tandis que nous avançons sur la crête, et le paysage nous scotche brutalement sur place.



Grandiose.

Après la journée que nous venons de tirer, la fin d'après-midi et la soirée prennent des allures de formidable récompense. Nous nous traînons encore quelques dizaines de minutes dans un cadre extraordinaire de montagnes et de glaciers...



...avant de trouver ce qui restera l'un des plus fantastiques spots de camping de notre Petit Tour : un joli (et plat!) carré d'herbe et de mousse, du genre qui semble avoir été prévu pour la tente, en plein sur le flanc de la crête, face à l'un des plus beau panorama que nous ayons jamais vu.

Nous y sommes arrivés ! Nous voilà sur la partie terminale de la French Ridge, à 1400 mètres d'altitude. Nous montons le camp, quittons nos chaussures et nous affalons enfin. Le ciel est bleu, le soleil brille, il n'y a pas un souffle de vent, il fait chaud, nous sommes les seuls êtres humains à des kilomètres à la ronde, et où que se portent nos yeux le décors nous décroche la mâchoire.



Qu'est ce qui, dans la vie, nous donne le plus de satisfaction, de sentiment de plénitude et de complétude ? Il y a sans doutes plusieurs choses, mais à chaud je vous répondrais ça :



En avoir bien baver, nous être arracher les jambes pendant des heures pour venir nous percher loin de tout, dans un paradis de quiétude et de beauté sans aucune trace de civilisation, et y poser notre guitoune. Nous ne demandons pas grand chose... Pourtant ces moment parfaits et tellement gratifiants ne sont pas si fréquents que ça, et il faut aller les chercher. Ce que nous avons fait aujourd'hui !

Sirotant notre thé sur la formidable terrasse de notre hôtel 5 milliards d'étoiles, nous sommes heureux. C'est tout. C'est simple.



L'après-midi touche à sa fin et le soleil se couche, provoquant une brutale chute de température. Nous nous carapatons sous la tente et dînons les pieds enfin au chaud dans les duvets, en laissant la porte ouverte pour profiter de la vue en grignotant nos sandwichs. Vu notre état de fatigue, nous ne traînons pas à nous coucher, après cette formidable journée de dingue. Demain, décollage à 5h30 pour descendre de la montagne et rejoindre Te Anau !



Durant la nuit, la température tombe en-dessous de 0, mais nos duvets font le taf et nous dormons comme des loirs. Lorsque le réveil sonne en revanche, la sortie est bien difficile ! Il caille, le soleil n'est pas encore levé, et nous prenons le thé sous la tente avant de nous forcer à sortir. Remettre nos chaussures et nos chaussettes trempées de la veille est un véritable plaisir... Heureusement que la vue des montagnes au lever du soleil nous met du baume au coeur!



Dehors, il fait un froid de canard, et nous mettons les gants pour démonter la tente afin de protéger nos doigt rendus douloureux par la caillante. Et puis il faut bien se mettre en route... Parce que oui, l'escalade d'hier, il va bien falloir se la dégringoler, et ce genre de chose est quand même beaucoup plus tendu dans le sens de la descente...

C'est parti pour une journée très intense. Nous quittons notre crête et replongeons dans la forêt. Banzai !!! Nous, je blague, pas question de bourrer, trop dangereux, surtout en pleine nuit... Nous désescaladons tranquillement racines, rochers et bouts de falaise, prenant notre temps et veillant l'un sur l'autre, sans nous presser et en mettant cette fois l'élégance de côté. Nous ne pouvons pas vraiment aller beaucoup plus vite qu'à la montée, et nous mettons seulement un petit quart d'heure de moins qu'hier pour retomber dans la vallée tandis que le ciel s'éclaircit doucement. Et là, surprise ! L'eau a eu le temps d'évacuer la plaine depuis hier soir, et les chemins ne sont plus inondés ! Nous n'avions pas prévu de passer autant de temps à descendre de la French Ridge, nous avons beaucoup à faire aujourd'hui, et nous adoptons une allure de marche forcée.

Dans la forêt, le chemin est à peu près praticable mais toujours aussi boueux. Nous nourrissons tout de même l'espoir de garder les pieds au sec... Jusqu'à ce que nous débarquions sur le plateau et sa douzaine de rivières ! Baste, nous ne sommes plus à ça près. Comme la veille, nous traversons à gué, et remplissons nos chaussures d'une bonne eau de glacier bien fraîche.

Le soleil se lève, et nous découvrons sous le ciel bleu un paysage totalement renouvelé, et toujours aussi grandiose.



Malheureusement, ce qui devait arriver arriva : nous sommes à la bourre. Nous devons absolument rallier Te Anau avant la fermeture des bureaux du DOC pour retirer nos réservations de camping pour le Kepler Track, et 3h30 de route nous en séparent... Nous voilà condamnés à faire ce que nous détestons le plus : nous presser. Nous n'avons pas le temps de profiter du paysage, et nous cavalons en direction de la sortie de la vallée. Bien sûr, nous nous gorgeons les yeux en marchant, mais nous aurions préféré pouvoir multiplier les pauses pour profiter du coin sous le temps radieux, surtout après tout ce que nous avons pris dans la figure hier.



C'est ainsi... Nous rallions rapidement l'Aspiring Hut, et continuons à travers la vallée d'herbes hautes.



De retour sur le chemin traversant les pâturages, nous traversons chacune des rivières par le milieu sans nous arrêter. Malgré l'allure soutenue que nous adoptons, nous ne pouvons qu'écarquiller les yeux devant le paysage.



Le souci, c'est que cavaler à cette vitesse sans interruption les pieds trempés n'est pas sans conséquences : les crevasses de la veille s'ouvrent, et chaque pas nous fait grimacer de douleur. Quand nous atteignons le parking, nous gémissons en pensant aux trois kilomètres restants jusqu'à la voiture.

Nous atteignons notre monture aux alentours de midi, 5 heures et quelques après avoir décollé de la French Ridge. Nous sommes éreintés, courbaturés, nos pieds sont en feu, nos jambes tremblotent, mais nous n'avons pas le temps de nous poser : nous quittons nos chaussures, accrochons nos chaussettes trempées aux vitres, et nous mettons en chemin pour Wanaka. Je profite de la route pour faire sécher nos godasses en les tenant par la fenêtre.

Nous mettons près d'une heure à rallier la ville, et il devient évident que ne pourrons pas atteindre Te Anau avant la fermeture du DOC. Nous nous arrêtons au bureau de Wanaka pour voir si à tout hasard, nous ne pouvons pas y récupérer nos réservations. C'est malheureusement impossible, mais la ranger qui s'occupe de nous, très serviable, appelle le bureau de Te Anau pour leur expliquer notre problème. Je me retrouve au téléphone avec un ranger sur place, qui m'explique qu'il déposera nos réservations dans une boite à l'extérieur du bâtiment. Sympa !

La question réglée, nous repassons au camping pour rejoindre Flo, engloutissons un sandwich, et mettons le cap vers le sud et le Fiordland. Il est 14h.

Nous quittons la formidable région de Wanaka pour plonger dans les non moins formidables étendues du Central Otago. Le paysage change totalement, se couvrant de collines et de petites montagnes rocailleuses entourant des canyons désertiques et poussiéreux. La végétation se compose seulement de quelques buissons desséchés, et le tout présente un aspect minéral, dominé par l'ocre et le brun. Comme lors de notre arrivée à Wanaka, nous sommes abasourdis par la beauté de la route. Nous croisons de très nombreux vignobles.

Vers 18h, nous arrivons enfin a Te Anau, petit village au bord du lac du même nom. Nous passons aux bureaux du Departement Of Conservation, mais nous avons beau en faire trois fois le tour, fouillant dans les moindres recoins, pas de trace de billets... Nous ferons sans, en espérant que notre simple numéro de réservation fasse l'affaire. Pendant nos recherches, nous tombons sur les mises à jours météo épinglées sur la porte d'entrée, pour constater que les prévisions n'ont pas évolué : demain, averses et grisaille prévues pour toute la journée sur le trek...

Nous parcourons les 5 kilomètres qui nous séparent de l'entrée du Kepler Track, vérifions le matériel, et remettons très douloureusement nos chaussures, qui heureusement ont eu le temps de sécher. Et puis courage les cocos, plus que 6 kilomètres de marche avant le camping... La remise en route est un supplice, nos muscles tiraillent dans tous les sens, et nos pieds crient grâce tandis que nous nous lançons sur la célèbre Great Walk.

Nos débuts sur le trek sont pitoyables : nous nous traînons littéralement dans la forêt, telle deux misérables épaves silencieuses... Le chemin, large et plat, serpente parmi les arbres couverts de mousse, au milieu d''un océan de fougères, longeant parfois les rives du lac Te Anau à la surface duquel s'étendent peu à peu les ombres des montagnes du Fiordland tandis que le soleil se couche.



Malgré notre état de fatigue, nous mettons une petite heure à rallier le premier camping, le Brod Bay Campsite, pour y découvrir une forêt plus clairsemée qui ménage des emplacements pour les tentes à quelques mètres d'une plage de galets.

Nous montons le camp, sortons réchaud, tasses et sachets de thé, puis nous posons face aux vagues.



Nous y voilà. Le Fiordland National Park. Etablit en 1952, cet endroit unique au monde, sculpté par les glaciers, où se rencontrent roche et glace, océan et montagnes, forêts et lacs, est le plus grand parc national de Nouvelle Zélande, avec ses 1,2 millions d'hectare d'étendues vierges et préservées. Il doit son nom aux centaines de fjords qu'ont laissé les mouvements puis la fonte des glaces, parmi lesquels on trouve certains des plus beaux joyaux du pays, tel que le Milford Sound et le Doubtful sound, accessibles seulement en bateau. A l'intérieur des terres, l'action des glaciers a façonné un relief de hautes montagnes, de gorges et de vallées, sans parler des lacs. Celui de Te Anau en est un bel exemple. Le Kepler Track, sans nous amené près des côtes découpées par les fjords, va quand même nous permettre d'explorer une infime partie de cet immense parc.

Le Fiordland est l'un des endroits qui fait briller nos yeux depuis un bon moment, et voilà que nous venons d'y pénétrer ! Pourtant, effondrés sur nos galets, nous avons un peu de mal à apprécier l'envergure de la chose : nous sommes exténués, et lorsque nous pensons à la journée qui nous attend le lendemain, nous songeons surtout à la pluie qui va probablement nous tomber dessus et aux 23 kilomètres qui nous séparent de l'Iris Burn, le camping où nous devons passer notre seconde nuit. Nous commençons à nous dire que nous avons eu les yeux plus gros que le ventre en tirant deux grosses marches d'affilée, et le temps pluvieux commence véritablement à nous peser, même si nous savons que les choses auraient été bien pires si nous n'avions pas profité de ces quatre jours de relative accalmie.

Demain est un autre jour ! Nous dînons sous la tente, et à 20h, nous nous endormons comme des masses.

Le climat incertain du Fiordland nous souhaite la bienvenue dans son domaine aux alentours de 4h du matin, sous la forme d'une averse carabinée qui arrose bruyamment la tente. Comme pour nous prévenir que nous allons en baver...

A 6h30, la pluie s'est transformée en petit crachin, et nous en profitons pour déjeuner, plier le camps et mettre les voiles. La bonne grosse nuit que nous venons de passer nous a requinqué, et nous nous mettons en route, résignés mais la tête haute, à travers les arbres dégoulinants, sous un ciel chargé.

Nous sommes alors à 250 mètres au-dessus du niveau de la mer. Première étape : une petite mais raide ascension d'environ 800 mètres pour passer la bushline et rejoindre les hauteurs.

Le chemin s'élève plutôt gentiment dans la forêt pendant une heure, avant d'attaquer un peu plus fort. La grimpette est finalement très agréable : la verdure est partout, les arbres sont couverts de mousse, et le sol disparaît sous un épais tapis de fougères. En fait de pluie, c'est une fine bruine qui tombe, plus rafraîchissante qu'autre chose, et l'horizon doit être dégagé, car le soleil levant brille, transformant les gouttes d'eau qui tombent des arbres en perles dorées. Le sentier, Great Walk oblige, est bien large et dégagé, quoiqu'un peu boueux. Insignifiant en comparaison des champs de gadoue de l'Aspiring...



Nous longeons plusieurs falaises calcaire, puis atteignons la limite de la forêt. le crachin est toujours la, mais le ciel nous offre quelques timides éclaircies.



Nous débouchons sur un plateau totalement dégagé de tussock. Derrière nous, 800 mètres plus bas, le lac de Te Anau forme un méandre qui s'enfonce sur notre droite entre les montagnes. La vue sur le fjord pourrait être sympa si les dites montagnes n'étaient pas couvertes de nuages et de brouillard, formant une masse noire indistincte...



Le temps devient plus conforme aux prévisions : un vent violent se lève, la pluie reprend, il fait un froid de canard, et nos espoirs d'améliorations sont emportés par les bourrasques... Nous ne pouvons qu'imaginer ce que doit être la vue ici par ciel dégagé !

Nous enfilons quelques épaisseurs supplémentaires puis, la tête rentrée dans les épaules, nous avançons péniblement en direction d'un cirque montagneux. Il n'y a pas foule, seul quelques groupes de randonneurs nous précèdent et nous suivent. S'il y a un seul avantage aux réservations de camping et de hutte obligatoires, c'est celui la : le nombre de personnes qui parcourent l'itinéraire en même temps est limité par le nombre de places disponibles.

Nous passons l'une des huttes en question, avant d'attaquer une deuxième ascension dans les plaines vallonnées de tussock. Et là, chance : la pluie s'arrête, le brouillard se lève, le ciel passe du noir au gris foncé, et le mieux, c'est que ça dure !



Nous quittons le plateau pour suivre le flanc du Mont Luxmore. Sans les nappes de brouillard, le décors devient beaucoup plus appréciable, et nous commençons à écarquiller les yeux devant un magnifique paysage minéral et rocailleux à souhait, titubant sous des rafales de plus en plus violentes.



Et plus nous avançons, plus la vue se fait époustouflante et somptueuse. Chaque passage de crête et chaque dizaine de mètres de grimpés nous offrent des points de vue toujours plus impressionnants sur le fjord du lac et sur les interminables chaînes de montagnes du Fiordland, qui se sont presque complètement débarrassées de leurs nappes de brume et de nuages.



Le sentier est d'un genre très... great-walkien. Sans être le boulevard que nous avons arpenté dans l'Abel Tasman, il reste totalement inintéressant d'un point de vue technique : nivelé et couvert de graviers, bordé de pierres qui forment deux lignes bien parallèles... Une vraie allée de jardin.

C'est plutôt du cote du vent qu'il faut chercher le piment de la balade : la progression est laborieuse et titubante, nous sommes impitoyablement secoués par des rafales à déplumer un kiwi, et nous devons parfois nous arrêter, les pied écartés et fermement plantés dans le sol, pour ne pas nous faire jeter au sol par les bourrasques.

Lentement mais sûrement, nous atteignons les 1200 mètres d'altitude. En contrebas, sur une crête, le Forest Brun shelter. En hiver, le parc est le théâtre de nombreuses tempêtes de neige, et le chemin que nous avons suivi traverse plusieurs voies d'avalanche. Le DOC a donc aménagé des abris d'urgence le long de l'itinéraire, dont la petite cabane du Forest Burn, où nous avons prévu de nous arrêter pour grignoter un morceau.

Durant la descente vers le petit cabanon en tôle et en bois, nous avons un peu de mal à apprécier la vue : malgré la facilité de la marche, nous accusons nettement la fatigue des derniers jours, et le vent violent, glacé et ininterrompu pompe dangereusement le peu d'énergie qu'il nous reste. Les choses ne s'arrangent pas lorsqu'une bourrasque projette Léonore contre le flanc de la montagne. Alors que nous ne sommes entourés que de roches et de touffes d'herbes, elle se retient en posant la main sur le seul buisson épineux des alentours...

Nous nous réfugions dans l'abri, minuscule, où une dizaine de randonneurs a déjà trouvé refuge. La foule et l'odeur de renfermé qui règne nous importe peu tant nous sommes ravis de ne plus subir la tornade qui fait rage à l'extérieur...

Quelque sandwichs et biscuits plus tard, nous sommes un peu requinqués et relativement près à affronter la dizaine de bornes qu'il nous reste à parcourir pour rejoindre L'Iris Burn Campsite.

Lorsque nous quittons l'abri, nous constatons que la météo s'est plantée une fois de plus... Dans le bon sens cette fois ! Le ciel est bleu, il n'y a presque aucun nuage, et le soleil brille ! Nous n'en revenons pas : les prévisions annonçaient de la pluie pour toute la journée, nous nous attendions à parcourir la partie la plus aérienne du trek sans pouvoir profiter de la vue à cause des nuages, et voilà que le temps nous ménage enfin une belle surprise. Le vent souffle toujours autant, il fait un froid de canard, mais punaise, il fait beau ! Merveilleusement beau !

Notre motivation remonte en flèche tandis que nous nous remettons en route. A partir de là et pour la moitié de notre après-midi, la balade se résume en deux états de fait : le sentier ne présente toujours aucun intérêt physique ou technique, se contentant de monter ou de descendre tranquillement, bien délimité, suivant paresseusement flancs de montagne et crêtes sans aucune surprise ni passage un tant soit peu amusant. Deuxième chose, il nous offre l'un des paysages les plus époustouflants que nous ayons jamais vu. Finalement, c'est une bonne chose que le tracé soit aussi simple et régulier, car nous pouvons ainsi garder le nez en l'air et profiter d'une vue à tomber par terre sans avoir à surveiller où nous mettons les pattes ! Rien de spécial à raconter donc, mais beaucoup à montrer :



Pendant une heure ou deux, nous volons littéralement entre les chaînes de montagnes du Fiordland, perchés à quelque 1300 mètres d'altitude, entourés par un somptueux panorama, savourant une météo aussi parfaite qu'inattendue et prenant la mesure de ce que nous aurions raté si les prévisions s'étaient vérifiées, nous arrêtant tous les vingt mètres pour profiter du spectacle.



En milieu d'après-midi, nous atteignons un second abris, où nous nous posons un moment en compagnie d'un kea extrêmement curieux, qui examine minutieusement nos affaires pendant plusieurs minutes.



Nous continuons sur une crête surplombant des pentes quasi à pic, sur un sentier toujours plus aérien, qui nous permet d'admirer un paysage toujours aussi formidable.



Le chemin replonge bientôt en forêt, et nous descendons parmi les arbres couverts de lichen tandis que nos jambes et nos pieds commencent à brûler sérieusement. Heureusement, la descente est plutôt tranquille, et nous traversons une forêt plus dense, longeant parfois torrents et rivières, avant d'arriver avec soulagement à l'Iris Burn Campsite vers 16h30.



Notre degré de fatigue atteint des sommets, et après avoir expliqué notre situation au ranger du coin et lui avoir montré notre numéro de réservation, nous trouvons un coin où poser la tente parmi les arbres en bordure de rivière, nous aspergeons copieusement de répulsif pour tenir à l'écart les nuages de sandflies qui nous tournent autour, et nous effondrons à même le sol couvert de feuilles et d'épines.

Nous sommes éreintés. Aujourd'hui, troisième jour de trek, nous avons parcouru près de 23 kilomètres et grimpé 1500 mètres de dénivelé positive. Si nous accusons le coup, cette journée a confirmé ce que nous savions déjà : le fait de cavaler et de nous presser pour enchaîner le Kepler Track directement après notre intense escapade dans le Mount Aspiring n'a pas été sans conséquences... Non pas que nous soyons à bout physiquement, loin de là, mais la fatigue accumulée nous a parfois clairement empêché de profiter pleinement de la journée que nous venons de passer.

Parfois. La plupart du temps, elle était magnifique cette journée! Le paysage à décrocher la mâchoire, sans parler de la surprise de le découvrir et de marcher sous le ciel bleu...

Oui, visuellement, c'était grandiose! Mais (et oui, il y a toujours un "mais")... Même si le tracé du Kepler reste plus intéressant que celui de l'Abel Tasman, nous y avons retrouvé des travers que nous commençons à considérer comme récurrents dans les Great Walks néo-zélandaises : ce côté suraménagé et surtout très dirigiste, sans aucune surprise, qui donne l'impression de suivre un rail, comme si l'on visitait bien sagement un musée de la nature à ciel ouvert (un sacrément beau musée bien sûr)... Sans parler de l'obligation de poser sa tente à des endroits précis, qui enlève beaucoup du piment de la crapahute. Et puis sans être bondé, il faut avouer que le trek est quand même pas mal fréquenté, et nous avons suivi de nombreux groupes tout au long de la journée. Bref, nous n'avons pas eu l'impression de véritablement nous échapper, seulement de visiter quelque chose. Le syndrome Great Walk.

Ca valait le coup, rien que pour le panorama, mais finalement notre virée dans l'Aspiring était définitivement plus jouissive et sauvage!

Je déblatère, mais nous n'en avons pas encore fini. Demain, dernière journée, nous devons encore parcourir 32 kilomètres pour terminer la boucle et conclure ces quatre jours de marche intensive!
Nous décollons aux premières lueurs de l'aube, pour une étape censée se faire en deux jours mais que nous devons tirer en une journée. Et oui, il n'y plus de campings à partir d'ici, seulement des huttes... Nous avons une longue distance à parcourir, certes, mais il s'avère que toute la fin du trek est presque complètement plate, et après ce que nous avons pris dans les jambes durant les trois derniers jours, nous gambadons joyeusement sur un tracé qui est effectivement d'une facilité déconcertante. Ce qui n'est pas plus mal d'ailleurs.

Après un court passage en forêt, nous traversons une vaste plaine tandis que le soleil se lève. De la broussaille, du buisson, des chaînes de montagnes de chaque côté... Si le rendu de l'ensemble n'arrive pas à la cheville de ce que nous avons pris dans les yeux hier, la vallée reste très agréable à parcourir.



Nous replongeons bientôt en pleine forêt. Et quelle forêt! Le sol est couvert de fougères, les arbres de mousse, de lichen et de champignons... le côté forêt de Brocielande enchantée néo-zélandaise qui nous plaît tellement se dévoile ici dans toute sa splendeur.



Nous avançons un bon moment au coeur de la verdure, longeant parfois la rivière qui a creusé la vallée, avant d'arriver au bord du lac fjordique de Manapouri, en vue du refuge censé servir d'étape pour la nuit.



Il est 11h. Nous n'avons pas eu spécialement l'impression de nous presser, pourtant nous avons mis moins de quatre heures pour franchir une étape censée en prendre 6... La hutte est posée au bord du lac, et vu l'avance que nous avons pris et la beauté des environs, nous faisons une longue pause sur la plage, au bord de l'eau, pour profiter du somptueux paysage.



Nous nous remettons en route sur le sentier qui nous fait traverser une forêt toujours aussi luxuriante, avant de nous amener dans une zone marécageuse : le wetland.



Sous ce doux nom se cache un genre de tourbière caractéristique de la région et unique au monde, d'une importance cruciale dans l'équilibre de l'écosystème du coin. Nous content d'héberger des espèces d'insectes et d'oiseaux qu'on ne trouve nul part ailleurs, le wetland agit aussi comme une sorte d'éponge géante, capable de stocker d'énormes quantités d'eau. Ainsi, en cas de sécheresse, l'eau s'en échappe et empêche l'assèchement des rivières, tandis qu'en cas d'inondation, il va absorber l'excédent d'eau. Malheureusement, l'intérêt écologique du wetland n'a été cerné que récemment, après que de nombreux marécages aient été asséchés et transformés en terres cultivables. Aujourd'hui, il ne reste que 10% de la surface originelle du wetland néo-zélandais, et il représente l'un des écosystèmes les plus fragiles et menacés de la planète.



Les derniers kilomètres du trek ne dérogent pas à la règle habituelle des fins de parcours : ils ne sont pas franchement intéressants à parcourir ni particulièrement jolis, hormis durant quelques sympathiques passages en forêt ou au bord de la Waiau River, où nous nous arrêtons pour pique-niquer.



Finalement, nous achevons la boucle juste avant 15h. Paf. Nous en avons fini. Quatre jours de marche, 100 kilomètres à pied. Fiou.

Nous nous traînons jusqu'à la voiture, jetons nos sacs dans le coffre, et quittons avec soulagement nos chaussures. Une délivrance pour nos pauvres pieds !

Nous rejoignons Te Anau pour passer au bureau du DOC. Nous continuerions bien notre exploration du Fiordland, mais lorsque nous consultons sans trop y croire les mises à jour météo, nous constatons que rien n'a changé en quatre jours... En vérité si, il y a eu du changement : les prévisions annonçant de la pluie sur tout le sud-ouest se sont transformées en avis de tempête... Apparemment, à partir de demain et pour toute la semaine suivante, le Fiordland va se faire arroser par une espèce d'orage tropical, et sur le panneau d'affichage du centre d'informations sont placardés plusieurs alertes qui concernent la plupart des treks de la région : inondations, rivières en crue, tempêtes de neige dans les montagne... Pas très reluisant tout ça. D'un autre côté, ces nouvelles balayent complètement les derniers regrets que nous avions après avoir été obligé de nous presser autant : effectivement, nous n'avions pas le choix, et nous avons profité d'un créneau qui ne se représentera pas de sitôt.

Nous ne mettons pas longtemps à décider quoi faire : fuyons ! Nous avons assimilé depuis quelques jours le fait que ces trois petites semaines de vacances vont passer bien vite et qu'il y a énormément de chose à voir et à faire. Nous n'avons pour l'instant fait qu'effleurer la surface des possibilités. En effet, Au fil de nos recherches, de nos préparations et de nos explorations, nous sommes tombés sur une infinité d'opportunités de balade sensationnelles. J'ai évoqué le Rob Roy Glacier, mais il y a aussi plusieurs boucles de deux ou trois jours dans le Mount Aspiring qui nous ont fait tiquer, sans parler du Fiordland dont nous n'avons vu qu'une infime partie et qui regorge d'itinéraires plus ou moins longs. Bref, il y a de quoi faire !

Comme d'habitude, nous prenons conscience de tout ce que nous zappons. Pour le moment. Car oui, nous avons d'ors et déjà prévu de revenir après le picking. Nous avons le temps, et finalement nous en sommes venus a considérer ce premier road trip dans l'île sud comme un aperçu, un dégrossissage de tout ce que nous voulons voir et faire sur cette île merveilleuse, un rapide tour d'horizon. On explore, on tâte le terrain, on passe les grands classiques, on commence à se faire rêver et on amasse une foule d'idées pour la prochaine fois.

C'est donc décidé : demain, direction le sud ! Pour l'heure, nous quittons Te Anau pour rouler quelques heures et rejoindre un camping gratuit, le Monowai campsite, situé au bout d'une petite route en terre au bord du lac du même nom, à la frontière du Fiordland. Sur place, nous découvrons un nouvel endroit paradisiaque, avec de la forêt et des montagnes partout. Et un groupe de jeunes voyageurs allemands particulièrement bruyants. Une petite clairière au cœur des bois offre un spot parfait pour les tentes, et après nos quatre jours de crapahute intensive dont deux sous la pluie, le bain dans le lac n'est pas un luxe, même si l'eau ne doit pas dépasser les 10 degrés. Il y a même du sable pour se frotter ! C'est que nous commencions à franchement sentir le fennec...

Ainsi s'achève notre première semaine de vadrouille sur l'île sud et notre virée sur la côte ouest. Débuts mitigés, suite extraordinaire... J'ai déjà évoqué nos impressions sur Paparoa, les glaciers et le Kepler Track. Finalement, c'est bien notre balade dans le Mount Aspiring National Park qui remporte la palme de meilleur moment de la semaine!

En mettant les formidables parcs et autres réserves naturelles de côté, nous avons découvert au fil de la route une formidable réalité qui semble être générale sur cette île de rêve : il suffit de conduire, simplement conduire, pour en prendre déjà plein les yeux en permanence. Je m'aperçois qu'un nombre significatif de clichés de l'article ont été pris depuis la route. Et pas depuis un petit chemin de terre au fin fond d'un parc mais depuis l'autoroute! C'est dingue, et c'est un fait : l'intégralité des endroits que nous traversons fracasse la rétine. Et alors quand on s'échappe un peu... Vous avez vu le résultat!

Tandis que nous dévorons une plâtrée de nouilles assis dans l'herbe, nous arrêtons notre prochaine destination : Invercargill, plus grande ville de la côte sud. De là, après avoir pris un peu de repos, nous mettrons le cap sur les Catlins, une petite région côtière d'environ 150 kilomètres que nous attendons de découvrir avec impatience, pour la bonne raison que ses plages et ses baies offrent de nombreuses opportunités d'observation de la faune marine. Pour les friands de vie sauvage que nous sommes, la perspective d'aller taquiner phoques, lions de mers et autres mammifères marins est alléchante ! Il paraît qu'il est même possible d'y observer des dauphins et l'espèce de pingouin la plus rare et menacée du monde.

Nous rejoindrons ensuite Dunedin, sur la côte sud-est, pour visiter la ville et surtout la péninsule d'Otago, où colonies de phoques à fourrure, de lions de mer et autres albatros royaux vivent paisiblement dans un écrin de verdure entoure de plages et de criques paradisiaques.

Ce sera pour une autre fois. Nous allons vous laisser là pour le moment, et vous donnons rendez-vous bientôt pour la deuxième partie de notre vadrouille des vacances. Une histoire qui sera dominée par d'incroyables bestioles, par la mer, le sable, l'odeur d'algue et d'iode... A très bientôt !