samedi 14 avril 2018

Coyhaique, la traversée du Cerro Castillo et Puerto Rio Tranquillo : magnifiques découvertes, belles rencontres et trek de l'extrême dans la fabuleuse Patagonie

Du 21 octobre au 1er novembre 2017

Salut la compagnie!

Aujourd'hui, du lourd, du dense, du bon gros pavé comme on les aime chez le Petit Tour! 

Alors Santiago et Valparaiso, c'était sympa, mais pourquoi vient-on au Chili en premier lieu? Pas pour ses villes, même si la belle Valpo reste incontournable. Non, les principaux intérêts du pays se trouvent avant tout dans ses espaces naturels. Quand on couvre une longueur de 4300 bornes dans le sens nord-sud, on dispose d'une variété de climats et d'environnements incomparable, des forêts de toutes sortes, des déserts, des étendues de steppe, de prairie... Ajoutez à cela la deuxième chaîne de montagne continentale du monde par son altitude et la première par sa longueur qui traverse le tout en intégralité, un littoral de plus de 5300 kilomètres, des îles, des fjords, plus tout un tas d'autres joyeusetés, et vous avez une idée du foisonnement de merveilles de la nature qu'il est possible de découvrir dans le pays.

La campagne verdoyante de Chiloé nous a offert une sympathique mise en bouche de nature et d'eau fraîche, mais il était temps de passer le cran au-dessus. Après Chiloé, notre vadrouille a véritablement commencé. Après Chiloé, notre voyage a enfin retrouvé son véritable rythme de croisière. Après Chiloé, nous avons débarqué en Patagonie!  

La Patagonie. Voilà un nom qui fait rêver ! Un nom qui évoque les grands espaces, les forêts, les cimes enneigées de la Cordillère des Andes. Des endroits reculés, inexplorés, sauvages...

La Patagonie, comme je l'avais dis dans un précédent article, est une zone géographique qui couvre tout le triangle sud de l'Amérique latine à l'exception de la Terre de Feu, soit une partie du Chili et de l'Argentine. Une route traverse une partie de la Patagonie Chilienne, une route fameuse pour la beauté incomparable des paysages qu'elle parcourt sur 1240 kilomètres, entre Puerto Montt, où nous sommes passés pour rejoindre Chiloé, et Villa O'Higgins : La Carretera Austral.

Resituons un peu les événements : Après une petite semaine de vagabondage hasardeux et calme sur l'île de Chiloé, nous nous apprêtons donc à rejoindre la Patagonie et à faire quelques premiers pas sur la mythique route qui la traverse. Jusqu'où et pour combien de temps ? A l'heure du départ de Chiloé, nous n'en avons pas la moindre idée, étant donné qu'à cause des incertitudes concernant le Torres, nous n'avons encore rien prévu en dehors des quelques jours qui vont suivre notre retour sur le continent, étant en attente de nouvelles qui n'arrivent pas et que nous n'attendons presque plus.

Heureusement, après la semaine que nous avons passé sur notre petite île, à vadrouiller au pif sans nous embêter de contraintes, une solution s'est enfin imposée. Une solutions magnifiquement simple, une solution qui nous a permis de vivre ce qui comptent parmi les plus beaux jours que nous ayons passer en Amérique du sud !


La traversée


Il est 22h, et nous longeons les berges de la petite ville de Quellon, en direction du ferry qui doit nous emmener loin, très loin au sud, à Puerto Chacabuco, après un voyage de 30 heures le long des côte du sud du Chili. Pour les détails techniques de la traversée (prix, horaires etc...), je vous renvoie à l'article précédent. Ensuite, nous rallierons Coihayque, chef-lieu de la région, et puis... Il sera temps de nous décider : passer en Argentine puis rejoindre directement pour le Torres, ou descendre par la Patagonie chilienne.

Une fois à bord, nos gros sacs à dos reste sous clef dans une salle du pont inférieur, et nous ne gardons que notre petit sac chargé de toutes les victuailles nécessaires pour les deux jours de voyage à venir. 

Sur le pont supérieur, nous découvrons une grande salle parcourue de rangées de sièges. Nous rejoignons notre rangée, pour nous rendre compte qu'en dehors de nous, elle est inoccupée! Fébrilement, nous attendons le départ en espérant qu'aucun retardataire ne vienne gâcher ce qui s'annonce comme une véritable orgie de place et de confort, et entendons bientôt les moteurs ronronner avec soulagement tandis que le ferry quitte le quai. 

Au-revoir Chiloé !

Nous observons un moment les lumières de la cote s'éloigner, avant de profiter de notre lit king-size 5 sièges et de nous endormir comme des loirs.

5 sièges pour nous tout seuls, autant dire que nous ronquons plutôt bien. La dernière fois que nous avons voyagé de nuit de aussi confortablement, ce devait être dans les bus-couchettes vietnamiens!

Nous émergeons juste avant que le soleil ne se lève, et lorsque nous laissons traîner nos yeux fatigués vers le hublot, nous bondissons, enfilons une veste, et sortons dans le vent pour admirer le panorama.

Devant nous s'étalent à perte de vue vers le sud comme vers le nord fjords, îles de toutes tailles et chaînes de montagnes aux arrêtes aiguës et aux sommets enneigés... 



Nous avions lu que la traversée Quellon-Puerto Chacabuco permettait d'admirer de somptueux paysages, et nous ne sommes pas déçus !

Nous ressortirons plusieurs fois au fil de la matinée, chaque fois que nous quitterons nos livres des yeux pour apercevoir par les hublots un nouveau panorama formidable.



Finalement, malgré la durée du voyage, nous ne nous ennuyons pas trop, surtout grâce à l'incroyable décors qui se renouvelle sans cesse. A côté, nous lisons et travaillons notre espagnol, soit à coup de bouquins et de dico, soit grâce aux films diffusés en continu sur le bateau. Nous retiendrons de tout ça qu'ils aiment bien Fast and Furious au Chili, et que Vin Diesel n'a pas l'air plus malin doublé en espagnol...

En début d'après-midi, le ciel se couvre, et le paysage se fait tout de suite plus gris, tandis que les montagnes, au loin, disparaissent dans la brume. Dommage...



Nous profitons de l'après-midi pour discuter de ce que nous allons faire après avoir débarquer, et surtout de ce qui va se passer avec ce crénom de trek au Torres del Paine.

En l'absence de toute réponse de la part de Fantastico et de Vertice, nous devons partir du principe que nous devons attaquer le Torres à la date que nous avions prévue dès le départ, à savoir le 26 octobre. Ceci signifie déjà que l'itinéraire O de 9 jours nous passe sous le nez et que nous devrons nous contenter du W de 5 jours.

Nous avons pris ce bateau pour nous éviter d'avoir à remonter par Puerto Montt afin de passer en Argentine. En passant par Puerto Chacabuco et Coihayque, nous pourrons en effet rejoindre directement le pays voisin depuis un point situé plus au sud, sans avoir à effectuer de kilomètres superflus dans un pays déjà sacrément immense. Mais si nous rejoignons directement l'Argentine depuis Coihayque pour continuer à descendre, nous zappons la quasi-totalité de la Patagonie chilienne : le seul aperçu que nous en aurons sera le parc du Torres del Paine. A côté, les seuls endroits où nous voulons absolument nous arrêter en Argentine, El Chalten et El Calafate, portes d'entrées aux merveilles du parc national Los Glacieres, se trouvent encore plus au sud, et il est possible de les rejoindre sans faire de détour en descendant par la Patagonie chilienne. Pour résumer, soit nous traçons notre route sans nous arrêter par l'Argentine jusqu'à Puerto Natales, pour faire le Torres aux dates prévues, passer en Terre de feu puis nous arrêter à El Chalten et à El Calafate en remontant, soit nous descendons par la Patagonie chilienne en l'explorant. Dans ce cas là, le problème du timing et de l'ordre de nos vadrouilles ne se pose plus, étant donné que nous n'arriverons pas à temps au Torres, et que nous n'aurons plus aucune date à respecter...

De tout le foutoir énoncé ci-dessus, finalement, seule importe la dernière phrase. La voilà la solution que nous commençons à envisager très sérieusement : envoyer péter nos réservations, tout annuler, et enfin, enfin... Etre libres ! Etre libres d'aller où nous le voulons, quand nous le voulons. Le Torres del Paine, le O, le W ? Nous verrons plus tard ! Enfin, ne nous emballons pas trop non plus, le procédé risquerait de nous coûter le prix de nos réservations avec Fantastico... Nous y réfléchirons plus tard.

C'est sur ces réflexions que le soir arrive, tandis que tous les enfants de moins de 12 ans présents dans le navire commencent à péter un plomb, à hurler et à courir dans tous les sens. Faut les comprendre, après bientôt 24 heures de traversée...

C'est à ce moment que nous entendons derrière nous « alors, vous aussi vous en avez ras-le-bol ? »

Nous nous retournons, pour faire la connaissance de Louis et Anaïs, deux voyageurs français avec lesquels nous nous mettons à discuter. Ils sont en vadrouille autour de la planète depuis presque un an, et vivent en Amérique du sud les derniers mois de leur voyage. Pour plus d'informations, je vous laisse découvrir leur blog.

Nous entendons rapidement bien, et nous passons les dernières heures de la journée sans les voir défiler, à parler voyage, voyage et encore voyage.

Notre deuxième nuit sur le navire est bien plus agitée que la précédente, un groupe de jeunes chiliens ayant apparemment décidés de fêter cette dernière soirée en mer à grands coups de bouteilles et de hurlements, sans trop se soucier des quelques 80 autres passagers qui essayent de dormir dans la salle...


Premier aperçu et reconsidération : Coyhaique et sa réserve


Quand le bateau jette l'ancre à Puerto Chacabuco, vers 8h du matin, nous n'avons dormi qu'une heure ou deux, et nous récupérons nos sacs avant de tituber pour rejoindre la terre ferme. A la sortie du navire, nous attendons un peu Louis et Anaïs histoire de leur dire au-revoir, mais nous ne les retrouverons pas, et nous nous dirigeons vers les minibus qui attendent sur le parking du port en essayant de garder les yeux en face des trous.

Géographiquement, nous voici plutôt au sud du pays, à peu près en plein milieu de la Patagonie chilienne, dans la région d'Aysen.

Le ciel est gris, un crachin glacé tombe, nous sommes épuisés, mais nous essayons de rester efficaces. Pour 1000 pesos, un bus nous dépose dans un village proche, Puerto Aysen, où nous attrapons un car pour Coyhaique, principale ville du coin.

Pendant l'heure et demi que dure le trajet, nous devinons tout juste le grandiose décors de montagnes et de forêts qui se dévoile à peine derrière un dense rideau de pluie... Parce que oui, la Patagonie c'est aussi ça : un climat complètement craqué 7 mois sur 12, du genre Fiordland en Nouvelle Zélande ou Tasmanie en plein hiver, avec les quatre saisons dans la journée et tout le tsouintsouin. Globalement donc, la Patagonie, c'est la foire météorologique, mais il faut en plus noter qu'en octobre, c'est le printemps au Chili, mais que dans les montagnes de la Patagonie chilienne, ce mois correspond au climat le plus défavorable de l'année... Bref, nous risquons de bien nous faire arroser dans les semaines qui viennent, quelque soit notre programme!

Lorsque nous débarquons dans la périphérie de Coyhaique, la pluie s'est arrêtée. Comme d'habitude, nous arrivons les mains dans les poches, et nous demandons avant tout au chauffeur du bus où se trouve le terminal le plus proche, histoire d'aller quérir quelques informations sur les destinations possibles à partir d'ici. Nous voulons notamment vérifier s'il est possible de partir pour Puerto Natales demain, le 24, seule solution pour débuter le Torres le 26.

A force de demander notre chemin, nous parvenons à nous traîner jusqu'au terminal de bus de Coyhaique, et nous nous renseignons pour apprendre que nous pouvons partir à Puerto Natales dès demain. Pour partir aujourd'hui, il faut d'abord se rendre à Chile Chico, un village frontalier situé à 380 bornes de Coyhaique, pour passer en Argentine et y chopper une correspondance vers le sud. Il est hors de question de taper une mission pareille aujourd'hui, déjà à cause de notre état de fatigue, ensuite parce que nous avons besoin d'un peu de temps pour réfléchir et nous décider vis-à-vis de la Patagonie.

La priorité à présent est de trouver un point de chute où nous effondrer et penser à tête reposée, et nous nous mettons en route vers le centre-ville. Sur place, nous faisons une entorse à nos règles alimentaires économiques en nous prenant un empanadas et un café chaud. Des fous ces jeunes!

Assis au bord d'un trottoir, nous grignotons notre pti dèj en essayant de garder les idées claires. Et c'est pas facile...

Nous n'avons pas la force de quetter nos informations à la mode habituelle, en demandant autour de nous, et nous rejoignons un cybercafé pour trouver un camping proche. Nous en profitons pour chercher des informations supplémentaires sur les bus assurant la liaison entre Coyhaique et Puerto Natales... Et paf : une seule compagnie assure le trajet, à raison d'une fois toutes les deux semaines! Le prochain bus part le 30 octobre, dans une semaine...

Nous dénichons l'adresse de la compagnie et nous y rendons, pour discuter un moment avec le patron, qui nous confirme tout ça. Et bien les transports en Patagonie, c'est un sacré bazar...

A ce stade, nous approchons de l'état de loques, et décidons d'arrêter les frais pour le moment : nous avons repéré un camping un peu à l'écart du centre, et nous nous y traînons dans un dernier effort. Le coin en question, très sagement nommé "El Camping", se trouve au milieu des bois, au nord-est du centre.

Quand nous arrivons devant le portail fermé, nous craignons de vivre un remake de notre journée à Chonchi, sur Chiloé, mais bientôt un jeune homme bien sympa apparaît et met fin à nos angoisses.

En revanche, le prix qu'il nous demande pour poser la tente les ravive... Nous savons que la Patagonie, c'est cher. Mais punaise, 5000 pesos non négociables par personne et par nuit pour une satanée guitoune, c'est quand même raide! Nous sommes dans une région sauvage, le peu de zones de civilisation qui la parsèment sont éloignées les unes des autres et relativement difficiles d'accès, et nous nous attendions à ce que cet état de fait ait un impact sur le prix de la nourriture et du matériel, mais visiblement les tarifs des hébergements s'en ressentent aussi... Sans rire, nous demander quelque chose comme 13 euros pour poser notre tente, c'est un coup à nous provoquer une attaque! Il va falloir nous y faire...

C'est aussi pour ça que nous hésitons à prolonger notre séjour dans cette région du monde : tout est magnifique, certes, mais tout coûte un bras!

Nous n'avons pas le cœur à poursuivre nos recherches, et nous nous arrêtons ici. A ce prix là, nous avons la douche chaude et l'abris pour cuisiner et profiter du wifi fulgurant.

Nous montons le camps dans la vaste pelouse du camping et nous posons enfin avec un café. Nous allumons les ordis, et pan, branle-bas de combat, tout le monde à son poste : nous avons un mail de Fantastico! Victoire! Après une semaine de relance, de messages quotidiens, d'attente, enfin les bougres nous répondent!

Et en fait non. La grande question, pouvons-nous repousser nos réservations pour pouvoir faire le O, reste sans réponse. Dans le mail que nous recevons, on nous annonce que l'itinéraire O est finalement fermé jusqu'au 15 novembre, et... C'est tout. Aucune autre information ne nous est donnée, nous avons l'impression que les filous ont envoyé un mail général informatif à toutes les personnes ayant réservé leur camping sur le O, qu'ils n'ont jamais lu aucun de nos messages...

Et bien sûr, toujours aucunes nouvelles de Vertice. D'un côté, nous ne sommes pas surpris, voilà un moment que nous avons compris que leur pseudo système de réservation en apparence carré et bien organisé n'est qu'une vaste blague, et cette nouvelle preuve de l'inefficacité de la chose nous laisse de marbre. Dans nos têtes, l'idée se précise : nous allons tout annuler!

Nous n'avons pas vraiment envie d'y réfléchir maintenant, nos réserves de boustifaille sont à sec, et nous retournons dans le centre-ville pour faire un tour et acheter quelques provisions.

La ville de Coyhaique, située entre la Cordillère des Andes et les fjords de la côte, capitale de la région d'Aysen, ne présente pas de véritable intérêt en elle-même. Assez grande et développée, plutôt calme, elle sert surtout de camps de base pour explorer les environs. Et quels environs! Tandis que nous parcourons le centre, nous admirons surtout les montagnes couvertes de forêts et les falaises qui se dressent autour de la ville, n'attendant que de se laisser explorer. Nous ne pouvons décemment pas partir d'ici avant d'avoir fait un tour dans le coin! Nous passons au bureau de la CONAF histoire de dire, et on nous refile un plein paquet de prospectus décrivant les parcs et réserves du coin et les balades qu'il est possible d'y faire.

De retour au camping, nous tombons sur un couple de voyageurs chiliens très sympas qui viennent de poser leur tente, et nous commençons à discuter tant bien que mal à l'aide de notre espagnol balbutiant. Le gérant du camping nous rejoint bientôt, et la discussion s'oriente rapidement vers le Torres del Paine et nos déboires concernant la préparation de notre trek. Voilà que nous avons trois chiliens pour nous aiguiller, et nous comptons bien en profiter!

En entendant notre histoire, ils sourient avec compassion et compréhension, pas surpris le moins du monde. La discussion et la formidable soirée qui s'ensuivent marquent le début d'une glorieuse réaction en chaîne qui va se dérouler sur plusieurs jours : nos amis se marrent bien à la vue de ces hordes de visiteurs qui se précipitent au Torres, ils ne comprennent pas l'engouement que suscite le trek dans une région qui a tout aussi bien à proposer pour moins cher et moins fréquenter. La CONAF? Des guignols, dont les méthodes de gestion répondent plus à des objectifs de profits que de conservation.

Nous voilà inconsciemment confortés dans une décision que nous avons presque déjà prise : le Torres attendra. Débordés par les perspectives qu'ouvre cet éventuel changement de programme, nous discutons fébrilement de tout ce qu'il y a à faire dans les parages. En feuilletant la doc que nous avons récupérer au bureau de la CONAF, nous avons repérer une balade de quelques heures dans la réserve nationale de Coyhaique, un parc forestier de 2150 hectares créé en 1948 et situé à quelques kilomètres de la ville, et nous demandons son avis au patron du camping, qui nous recommande chaudement d'aller y jeter un œil. Nous avons notre programme pour demain!

Mais ensuite? Nous revenons sur le "une région qui a tout aussi bien à proposer", et le rêve commence : nos compagnons nous parlent de la Réserve Nationale du Cerro Castillo, qui entoure la montagne du même nom, et d'un trek de quatre jours qui la traverse. L'itinéraire, qui débute à 70 kilomètres au sud de Coyhaique, est surnommé par les chiliens "le deuxième Torres"! Camping gratuit, paysages grandioses, chemin facile à suivre sans gps... Retenedidju! Plus les gars nous en parlent, plus nos sourires s'élargissent, ce qui les fait bien rire. En voyant nos réactions, et en entendant les récits de nos balades passées et de ce que nous apprécions dans la rando, ils concluent simplement : "cherchez pas, allez-y"!

La soirée se poursuit sur le même ton, en bonne compagnie, tandis que nous prenons conscience petit à petit que nous voilà enfin libres et que la Patagonie chilienne nous ouvre grands ses bras.

Nous nous couchons avec un gros poids en moins sur l'estomac, mais en nous disant que nous laisserons tout de même passer la journée du lendemain et le premier aperçu des étendues sauvages patagoniennes qu'elle va nous offrir avant de poser tout ça définitivement.

Au réveil, nous saluons nos amis qui doivent continuer leur route vers le sud, les remerciant pour leurs sages conseils, et nous mettons en route vers la réserve nationale de Coyhaique.

L'entrée de la réserve se rejoint sans problème à pied, en environ une heure, en suivant la Carretera Austral vers le nord sur environ deux kilomètres depuis la sortie de la ville jusqu'à une jonction avec une route en terre qui s'ouvre sur la droite, magnifiquement indiquée par un joli panneau "Reserva National Coyhaique".

En chemin, nous discutons du déroulement des prochains jours, reprenant nos réflexions là où elles s'étaient arrêtées hier. Nous mettons des mots formels sur ce que nous avions déjà plus ou moins décidé : ce soir, nous enverrons un mail à Fantastico pour leur demander d'annuler toutes nos réservations de camping et de nous rembourser. Nous avons du mal à comprendre comment nous avons pu passer autant de temps à tenter de surmonter autant de problèmes avant d'en arriver à cette extrémité! Nous avions tout simplement confiance dans le système, bien présenté qu'il est, et voulions faire les choses en règle. On pourra trouver à redire un paquet de choses sur le Departement Of Conservation en Nouvelle Zélande, mais il faut admettre que point de vue organisation, information et communication, ils assurent, et nous nous sommes visiblement trop habitués à la fluidité totale dans la préparation de nos randos! Au point de la considérer comme allant de soi. Mais au-delà de ça, il faut se rendre à l'évidence : nous sommes des maîtres de l'improvisation, de l'adaptation et nous anticipons quasiment tous les problèmes avant qu'ils ne se posent, mais nous sommes définitivement largués quand il s'agit de prévoir quelques choses efficacement plus de quelques jours à l'avance. Nous ne fonctionnons pas comme ça.

En revanche, il est clair que nous voulons aller y vadrouiller, dans ce parc du Torres del Paine. Ce n'est pas possible de faire autant d'esbroufe autour de quelque chose sans raison! Le trek W fait tout de même partie des plus beaux itinéraires de grande randonnée au monde, et nous sommes convaincus que son côté poule aux œufs d'or touristique du Chili doit être justifié. Ce doit être forcément incroyable pour faire autant de bruit! Nous irons donc à Puerto Natales, après notre virée argentine à El Chalten et El Calafate, et préparerons notre virée là-bas quand nous arriverons. Si nous devons attendre, nous le ferons. Pas trop longtemps cela dit, le reste de notre programme au Chili étant plutôt chargé depuis que nous nous sommes plongés dans sa planification! Normalement, les hébergements sur le Torres se réservent plusieurs semaines voir plusieurs mois à l'avance en pleine saison touristique, mais nous comptons sur le fait que ladite pleine saison ne batte pas encore son plein pour espérer trouver des disponibilités.

Et voilà. Enfin. Plus de contraintes, plus de timing à respecter. Nous sommes libres, détachés de toute obligation, en plein cœur d'une Patagonie chilienne dont nous n'entendons que du bien depuis que nous avons atterri en Amérique du sud, une région qui semble contenir tout ce que nous aimons. Le coût élevé de la vadrouille ici? Notre surplus d'économies réalisé en Nouvelle Zélande est justement là pour ça! Nous ne voulons pas nous plus nous éterniser dans ces contrées, mais aujourd'hui, notre battement de deux ou trois jours se transforme en au moins une semaine, une semaine minimum pour parcourir un petit bout de la Carretera Austral et explorer les étendues qui l'entourent!

Lorsque tout ça se formalise finalement, nous avons l'impression que la seule tâche sur le tableau sinon parfait des deux premières semaines sud-américaines que nous venons de passer disparaît. Nous allons enfin pouvoir commencer à voyager! 2 semaines pour capter... La Nouvelle Zélande nous aura décidément bien endormis...

Nous voilà bondissants, le cœur léger, l'esprit entièrement tourné vers le ici et le maintenant, sur notre petit chemin de terre.

Après quelques bornes supplémentaires au milieu d'une belle campagne, nous arrivons au poste de rangers qui marque l'entrée du parc. A noter que l'accès à la réserve est facturée 3000 pesos.



Bon, là on commence à discuter! Il est temps de voir ce que donnent les balades dans les contrées chiliennes, et de faire une première incursion dans les étendues sauvages de la célèbre Patagonie. Le soleil manque un peu, mais le temps est sec, au moins nous marcherons à la fraîche.

En Nouvelle Zélande, nous nous sommes habitués à être totalement assistés pendant nos balades par les innombrables panneaux et balises qui jalonnent le moindre itinéraire, et la réserve ne nous dépayse pas à ce niveau là : le chemin fait la largeur d'un boulevard, les différents itinéraires sont inratables et clairement marqués. On est plus en présence d'une promenade en forêt que d'une véritable randonnée! Nous nous lançons sur une boucle de 4 heures qui passe les plus beaux spots du parc.

Point de vue technique, il n'a pas grand chose à dire, la boucle est simple et ne comporte pas de difficulté particulière. Seules quelques courtes et tranquilles montées font un peu chauffer les jambes.

Néanmoins, nous prendrons bien les quatre heures estimées pour faire notre petit tour, nous arrêtant sans cesse pour profiter du cadre magnifique et de la tranquillité du coin.

Seulement quelques minutes après notre départ, nous entendons résonner un bruit vrombissant, et levons les yeux pour rencontrer notre première bestiole endémique de Patagonie, un pic de Magellan en train de tambouriner comme un forcené contre le tronc d'un arbres.



Le sentier nous fait traverser une forêt à la flore variée de conifères, de résineux et de massifs de bambous qui poussent au milieu des sapins.



Le principal intérêt de la réserve tient dans les nombreux lacs que croisent la boucle. Nous découvrons ainsi la belle Laguna Los Sapos :



Les passages en forêt se renouvellent sans cesse visuellement. Nous ne prenons quasiment pas d'altitude, pourtant la végétation change d'un kilomètre à l'autre!



Nous parvenons à la Laguna Venus, fameuse pour la couleur turquoise de son eau, qui n'apparaît malheureusement que sous les rayons du soleil... Derrière, les contreforts de la Cordillère des Andes se devinent dans le brouillard. Nous voilà plus proche que jamais de la plus longue chaîne de montagne du monde, celle que nous allons suivre durant les mois qui viennent vers le nord, et dans laquelle nous avons d'ors et déjà prévu plusieurs courses, dont la première devrait peut-être se dérouler plus tôt que prévu, avec cette histoire de Cerro Castillo...



Nous continuons ensuite à travers un sous-bois, encore et toujours changeant, qui nous rappelle parfois les forêts enchantées néo-zélandaises.



Nous débouchons sur la grande Laguna Verde, et empruntons un sentier qui en fait le tour, multipliant les pauses pour profiter de la beauté du paysage.



Nous savourons le calme ambiant. hormis un petit groupe de visiteurs aperçu au loin un peu plus tôt, nous n'avons croisé personne depuis le début de la balade!

Nous sommes biens, à présent sans aucune préoccupation pour nous parasiter l'esprit, et ce premier aperçu des étendues patagoniennes nous scotche. Les jours suivant s'annoncent grandioses!

Nous rejoignons la sortie de la réserve après un petit pique-nique dans la cambrousse, et rentrons tranquillement à Coyhaique en fin d'après-midi, pour nous poser au camping et commencer par faire ce que nous aurions du faire il y a une semaine : envoyer un mail poli mais pas trop à Fantastico, leur signalant que ça commence à bien faire et que nous voulons annuler et nous faire rembourser l'intégralité de nos réservations de camping sur le Torres, ce qui représente tout de même la somme rondelette de 100 euros. Comme je le disais, normalement il est impossible d'obtenir un remboursement si l'on annule moins d'un mois à l'avance, mais avec l'ouverture de l'itinéraire O sans cesse repousser, Fantastico nous a proposé d'annuler nos réservations et de nous rembourser quelque soit le délai. C'est désormais officiel, notre visite du Torres del Paine est repoussée à une date indéterminée!

Une bonne chose de faite. Nous voilà libres de nous atteler à une tâche autrement plus exaltante : nous renseigner un peu plus sur cette fameuse traversée du Cerro Castillo.


La traversée du Cerro Castillo


Nos compagnons chiliens ne nous ont pas menti, et nos premières minutes de recherche nous mettent rapidement la bave aux lèvres : la Réserve Nationale du Cerro Castillo (qui devrait être reclassée sous peu en tant que parc national), créée en 1970, couvre une superficie de plus de 138 000 hectares dans la Cordillera Castillo, une chaîne de montagnes qui fait partie de la Cordillère des Andes. La traversée de la réserve est plutôt célèbre dans le milieu des initiés, et permet de profiter de ses paysages d'une variété visiblement exceptionnelle qualifiés unanimement d'extraordinaires. Vallées, forêts, montagnes, lacs... Nous apprenons bientôt que le trek est même souvent considérée comme l'une des courses les plus spectaculaires de Patagonie, et du Chili en général!

La balade débute au niveau d'un lieu-dit situé à 70 kilomètres au sud de Coyhaique et à quelques 800 mètres d'altitude, sur la Carretera Austral, appelé "Las Horquetas", et s'achève dans le petit village de Villa Cerro Castillo. Côté longueur, il existe deux itinéraires : si les deux premiers jours sont communs, il est possible de changer de tracé pour rejoindre le village à la fin du troisième jour, où de continuer pendant une journée supplémentaire. Dans le premier cas, la distance parcourue est d'environ 40 kilomètres, tandis que la version rallongée couvre une distance totale de quelques 60 bornes.

Une première journée facile fait parcourir 13 kilomètres sur du plat jusqu'à un premier camping, Rio Turbo. Petite parenthèse, même si nous ne raffolons pas des coins campings désignés, ils présentent un intérêt certain du point de vue de la conservation des espaces naturels, en permettant à tout le monde de camper au même endroit. Dans la mesure où ces campings sont gratuits, nous les utilisons sans sourciller, même si le côté camping sauvage en prend un coup. Le deuxième jour, après quelques 4 kilomètres de marche, une première ascension conduit au col El Penon, 1676 mètres, après quoi l'itinéraire redescend dans la vallée suivante pour arriver au deuxième camping, El Bosque. Il est possible de remonter pour camper près de la Laguna Cerro Castillo, un lac d'altitude niché au creux d'un décors apparemment grandiose. Le troisième jour, soit on choisit de prendre la voie de sortie vers le village Villa Cerro Castillo, soit on continue pour descendre le long d'une crête en direction d'une autre vallée où se trouve le camping New Zealand (tiens!), afin de rejoindre le village le lendemain.

Point de vue physique, l'itinéraire est relativement difficile, et s'adresse à des randonneurs ayant un minimum d'entrainement. En revanche, il ne nécessite pas de compétences ou de matériel d'alpinisme, est techniquement plutôt simple, même si deux ou trois passages demandent de franchir des rivières ou des pierriers, et le sentier est assez bien balisé et évident à suivre. Nous lisons quand même une ou deux fois sur des forums de discussion que la balade s'adresse plutôt aux alpinistes qu'aux randonneurs, mais seulement à cause du fait qu'elle peut être vraiment rude physiquement... Bref, tout cela est pile-poil dans nos cordes! Balise, difficile mais pas trop, juste ce qu'il faut de technique pour être intéressant, sans nous mettre face à des passages trop compliqués.

La traversée du Cerro Castillo, plus nous en lisons à son sujet, plus nous avons l'impression qu'elle a été créée pour nous, qu'elle nous attendait, tant elle correspond exactement à notre niveau et à ce que nous aimons dans la randonnée!

Car en plus des intérêts techniques et visuels, il y a les à-côtés : la relative difficulté du tracé et son côté assez alpin isolé et reculé l'ont préservé des masses de visiteurs, il reste finalement assez méconnu en dehors du milieu des marcheurs, et est parait-il très peu fréquenté malgré sa beauté. Et en plus nous sommes encore en basse saison! Sans parler du fait que comme nous l'avaient annoncé le gérant du camping, des campings gratuits jalonnent l'itinéraire.

L'entrée du parc, en revanche, est payante, à raison de 5000 pesos par personne.

A ce stade, notre état frise l'hystérie : il n'y a pas à réfléchir, il faut que nous y allions! Nous voilà remontés à bloc par la perspective de la traversée. Nous remercions chaudement le patron du camping pour nous avoir recommandé la course, et nous lançons sans plus tarder dans la préparation de notre première échappée d'envergure dans les étendues sauvages patagoniennes.

Et tout s'emballe : comme d'habitude, nous commençons par consulter la météo, et paf, 4 jours de temps à peu près clément avec peu ou pas de pluie à partir de demain. Peu ou pas de pluie, pour le printemps patagonien, ça tient du miracle! Après ces quatre jours, les tempêtes de neige et les orages se succèdent...

Et bien pourquoi attendre? Pourquoi ne pas profiter dès à présent de notre liberté retrouvée? nous lancerons les festivités dès demain matin! Que c'est bon tout ça!

Nous plions la logistique en quelques minutes : à treize kilomètres du début de l'itinéraire se trouve un camping géré par la CONAF. Nous prévoyons de nous y rendre pour y décharger nos sacs et nous procurer une carte avant d'attaquer notre balade, contre la promesse de venir y passer la nuit à notre retour. Moyen de déplacement? Le stop bien sûr! Une première session pour rejoindre le camping, une deuxième en direction de l'entrée du tracé, et une autre pour revenir au camping récupérer nos affaires. Nous verrons sur le tas si nous effectuons l'itinéraire de quatre jours ou celui de trois. Bien entendu, nous visons le plus long, mais nous attendrons de voir si les prévisions météo se vérifient, ce qui est loin d'être garanti dans une région pareille, et ce qu'il en est réellement du point de vue de la difficulté.

Nous rejoignons ensuite le centre-ville pour nous charger de 4 jours de provisions. Pour ce qui est de la flotte, d'une part le sentier se trouve à portée d'un cours d'eau quelconque sur quasiment toute sa longueur, et d'autre part il est de notoriété publique que l'eau des rivières, en Patagonie, fait partie comme en Nouvelle Zélande des plus pures au monde.

Le soir venu, nous sommes près pour quatre jours en autonomie complète dans le Cerro Castillo... demain, nous partons pour notre première incursion dans la majestueuse Cordillère des Andes! Ca va être grand cette histoire!

Le matin, nous plions le camps et mettons les voiles, pour aller nous poster à la sortie de la ville et lever le pouce. Il est à peu près 9h, et nous espérons pouvoir attaquer notre trek avant midi, histoire de tenir un peu la distance préconisée pour le premier jour.

Encore une fois, nous n'attendons pas longtemps : un fourgon de la poste s'arrête au bout de dix minutes, et la facteur nous invite à monter! Mieux, nous avons juste à prononcer les mots "Cerro Castillo" pour que notre homme nous répondent "z'inquiétez pas, je connais la route!", et propose de nous poser une quarantaine de kilomètres plus loin. Lui-même doit quitter la Carretera pour se rendre à Balmaceda, près de la frontière avec l'Argentine, afin de déposer des colis à l'aéroport. Il nous laissera à la jonction entre la Carretera Austral et sa route.

En chemin, nous discutons services publiques. Notre homme apprécie son boulot : vu la faible concentration d'habitants en Patagonie, il n'y a pas des tonnes de courrier à distribuer, il connait tout le monde, et passe en outre ses journées à sillonner les formidables étendues de la région. Il nous explique qu'en hiver, à cause des chutes de neige, la Carretera Austral est parfois complètement impraticable, et des villages restent isolés pendant plusieurs semaines!

Tout en l'écoutant, nous écarquillons les yeux devant les paysages sublimes que nous traversons. La route est bordées de prairies et de pâturages verdoyants, derrière lesquels s'élèvent de petites collines couvertes d'herbe dorée ou émeraude et piquetées d'arbres. Hormis quelques fermes, nous ne croisons aucune habitation. Bientôt, à l'ouest, s'élèvent les montagnes saupoudrées de neige de la Cordillera Cerro Castillo, la chaîne de montagne qui comprend le parc du même nom.

C'est beau. C'est grand. Et dire que nous allons plonger là-dedans!

Comme si les paysages ne suffisaient pas à notre bonheur, notre facteur ralenti à l'approche d'un pré en nous désignant un groupe d'énormes oiseaux noirs posés dans l'herbe... Alors tout le monde sait que l'un de nos grands bonheurs dans la vie est de découvrir de nouvelles bestioles, et cette objectif nous pousse parfois à nous lancer dans des missions bien abracadabrantesques dans le seul but d'observer un nouveau piaf, poisson, reptile, mammifère, et j'en passe. Dans la Cordillère des Andes, ce n'est pas ça qui manque, et les centaines d'espèces d'animaux qui peuple l'emblématique chaîne d'Amérique du sud et ses alentours font partie de ces choses que nous attendons avec impatience. Il y a notamment un rapace que nous attendons de voir depuis de longues années, iconique en ces contrées, sacré pour la plupart des communautés andines : le fameux condor des Andes. Et rlan, nous en avons une bonne dizaine sous les yeux, à une cinquantaine de mètres de la route!

Alors oui, ça pète un peu le mythe : nous nous attendions à croiser nos premiers condors planant majestueusement dans le ciel de leur envergure de plus de 3 mètres (!), décollant d'un perchoir niché contre le flanc d'une haute falaise, au fin fond d'un endroit reculé... Et puis non, nos premiers condors sont au sol dans un champs, festoyant probablement autour d'une carcasse de mouton comme les gros charognards qu'ils sont, à un jet de pierre de la grosse Carretera Austral... M'enfin quand même, des condors!

Nous nous faisons larguer en pleine pampa, dans la brousse, à la jonction entre la Carretera et la route pour Balmaceda. Nous voilà au milieu d'une plaine d'herbes folles battues par les vents, au pied de la chaîne du Cerro Castillo dont les sommets disparaissent dans le brouillard à l'ouest, et... Il n'y a pas un chat. Pas un bruit de moteur à l'horizon, pas une voiture. Pourtant la vue porte sur des kilomètres à travers l'immense plaine qui court au sud et au nord... Nous v'là beaux...

Nous nous postons sur la Carretera, et comme d'habitude dans ce genre de situation, nous commençons à déblatérer un nombre effarant d'âneries à la minute, faisant quelques pauses pour entonner des chansons de marins ou de mineurs afin de passer le temps. Nous savons que nous risquons de rester bloqués là un bon moment, à seulement une vingtaine de kilomètres du camping de la CONAF et à quelques trente bornes du début de la traversée : les deux premières voitures qui tournent dans notre direction (remplies à ras bord de bagages et d'occupants aux mines désolés mais encourageantes) passent à 15 minutes d'intervalle... Et oui, le stop peut fonctionner du tonnerre dans un pays, s'il n'y a personne sur la route...

Il est 10h passé, et nos espoirs d'attaquer avant midi s'amenuisent de minute en minute. Un 4x4 s'arrête bien derrière nous à un moment, mais il dépose juste quelqu'un avant de repartir en direction de Coyhaique.

Cela dit, tout va bien : nous savions que nous allions nous paumer au milieu de nul part et nous attendions un peu à nous retrouver glandouillant au bord de la route. Nous avons comme à l'accoutume prévu un jour supplémentaire de nourriture, ce qui fait qu'en dernier recours nous pouvons toujours passer la journée à nous enfiler les trente kilomètres qui nous séparent du début de la balade et attaquer demain. Et puis le paysage qui nous entoure est à tomber par terre, il fait beau, et à l'heure actuelle rien ne peut entamer notre bonne humeur. Nous avons du temps et de la ressource dans l'une des plus belle région du monde, et c'est tout ce qui importe!

Et puis finalement, tout se termine bien : après 45 minutes d'attente, la quatrième voiture qui passe, qui est tout bien considéré la première avec de la place et qui va dans notre direction, s'arrête et lâche un coup de klaxon.

Nous faisons la connaissance de deux randonneurs chiliens suréquipés d'une cinquantaine d'années, genre grimpeurs habitués de la montagne au visage buriné par le vent, le soleil et le froid. A nouveau, nous avons juste à dire "Cerro Castillo" pour que les gars démarrent à fond de train avec l'air de ceux qui savent parfaitement de quoi on parle. En chemin, nous disparaissons sous les fleurs qu'ils nous lancent concernant notre niveau d'espagnol!

Parce qu'il se porte plutôt bien, il faut dire, ce niveau d'espagnol. Nous travaillons presque chaque jour, et grâce à notre vadrouille volontairement désinformée sur Chiloé et plus généralement à notre propension à aller embêter n'importe qui dès que nous avons une question histoire de travailler notre oral, en seulement quelques semaines notre vocabulaire a pris un bon coup de fouet, et notre oreille s'habitue progressivement à la langue. Plutôt lentement il est vrai, l'espagnol chilien étant parfois un vrai calvaire à comprendre. Il nous arrive toujours de tomber sur un interlocuteur que nous captons sans trop de problèmes, ce qui nous rend fiers comme des coqs, pour ensuite discuter avec quelqu'un qui nous parle un espagnol à couper au couteau qui pourrait passer pour une autre langue, ce qui nous décourage complètement. Un peu comme quand, ne parlant encore pas très bien anglais, nous sommes passés de Melbourne à la campagne du fin fond du Queensland en Australie, sauf qu'aujourd'hui nous avons vraiment l'impression que la pratique ne va rien arranger. Lorsque nous discutions avec Paco et ses amis en Nouvelle Zélande, eux-même nous ont révélé qu'ils ne comprenait pas tout le temps l'espagnol chilien... Nous faisons également un genre d'erreurs récurrent et assez marrant : nous avons les mots, mais nous les sortons en appliquant les règles de grammaire anglaises!

Mais je m'égare. Coup de chance, nos deux montagnards font partie de la première catégorie, et nous discutons bien pendant le trajet. D'après eux, dans un mois ou deux, nous parlerons espagnol comme... Ba une vache espagnole du coup. De leur côté, ils cherchent des sommets à faire dans le coin, et nous papotons sur l'Himalaya et la Cordillère des Andes, sur les Alpes et les Pyrénées. Ils rêvent de faire un tour dans nos montagnes nationales, et nous leur parlons des Ecrins, du Vercors, avant de ruiner, pour la bonne cause, leurs idées sur le Mont Blanc en leur décrivant les longue files de grimpeurs qui se suivent à n'en plus finir sur ses pentes.

Avec tout ça, nous voyons à peine le panneau indiquant un camping proche, et nous n'avons pas le temps de nous demander où nous sommes que la voiture s'arrête en plein virage, devant un panneau qui indique un large chemin s'ouvrant sur la droite, sur lequel est inscrit "Sendero de Chile". C'est là qu'on nous dis... Ba euh, oui, c'est gentil, mais le truc c'est qu'on voulait s'arrêter au camping pour déposer nos affaires en trop et chopper une carte m'voyez...

Nos deux montagnards nous assurent que la traversée du Cerro Castillo est tellement évidente à suivre que nous n'avons pas besoin de carte, il est impossible de se perdre. Cela fait quand même deux ou trois fois que nous entendons ça, et nous commençons à nous dire que le trekking ici doit être aussi simple qu'en Nouvelle Zélande point de vue orientation.

En ce qui concerne les affaires, nous réfléchissons un peu. Evidemment, cela nous gène de demander à nos deux compagnons de nous ramener en arrière, nous ne voulons pas leur faire perdre de temps. Et même si nous faisions demi-tour pour passer au camping, nous nous retrouverions à treize kilomètres de l'entrée du sentier, sans aucune voiture ou presque qui passe, alors que nous sommes juste devant.

Et bien baste! Nous remercions nos gentils chauffeurs et décidons de nous lancer directement sur le sentier, gambadant tels deux cabris intenables. Du coup nous voilà partis sans carte, avec dans nos sacs tout un tas de matos du genre indispensable en randonnée : un pc 17 pouces, le Lonely Planet de Birmanie (oui, je garde la doc, car je nourris toujours l'espoir de continuer notre récit asiatique!), un épilateur électrique, un rasoir, et tout le petit bazar qui accumulé représente un grammage plutôt conséquent, les cartes, les cadenas, les stylos, les cahiers etc... Que de l'utile pas du tout superflu! Mais sur le coup, nous nous contrefichons royalement de ces futiles considérations de poids et de charges, les balayant du bon vieux et toujours efficace "on a connu pire".

Avec ces bêtises, nous devons tout de même éclater les 20 kilos par personnes. Mais qu'importe, nous pourrions trimbaler 2 tonnes que ça ne changerait pas grand chose : rien ne pourrait ternir notre bonheur lorsque nous nous mettons à bondir sur le sentier magnifique qui s'ouvre devant nous.



Nom de nom, nous y sommes. Nous attaquons un trek en Patagonie. Nous nous dirigeons vers les sommets plein de neige de la grandiose et célèbre Cordillère des Andes, traversant un décors sauvage de collines et de végétation rase et buissonneuse, le vent nous caresse le visage et siffle au sommet des reliefs, il n'y a personne aux alentours... Nous y sommes!!!

Avec ces super sessions stop, nous sommes large niveau timing : il est 10h45 lorsque nous attaquons la traversée ! Comme je le disais plus haut, rien de bien violent ne nous attend pour cette première journée, seulement 13 kilomètres normalement plats dans une vallée pour en rejoindre le fond et le pied de la chaîne Cerro Castillo.

Nous constatons rapidement qu'effectivement, c'est plat ! Le sentier, bien large, serpente paresseusement en longeant une rivière, au fond d'une vallée étroite encaissée entre deux rangées de collines saupoudrées de neige, ne montant qu'occasionnellement de seulement quelques mètres pour redescendre ensuite.

Nous passons une guérite sensée abriter le ranger chargé d'encaisser les 5000 pesos d'entrée, mais elle est vide. Nous imaginons que la même nous attend de l'autre côté, et que nous paierons à la sortie.

La marche est simple et agréable, le décors magnifique, et quant au temps... Et bien c'est assez étrange : le ciel est un chouia nuageux mais nous ménage de nombreuses éclaircies, en revanche une espèce de petite bruine tombe continuellement... Et elle ne nous quittera pas de toute la balade ! Et oui, dites-vous qu'à compter de maintenant, même si le ciel paraît bleu et limpide sur pas mal de photos, un petit crachin (pas vraiment embêtant mais tout de même...) nous tombe quasiment sans interruption sur le coin du pif...

Nous longeons encore un moment la rivière, le nez en l'air, en nous rappelant que nous effectuons aujourd'hui la portion la moins belle de la traversée... La suite promet !



Nous passons un champs et les restes d'une ancienne ferme avant de plonger dans une forêt d'arbres clairsemés. Et là, surprise, de nombreuses pistes se mettent à partir du sentier principal! Ce dernier reste néanmoins plus gros et suffisamment évident à suivre, même si nous sourions en coin en nous remémorant les avis des gens qui nous ont parlé du Cerro Castillo et de son unique chemin dont il est impossible de dévier... Il y a même deux ou trois intersections qui feraient presque douter tant les pistes qui bifurquent se ressemblent ! Mais à chaque fois, le sentier que nous suivons est plus dégager, et effectivement plus évident.



Nous sentons naître malgré tout une pointounette de doute à quelques reprises... Nous déployons nos compétences de rôdeurs des bois et commençons à scruter la piste pour repérer des empreintes de pas afin de nous assurer que nous suivons le bon chemin. Coup de bol, des gens nous ont visiblement précédés, et de belles traces bien nettes apparaissent dans la terre meuble. Les marques de crampons confirment qu'il s'agit de randonneurs.

Plusieurs fois, ces empreintes s'avèrent bien utiles, et nous sommes contents d'avoir de quoi jouer les pisteurs, d'autant que nous n'avons vu aucun panneau ni balise sur le tracé jusqu'à maintenant. C'est confirmé : l'affirmation péremptoire que nous ont martelée les habitants selon laquelle le chemin est unique et ultra facile à suivre est à prendre avec quelques pincettes! Non pas que nous rencontrions de réelles difficultés d'orientation, mais il faut admettre que dans l'absolu, il serait possible de se tromper de chemin avançant bille en tête sans faire attention dans de mauvaises conditions météo, par exemple en présence de brouillard.

Globalement, la forêt se parcourt tranquillement, jolie sans être extraordinaire, et nous y croisons nos premiers petits névés. Nous atterrissons bientôt face à un portail en bois, tandis que le chemin bifurque et se transforme en piste minuscule... qui s'arrête sur un buisson de ronces. Nous nous rabattons sur la seule alternative, à savoir ouvrir le portail et passer, pour retrouver notre piste de trace de l'autre côté.

Il s'agissait de la dernière petite difficulté de localisation de la journée. A partir de maintenant et jusqu'au soir, le sentier confirme ce qu'on nous a raconter sur lui : il est unique, énorme et évident !

Nous quittons la forêt pour nous retrouver dans une grande plaine qui se perd en direction des racines de la Cordillera Cerro Castillo. Les montagnes pleines de neige se rapprochent, et les étendues que nous traversons se font plus sauvages : exit les champs, les clôtures et les ornières dans le chemin, nous arrivons dans une zone légèrement boisée et marécageuse qui nous oppose quelques tourbières à franchir en équilibre sur des troncs.



Nous nous apercevons bientôt que ces petites traversées n'étaient qu'un échauffement : la rivière que nous longeons de plus ou moins près depuis que nous sommes partis se met à faire des coudes, que le sentier ne s'embarrasse pas de suivre, et nous devons bientôt quitter les chaussures pour traverser à gué. Le lit n'est pas profond, et le courant n'est pas bien fort, mais punaise que c'est froid ! La rivière descend tout droit des glaciers, et les quelques mètres qu'il nous faut franchir sont très douloureux pour les pieds.



Sur l'autre rive, nous avisons un petit carré d'herbe pour pique-niquer. Le ciel se dégage presque complètement, et nous mangeons au soleil.



Et oui, je vous assure que le crachin tombe toujours ! Il provient d'une espèce de brume translucide qui ne se lève jamais, à travers laquelle nous voyons le ciel bleu mais qui nous arrose quand même. Saleté de région !

Le début de l'après-midi est dominé par les river crossings... en 2 ou 3 kilomètres, nous devons répéter l'opération deux fois : s'arrêter, quitter les chaussures, traverser le plus rapidement possible en serrant les dents, se sécher les pieds de l'autre côté, remettre les chaussures.

Le temps s'améliore significativement, tandis que les alentours commencent à devenir vraiment grandioses : arbres morts, bois vert sombre de sapins, collines et montagnes enneigées, torrents aux eaux bondissantes et aux rives de galets... Il fait beau, il fait chaud, le chemin est toujours tranquille (un peu trop d'ailleurs...), et nous avons tout le temps de savourer le paysage.



En milieu d'après-midi, les traversées de rivières reprennent, et si la première s'effectue en vitesse, la deuxième nous voit affronter un cours d'eau peu profond mais d'au moins 6 mètres de large. L'eau glacée nous brûle littéralement les pieds, et les derniers mètres sont franchement douloureux.



Nous continuons à un rythme tranquille, remontant la vallée, traversant d'étranges et belles forêts et de verdoyantes prairies.



Nous arrivons finalement en vue du pieds des montagnes. Le ciel se fait menaçant, la température tombe et le vent se lève, tandis que le crachin se transforme en pluie fine. Nous ne devons plus être loin du premier site de camping, et nous commençons a rentrer la tête dans les épaules et à forcer la marche.



Nous replongeons en forêt pour croiser de nouveaux névés, beaucoup plus gros que les petites plaques de neige de ce matin, dont la neige plutôt dure n'enfonce pas. Déjà des tas de neige alors que nous devons être à seulement 900 mètres d'altitude?! Espérons que les hauteurs soit fréquentables... Nos compagnons chiliens ne nous ont pas parlé de neige!



Nous croisons en chemin un petit groupe de randonneurs, composé d'un couple d'allemand et d'un chilien accompagnés d'un guide. Ils aurons leur (extrême) importance par la suite, mais pour le moment nous les saluons sans nous arrêter histoire de rejoindre le camping rapidement.

Nous quittons bientôt le bois pour déboucher sur le fond rocailleux de la vallée, encaissé entre des montagnes aux pentes couvertes de neige. Le paysage est majestueux, mais le ciel donne l'impression de nous tomber sur la tête, le vent souffle, la pluie s'est changé en un petit grésil cinglant qui nous fouette le visage, et nous sommes plutôt pressés d'arriver! Nous longeons le bord de la vallée en suivant un balisage à peu près net de triangles oranges, pour tomber sur un panneau indiquant le camping tout proche.



Après quelques dizaines de minutes à franchir quelques petits bras de torrent qui serpentent dans le chaos de roches, nous découvrons un splendide coin au milieu d'un sous-bois. A 17h, la tente est montée et nous sommes assis sur un tronc un thé chaud à la main.



Le froid s'intensifie tandis que le jour s'assombrit, mais le grésil se calme, et nous rejoignons la lisière du bois pour inspecter les alentours. Si dans la forêt les névés sont relativement éparpillés, en terrain découvert la neige couvre une bonne portion du paysage, et juste au-dessus de nous, les pentes des montagnes sont complètements blanches.



Nous nous rendons à l'évidence : demain, il y a de grandes chances pour que l'ascension du col et de ses 1676 mètres se réalise les pieds dans la neige, ce que nous n'avions pas du tout prévu en ce milieu de printemps chilien...

Nous verrons ça demain. Le froid nous envoie sous la tente, où nous nous réchauffons autour de la plâtrée de pâtes quotidienne avant de nous calfeutrer dans nos duvets.

Cette première journée de balade en forme de marche d'approche, même si techniquement pas vraiment intéressante, nous en a quand même mis plein les yeux! Et puis finalement oui, le tracé se suit facilement, mais avec les nombreux river crossing qui jalonnent le parcours nous avons bien eu besoin d'une bonne partie de la journée pour parcourir les treize premiers kilomètres de la traversée.

Nous nous endormons comme des loirs, bercés par le glouglou de la rivière et le murmure du vent.

Au réveil, soupir et lassitude par anticipation en entendant la pluie qui s'abat sur la toile de la tente... Aujourd'hui nous attend une longue et fatigante marche, qui devrait nous faire grimper des 900 mètres et quelques où nous nous trouvons jusqu'au col perché à 1676 mètres d'altitude avant de redescendre dans la vallée suivante pour y passer la nuit. Nous sommes déjà à peu près sûrs d'effectuer une bonne partie de la marche du jour les pieds dans la neige, si en plus il faut qu'il nous tombe je-ne-sais-quoi sur la tête...

Et puis les choses s'arrangent d'elles-même : le temps de boire le thé, et nous n'entendons plus que le petit crachin qui tombe en plus des gouttes qui ruissellent des arbres trempés.

La sortie dans le froid matinal et le remballage sont un peu humides, mais n'ont rien d'insupportable, et vers 9h nous nous mettons en route dans le bois, saluant le groupe de randonneurs en train de replier. Nous ne le savons pas encore, mais nous venons d'attaquer l'une des journée de marche les plus intenses de notre voyage...

Nous quittons la forêt un moment pour longer le fond de la vallée en direction des montagnes et du col qui se devine dans le brouillard. Comme prévu, le sentier a disparu sous la neige, mais il réapparaît parfois entre deux plaques, et en visant continuellement le fond de la vallée nous retrouvons bientôt une piste bien nette qui s'enfonce dans la forêt, au pied des premières pentes. Les nuages sont bas, le brouillard dans les hauteurs est dense, mais il ne tombe presque rien hormis l'éternel petit grésil/crachin.



Il y a moins de neige en sous-bois...



...Au début du moins. Car tandis que le temps s'éclaircit et que le brouillard se lève, nous commençons a grimper parmi les arbres, doucement d'abord, puis un peu plus fort...

Et c'est à ce moment qu'on commence à se marrer, gentiment pour commencer : au bout de 10 minutes d'ascension, nous nous retrouvons sur un terrain intégralement couvert d'une épaisse couche de neige...

Heureusement, protégée du soleil par les arbres, elle est relativement dure et nous n'enfonçons pas beaucoup.

En revanche, le manteau neigeux a bien sûr recouvert toutes traces de pistes et de sentier, et s'il y a un balisage, il doit se trouver en-dessous... Nous trouvons de vagues restes de traces de pas qui apparaissent dans la neige, figées par le givre, nivelées et presque complètement effacées par les chutes de neige et le vent, et les suivons. Le procédé nous réussit plutôt bien jusqu'à ce que nous atteignons un panneau qui émerge du pied dépourvu de neige d'un arbre, comportant une flèche tournée vers la gauche, tandis que notre approximative ligne de traces bifurque vers la droite...

Damned... Nous suivrions bien la direction indiquée par le panneau, mais nous ne sommes même pas sûrs qu'il concerne le tracé, dépourvu qu'il est de toute autre indication que la flèche, et en l'absence de traces du côté qu'il indique. A cause des arbres, nous n'avons aucune ligne de vue sur le col, et sans cet unique point repère, nous sommes paumés! Sans carte, nous n'avons aucun cap à suivre avec la boussole. Depuis le dernier passage à découvert, nous avons bien estimé à peu près la direction du col, mais nous n'allons pas nous lancer en pleine pente dans la neige en nous basant sur des approximations.

Un événement va sauver notre balade, et pour la première fois, nous sommes heureux de ne pas être totalement seuls : tandis que nous réfléchissons, nous entendons des voix venir derrière nous. Il s'agit évidemment du groupe de randonneurs et de leur guide. Nous nous regardons... Et puis zut! Nous les laissons passer devant nous en leur souhaitant bon courage, et leur laissons un peu d'avance. Nous voilà avec une belle trace à suivre! Oui, je sais, nous profitons légèrement de la situation, nous n'avons pas payé pour le guide et c'est entièrement notre faute si nous sommes partis sans carte (encore que...). D'un autre côté, c'est soit ça soit nous faisons demi-tour, pas fous que nous sommes au point de nous lancer à l'aveuglette et au hasard en pleine montagne. Et puis une telle quantité de neige n'était pas du tout prévu, ni par la météo, ni par les gens qui nous ont recommandé ce trek, ni par le ranger qui n'était pas là à l'entrée du parc pour nous prévenir!

Nous suivons la trace de plus en plus profonde ménagée par nos collègues, grimpant et descendant un terrain plutôt vallonnée, pour finalement rattraper le groupe en train de faire une pause... Bigre, les loustics ne sont pas vraiment des brutes! Nous papotons un peu avec le guide, lui expliquant notre situation. En montagne, on ne laisse pas les petits copains dans la mouise, et cette règle s'applique aussi en Amérique du sud! Le gars est super sympa, et nous donne quelques indications ainsi qu'un cap à suivre : tant que nous serons dans le bois, nous devrons garder la rivière qui coule non loin à notre gauche et ne pas nous en éloigner. Au bout d'un moment, nous devrions sortir de la forêt et apercevoir le col, et il faudra alors tout simplement nous diriger dessus. Merci l'ami!

D'après lui, il n'était pas du tout sensé y avoir autant de neige ici à cette période. Rien ne laissait présager une telle quantité, et il nous annonce que l'ascension jusqu'au col risque de ne pas être de tout repos...

La marche va gagner en intensité, pour dépasser le stade de la simple rando : en effet, la couche de neige s'épaissit et enfonce de plus en plus, et il va nous falloir faire une trace. Le guide nous demande de grimper en multipliant les virages, pour leur ménager une trace pas trop bourrine.

Dans quoi est-ce que nous nous sommes encore lancés?!

Nous savons désormais où nous allons, et nous partons devant a travers les arbres, gardant la rivière sur la gauche. Bientôt, les successions de petites montées-descentes s'achèvent : la pente se fait plus raide, et grimpette attaque d'un coup, bien brutale.

La raideur de la pente, la neige dans laquelle nous nous enfonçons à présent jusqu'aux chevilles et parfois jusqu'à mi-mollet, le poids de nos sacs... Ca réchauffe! A chaque pas, il faut creuser la trace, et nous devons donner un violent coup de pied dans la neige afin de la tasser et de ménager une marche plate. La tâche est épuisante, et nous montons à une allure d'escargot, transpirant tout de même sous l'effort. Nous grimpons en zigzagant le plus possible, ce qui de toute façon est obligatoire la plupart du temps vu la pente! La couche de neige est traîtresse, et souvent nous enfonçons jusqu'au genou, quand notre jambe ne disparaît pas toute entière dans un trou ménagé par les branches d'un arbre couché.



Nous prenons notre temps, nous avançons doucement, calmement, tâtant le terrain, prenant le temps de choisir le chemin le plus confortable entre les arbres. Tout le temps, nous gardons la rivière à portée d'oreille. Il faut le dire, on se marre beaucoup plus qu'hier, même si les jambes ramassent! Randonner dans la neige, c'est tout de même incomparable.

Vers 11h, après une heure à ce train là, nous atteignons la lisière du bois et nous posons pour souffler un peu. C'est sportif tout ça! Plus loin, bien au-dessus de nous, au sommet d'un versant uniformément blanc et immaculé, nous voyons le col. Le temps est très instable, les éclaircies succèdent au brouillard, le ciel se couvre de nuages qui roulent à toute vitesse avant de se découvrir. Tandis que nous nous reposons, oh joie, la neige se met à tomber!

Le groupe nous rejoint peu de temps après, et le guide vient nous remercier et nous féliciter pour la belle trace que nous leur avons faite. A leur tour à présent! Nous prenons un moment pour discuter le temps que tout ses clients se regroupent, puis ils partent en avant, et nous les suivons à quelques minutes d'intervalle. Nous franchissons une ravine, puis quittons le sous-bois pour nous retrouver sur un versant en pente douce qui donne sur celui bien plus escarpé qui grimpe vers le col.

La vue est extraordinaire, le paysage somptueux, et les nuages qui défilent accompagnés du brouillard donnent une touche surréaliste à l'ensemble.



Malgré le vent qui souffle et la neige qui nous fouette, nous nous arrêtons régulièrement pour en profiter. La montagnes est belle, avec ses sommets, ses forêts, ses pentes, ses gorges et ses ravins, mais aussi son climat, son ciel, la neige qui tombe en tourbillonnant, les nuages noirs qui roulent, les trouées de ciel bleu qui apparaissent puis disparaissent, les rayons du soleil qui percent d'un coup, formant des piliers de lumière à travers la brume qui s'estompent en quelques secondes...

Nous notons à peine la profondeur toujours plus importante des traces que nous ménagent les collègues, ni que nous devons lever les jambes de plus en plus haut pour passer de l'une à l'autre.



L'inclinaison de la pente augmente progressivement, et nous oublions un peu le paysage quand nous attaquons le versant escarpé menant au col... Nous nous apercevons rapidement que lorsque nous posons les pieds au fond des traces, nos jambes s'enfoncent jusqu'à mi-cuisse dans la neige!

Nous rattrapons rapidement le groupe de marcheur, pour les trouver soufflant dans la pente, montant tout doucement, donnant l'air de bien s'en voir. Leur guide nous fait signe de passer devant et de prendre le relais pour faire la trace. Le gars, d'un certain âge, à l'air bien fatigué, ce qu'on peut comprendre étant donné qu'il monte en tête depuis tout à l'heure!

Nous passons devant, le guide embraye derrière nous, et nous attaquons les quelques 100 derniers mètres qui nous séparent du col.

Ces 100 mètres, nous nous en souviendrons longtemps...

Je passe en tête, et je comprends rapidement l'état du guide lorsqu'au bout de deux minutes je souffle et dégouline de transpiration. 

La neige est d'une qualité exécrable : le guide nous expliquera plus tard que le versant, orienté plein nord, est exposé au soleil (oui, nous sommes dans l'hémisphère sud!) toute la journée, ce qui fait fondre un peu la neige, tandis que la nuit, la surface gèle. Au matin, la couche de neige est donc couverte d'une fine croûte dure, mais pas suffisamment pour supporter le poids d'un homme, et à chaque pas elle craque et la jambe s'enfonce dans une espèce de purée à moitié fondue bien lourde...

Pour monter en tête dans ce bourbier, il faut poser le pied, donner un gros à-coup pour briser la croûte de neige gelée, puis appuyer sur la jambe comme un bourrin pour tasser une neige épaisse et pouvoir prendre appui sans enfoncer plus. On retire ensuite la jambe arrière de son trou et on la passe devant la première, et ainsi de suite... La plupart du temps, nous enfonçons jusqu'à mi-cuisse, et parfois la neige nous monte jusqu'à la hanche!



Nous en bavons bien comme il faut. Le col se rapproche à une allure misérable, décourageante, chaque mètre nous prend une éternité à parcourir. Mes jambes chauffent bientôt tellement que je suis obligé d'enfoncer et de tasser la neige en poussant sur mes genoux à deux mains, et de marquer un arrêt à chaque pas pour éviter la crampe.

Le guide du groupe nous suit, tandis que ses clients avancent péniblement loin en-dessous, et nous nous relayons à deux ou trois reprises, brefs moments d'efforts un peu moins violent. Il est infiniment plus facile de passer derrière que de creuser cette satanée trace!

Mais comme je le disais, le gars n'est pas tout jeune non plus, et je passe bientôt une dernière fois devant pour y rester jusqu'au col. Une heure.

Une heure très longue d'effort intense. Notre progression est décourageante : le passage entre les montagnes doit s'ouvrir à quelques 50 mètres au-dessus de nous, il est là, juste devant... Pourtant il n'approche pas, désespérément pas, tant l'allure est lente! Il ne faut surtout pas relever la tête, et continuer à avancer, un pas après l'autre. Répétitif et éreintant. Parfois, l'équilibre se perd et il faut se hisser hors du trou où la jambe se bloque en raclant la neige à la main, en se traînant sur les coudes et en se tortillant. Nous maudissons nos sacs et leur charge de matériel inutile qui dans ces conditions nous pèsent et nous handicapent.

Nous peinons pas mal, mais le plaisir est encore dominant devant la galère : le cadre est grandiose, la marche est physique et sportive, un brin technique, le tout dans la neige. Nous nous disons néanmoins qu'il n'en faudra pas beaucoup plus pour nous gaver...

Et puis finalement, la pente s'aplanit petit à petit tandis que nous arrivons à la hauteur d'un courant d'air glacé, la neige se fait plus dure, nous n'enfonçons presque plus, et nous débouchons enfin sur le col. Le paysage extraordinaire qui s'y dévoile valait bien quelques efforts! Nous nous posons face à la vue formidable, en silence, complètement rincés par l'ascension, épuisés mais ravis d'être arrivée en haut.



Le guide vient ensuite carrément me serrer la main et me féliciter avant de me remercier chaudement pour mes efforts dans l'aménagement de la trace. Je lui ai bien facilité la vie! On va dire que c'est pour le remercier de nous avoir montrer le bon chemin, nous lui devions bien ça. Il nous annonce qu'il déteste son métier, avant d'éclater de rire devant nos mines révoltés! Nous n'avions pas saisi l'ironie... Il adore le boulot de guide, mais dans ce genre de situation, il en est aussi lassé, fatigué. Il nous explique que par exemple c'est à lui de porter tout matériel des expéditions, les tentes, le matériel de cuisine, la nourriture etc... Il s'en passerait bien durant des ascensions comme celle que nous venons d'effectuer.

Il propose ensuite de nous prendre en photo pour nous remercier de notre aide!



Nous nous remettons ensuite en route, le laissant sur le col attendre son groupe. Il nous reste à redescendre dans la vallée suivante, qui s'étale loin en contrebas.

La neige est bien meilleur sur ce versant, moins épaisse et plus poudreuse, et nous sautons dans la pente pour descendre en ramasse à toute berzingue, sans oublier d'admirer le panorama, fantastique malgré les nuages bas et menaçants qui le couvrent, qui s'étend devant nous. 



Nous fatiguons tout de même vite. L'ascension du col nous a bien lessivé, et à force de patauger dans la neige nos chaussures sont littéralement gelées et nos pantalons trempés, tandis qu'un douloureux onglet commence à nous brûler les orteils. C'est que nous ne sommes pas vraiment équipés pour de longues marches dans plusieurs dizaines de centimètres de neige!

Nous avisons une petite moraine qui dépasse du manteau blanc et descendons droit dessus, soulevant des nuages de poudreuse. Quand nous arrivons sur les pierres, nous avons du mal à retrouver notre équilibre sur le sol dur.

Il est près de 13h, et nous sortons le pique-nique du sac et nos pieds des chaussures. Il caille, le vent souffle, mais le froid est moins mordant pour nos orteils à l'air libre que dans nos godasses encroûtées de neige et de glace. Nous commençons à être franchement fatigués, et nous grignotons en silence face aux montagnes couvertes de glaciers qui nous entourent.



Le groupe de marcheurs nous repasse devant, et nous les regardons descendre la moraine pour atterrir sur un vaste espace plat couvert de neige qui s'étale sur une centaine de mètre avant de déboucher sur une étroite vallée pierreuse... Et ils ont l'air de s'en voir comme c'est pas permis!

En contrebas, nous voyons une silhouette partir devant vers la droite, deux autre vers la gauche, tandis qu'une quatrième à l'air d'attendre. Ce doit être le guide, car au bout d'un moment il laisse son sac pour se diriger vers la forme de droite, qui semble être à moitié enfoncée dans la neige!

Tandis qu'il rejoint le marcheur visiblement bloqué, les deux autres silhouettes que nous distinguons avancent à une allure extrêmement lente, ils s'arrêtent plusieurs minutes à de nombreuses reprises, changent plusieurs fois de direction et font demi-tour pour chercher d'autres passages...

Qu'est-ce qui passe là-bas en bas? Quels nouveaux traquenards nous attendent? Le terrain est complètement plat au bas de la moraine, c'est la couche de neige qui doit encore faire des siennes... Nous ne sommes pas encore sortis du sable!

Nous terminons notre frugal repas, remballons les affaires, remettons nos chaussettes et nos chaussures glacées avec une grimace, et attaquons tranquillement la descente. Nous sommes tout refroidis, la pente est raide, la moraine n'est qu'un gros pierrier bien instable, et nous y allons tout doucement. Je vous remets une petite couche du décors formidable dans lequel nous progressons, parce que décidement, c'est grand!



Et nous arrivons au pied de la moraine. Nous posons un pied sur la neige... Et nous nous enfonçons jusqu'à la taille dans une purée encore plus ignoble que celle de ce matin! La neige est à moitié fondue, d'un bleu glace, c'est mignon mais marcher là-dedans est un calvaire. A chaque pas, nous enfonçons jusqu'à la hanche, et ça ne suffit pas la plupart du temps à tasser une couche suffisamment dure de neige sous le pied pour prendre appui... Nous nous retrouvons à patauger pour nous sortir les jambes des trous, nos mains s'enfonçant aussi quand nous essayons de pousser dessus pour nous dégager.

Nous avons quelque chose comme 70-80 mètres à parcourir, complètement plats, que nous mettrons néanmoins plus de trente minutes à franchir! Léonore et moi, le guide et les quatre randonneurs, nous voilà tous éparpillés dans le champs de neige, à ramer en essayant de trouver un passage qui ne nous englouti pas jusqu'à la taille. Il faut prendre son temps, pourtant il est de plus en plus difficile de ne pas s'énerver quand à chaque pas, la jambe s'enfonce complètement dans le sol et quand on s'étale dans la neige toutes les trente secondes.

Nous nous arrêtons parfois, plus pour nous calmer que pour reprendre notre souffle. Finalement, après une éternité dans cette mélasse blanche, nous retrouvons le contact de la roche sous nos pieds avec extase. Nom de nom, que le retour d'un sol bien dur nous fait plaisir!

Le temps de presser nos chaussettes et de masser un peu nos pieds rendus complètement insensibles par le froid, et nous nous remettons en route pour descendre la vallée en direction d'une forêt.



Dans le bois, le sentier est assez évident à suivre. Même quand il disparaît sous la neige, il suffit de repérer les seuls passages qui s'ouvrent dans les buissons. Quelques névés nous font craindre de devoir nous remettre à crapahuter dans la neige, mais ils disparaissent bientôt complètement, en même temps que les nuages, et nous avançons bientôt sous les rayons du soleil. Nous ne les aurons pas beaucoup vu aujourd'hui, et nous sommes ravis de les voir enfin débarquer pour nous réchauffer la couenne! Nous avançons encore un moment avant de faire une pause au bord d'une rivière.



Nous sommes bien fatigués, mais absolument ravis de notre journée. En revanche, nous commençons à nous dire que nous emprunterons l'itinéraire court demain... Nous sommes sur les rotules, et nous n'avions pas prévu de devoir crapahuter dans des conditions pareilles de météo et d'enneigement. Nous n'oublions pas que le journée suivante doit nous faire grimper jusqu'à 1400 mètres.

L'après-midi touche à sa fin, et nous continuons à suivre le petit sentier qui bifurque vers la droite pour longer une rivière en direction des pentes du Cerro Castillo, la montagne qui a donné son nom à la réserve, dont le sommet est malheureusement toujours cachée sous une nappe de brouillard.

Et finalement, après quelque minutes, la brume s'effiloche, et nous pouvons enfin contempler le plus haut sommet du coin, au relief déchiqueté, tout en pointes et en arrêtes aiguës. Nous marquons un arrêt pour contempler le spectacle fantastique qui nous est offert comme une formidable récompense pour nos efforts du jour.



La fin de la journée est à l'opposé de son déroulement : tranquille, chaude et calme! Après une quarantaine de minutes de marche facile dans le lit de la rivière, une piste s'ouvre sur la droite et remonte dans la forêt. Au milieu d'une petite clairière nous attend un coin camping à l'image de celui d'hier, joli tout plein, au coeur des bois, à portée d'oreille du glouglou de la rivière.

Un groupe de jeunes randonneurs au visage rougi par le soleil est déjà sur place, et tandis que nous montons la tente, l'un d'eux vient nous voir. Leur histoire n'est pas banale : ils sont américains, ont tous 17 ou 18 ans, et font partie d'une école de guides réputée des Etats-Unis. Ils réalisent ici une session de formation à l'orientation et à la marche alpine. En gros, ils sont largués dans le parc avec carte topographique plastifiée et boussoles, et ils doivent se débrouiller! Ils ne suivent pas tout le temps l'itinéraire de la traversée, mais doivent trouver leurs propres passages à travers les montagnes. Des fous ces jeunes : ils viennent de la direction que nous allons emprunter demain, ils ont parcouru aujourd'hui une trentaine de kilomètres, et grimpe des mètres de dénivelé à n'en plus finir, au milieu de nulle part, dans la neige... Le gars nous annonce que c'était "un peu fatiguant"! Tu m'étonnes...

C'est un randonneur chilien marchant en solo qui vient nous voir ensuite. Il nous a suivi aujourd'hui, et après la journée que nous venons tous de passer, au vu des conditions qui règnent dans le parc, il craint de partir seul le lendemain, ce que nous comprenons parfaitement. Nous même, à deux, nous appréhendons la suite... J'y reviendrai dans quelques lignes. Il avait dans l'idée d'effectuer l'itinéraire de 4 jours, et il nous demande si nous voulons faire route avec lui. Nous lui expliquons que nous ne savons pas encore si nous allons tirer le quatrième jour ou si nous allons prendre la sortie et raccourcir notre balade, mais que nous marcherions avec plaisir en sa compagnie. Nous le tiendrons au jus le lendemain.

Une fois le camp monté, nous étalons nos affaires trempées sur les troncs d'arbres qui nous entourent, passons avec délectation des fringues sèches (comme quoi ça a du bon de nous trimbaler tout notre barda!), après quoi Léonore se calfeutre dans la tente tandis que je prépare deux grandes tasses de thé bouillant. Nous nous posons ensuite pour réfléchir à la journée qui vient de se dérouler et à celle qui nous attend demain.

Aujourd'hui, c'était grand. L'une des plus belle journée de rando que nous ayons vécu. Le paysage a tomber d'un bout à l'autre, aussi varié que le terrain, la marche dans la neige, le passage du col, même la météo a sublimé le tout avec ses changements incessants, la brume, les nuages qui défilent à toutes vitesse, les éclaircies furtives...

Mais aujourd'hui, c'était aussi épuisant, éreintant. Nous buvons notre thé en ressentant les petits frissons de fatigue caractéristique de la grosse journée. Si d'un point de vue visuel, le défilement littéral des quatre saisons dans la journée nous a donné un rendu grandiose, il nous a aussi balancé bon nombre d'intempéries sans interruption : petit crachin au mieux, grésil, neige, pluie... A part durant la fin de la journée, nous avons passé notre temps à recevoir de l'eau sous une forme quelconque sur la tête. Côté physique, le ras-le-bol nous a cueilli dans l'après-midi, et nous avons été bien contents d'arriver au camping.

Les aléas météorologiques, il faut composer avec, et le temps pourri n'est en soit pas vraiment dangereux. En revanche, il faut avouer que nous ne sommes pas du tout préparé aux conditions de marche que nous affrontons, qu'il y a beaucoup trop de neige, et que le balisage de l'itinéraire est soit inexistant, soit il a disparu dessous. Sans le groupe de randonneurs et le guide, nous aurions fait demi-tour ce matin au panneau dans la forêt. Sauf que nous les avons suivis, qu'ils ne serons peut-être pas devant nous demain, et que de toute façon nous ne voulons pas abuser de la gentillesse du guide. Donc si nous nous retrouvons perdus ou bloqués demain et que nous devons faire demi-tour, nous serons à plus d'une journée de marche du premier camping, et à plus de deux jours de l'entrée de la traversée. Concrètement, nous avons largement les provisions nécessaires pour tenir si nous en sommes réduit à cette extrémité (il s'avère que nous avons complètement craqué sur la nourriture, et que nous avons prévu beaucoup trop... Nous avons quasiment deux jours de rab! Comme si nous n'étions pas assez chargés...). En revanche, si nous nous lançons dans le quatrième jour de marche, ou que nous devons faire demi-tour demain trop tard, les choses risquent de s'annoncer plus difficiles...

Si nous voulons rejoindre le campement néo-zélandais, nous devrons passer la laguna Cerra Castillo, monter jusqu'à un petit sommet proche, et redescendre par une longue crête escarpée qui sera sans aucun doute couverte de neige, sans connaitre de passage sécurisé.

Nous savons d'ors et déjà que la journée du lendemain va nous envoyer nous enfoncer jusqu'au genoux dans la neige, même si nous choisissons de prendre la voie de sortie. Voie de sortie dont nous ignorons l'ouverture...

Bref, tout ça est un poil dangereux, et il serait irréfléchi de notre part de vouloir absolument tirer les quatre jours. Nous décidons de demander au guide l'endroit où s'emprunte l'itinéraire de sortie anticipée, et de descendre de la montagne dès demain, en zappant le quatrième jour. Courageux mais pas téméraires! Encore une fois, nous aimons nous paumer en montagne, nous aimons marcher seuls au milieu de nulle part, mais on ne fait pas les zouaves en rando, surtout dans ces conditions.

Avec tout ça, la nuit tombe rapidement. Nous ne tardons pas à nous carapater sous la guitoune, préparons les pâtes au chaud dans les duvets, dînons et nous endormons comme des masses dès que nous nous couchons.   

Le lendemain matin, nous replions le camp et allons voir le randonneur chilien de la veille, pour lui annoncer que nous prendrons la sortie aujourd'hui, mais que jusque là nous pouvons faire route ensemble. Lui-même se tâte à sortir aujourd'hui, et ils nous suivra peut-être quand nous y arriverons. Je vais voir le guide pour discuter un peu, avant de lui demander où se trouve l'ouverture de la voie de sortie, en lui expliquant notre décision. Il approuve, m'expliquant que lui-même envisage de la prendre. Les conditions d'enneigement et de météo sont bien trop mauvaises, et lui aussi trouve qu'il n'est pas raisonnable de prendre la crête pour descendre en direction du campement néo-zélandais.

Il m'explique que la sortie s'ouvre après la laguna Cerro Castillo, et que l'ouverture est normalement balisée, même s'il y a de grandes chances que le marquage se trouve sous la neige. Apparemment, le groupe d'américains est passé devant hier avant d'arriver ici, nous n'aurons qu'a suivre leurs traces. Ceci signifie également que même s'il y a de la neige en altitude, nous aurons déjà une trace de faite! En espérant qu'il n'y ait pas neige cette nuit bien sûr... 

Nous laissons le guide et son groupe à leur petit déjeuner, et notre glorieuse compagnie se met en route à travers la forêt. 

Notre ami chilien se nomme Christian, et lui aussi s'est fait surprendre par la quantité de neige et les difficultés d'orientations de la traversée. Il nous explique qu'au Chili, tous les sentiers de grande randonnée sont normalement bien balisés et faciles à suivre! Dans le doute, il a amené un GPS, sans penser s'en servir donc sans le charger, mais finalement il l'a beaucoup utilisé. Il ne faudra donc pas trop compter dessus et ses 2% de batterie... Nous verrons.

Nous suivons un petit sentier qui grimpe parmi les arbres, en longeant la rivière, que nous devons bientôt traverser sur des rochers. Le temps est à la grisaille, mais nous ne faisons même plus attention au crachin qui tombe. 

Comme hier, la neige ne tarde pas à tout recouvrir malgré le couvert des arbres, mais elle est dure et nous n'enfonçons pas. Nous profitons de la piste nette tracée par les américains, et l'orientation ne pose aucun problème. Décidément, nous avons de la chance : le guide hier, le passage du groupe d'américains aujourd'hui... Les autres gens en trek, des fois, c'est bien!

La grimpette est plutôt progressive, et nous avançons bien, dans une forêt un peu lugubre d'arbres morts. C'est lorsque que nous en émergeons, face à la plaine, que l'orgie visuelle reprend.



Il est grand, ce trek du Cerro Castillo. Même sous les nuages, même dans la brume, le paysage est somptueux. Nous regrettons seulement l'absence des sommets qui nous entourent, cachés dans le brouillard.

Nous avançons dans la plaine, grimpant doucement vers les hauteurs. La couche de neige est épaisse, mais les américains nous ont bien mâché le travail : à passer à six ou sept sur la même trace, il nous ont ménagé des marches bien nettes et compactes! Derrière nous, le panorama est grandiose, à l'image de celui que nous avons admiré hier en montant au col, sublimé par les nuages, la brume et les apparitions fugaces du soleil.



Nous n'avons pas à réfléchir sur notre itinéraire, nous contentant de suivre la trace. Depuis que nous avons quitté la forêt et que nous nous sommes élevés, le temps est redevenu complètement... Patagonien. Crachin, pluie, brouillard, neige, crachin, ciel bleu, grésil, pluie, ciel gris-bleu-argenté... Du grand n'importe quoi.



Vers 10h, après deux heures de marche, nous nous posons sur un rocher plat pour souffler un peu devant le décors incroyable. Le temps part complètement en sucette, les nuages et la brume prennent des formes que nous n'avons jamais vu, et le résultat est sublime!



Nous débouchons bientôt sur le plateau, immense et immaculé, de la laguna Cerro Castillo. Le lac, qui s'étale au pied de la montagne du même nom, est encore caché derrière un promontoire, tandis que la chaîne de montagne qui le surplombe se devine à peine dans le brouillard.



La trace bifurque au sud, en direction d'un versant escarpé qu'elle attaque droit dans la pente.



A nouveau, nous nous retrouvons à grimper laborieusement, posant nos pieds au fond de traces de près d'un mètre de profondeur, qui se tassent parfois encore quand nous prenons appui. Nous mettons un moment à gravir quelques pauvres trente mètres de dénivelé avant que la piste ne bifurque à nouveau pour longer le versant vers l'ouest. 

Tandis que nous avançons sur le flanc d'une crête, le brouillard tombe pour la cinquantième fois de la matinée, les volutes de brume poussées par le vent virevoltent autour de nous, mais cette fois elles ne donnent pas l'impression de vouloir se lever... 

Nous voilà au dessus de la fameuse Laguna Cerro Castillo... Et forcément, elle est très différente des quelques aperçus que nous avons pu en avoir tandis que nous préparions notre trek, sous forme de clichés pris en plein été. Tenez, voici ce que nous avons sous les yeux :



Et à présent tapez "laguna Cerro Castillo" sur google image. Ca change hein?... Pour le coup, le brouillard est bien trop dense pour sublimer quoi que ce soit! Nous ne traînons pas, et continuons à avancer le long de notre versant.



La visibilité diminue encore, et la piste devient franchement banzai : quand nos pieds arrivent au fond des traces, c'est pour se poser sur un tapis de caillasses en nous tordant les chevilles et en nous faisant déraper. Le versant est de plus en plus escarpé, en dessous et au-dessus affleurent des pierres, la neige amassée qui borde la piste, assez molle, se décroche parfois et le pied glisse dans la pente... 

Nous ralentissons et observons les alentours. De l'autre côté du lac gelé, sur le versant qui opposé, nous voyons une belle coulée d'avalanche. En regardant de notre côté, à quelques mètres au-dessus de nous, apparaît nettement une fissure qui court à perte de vue, parallèle à la piste, entre deux plaques de neige... En dessous, des coulées de neige récentes s'étalent sur le versant.

Nous ne sommes pas rassurés, et sans nous presser non plus, nous accélérons le pas. Suer durant une violente ascension est une chose, galérer dans un pierrier couvert de neige au milieu de coulées d'avalanche en est une autre. Du coup, l'absence de soleil nous arrange bien, la couche de neige déjà instable ne va pas chauffer plus... Nous franchissons rapidement le passage coton, pour nous retrouver sur un large col sur lequel s'achève la crête. Et bien... Elle marrante cette rando, mais elle commence à craindre un chouia... Les renseignements erronés que nous avons trouvé sur internet ou qu'on nous a donné de vive voix nous ont envoyé dans un sacré bazar. Aucune information sur le site de la CONAF, personne au courant de l'état du terrain, même le guide que nous avons rencontré ignorait tout des conditions, personne à l'entrée du parc... 

Sur le col, la neige est bien meilleur, et nous avançons sans trop de problème. Nous devons à présent être assez proche du début de la voie de sortie. Nous scrutons les alentours sans repérer la moindre balise ni le moindre marquage, mais nous ne pouvons pas poursuivre longtemps nos recherches : le brouillard tombe brusquement. Epais. Opaque. Nous n'y voyons plus rien. Le lac a disparu, les montagnes ont disparu, même le versant qui donne sur le col est invisible. Autour de nous, du gris, du gris et du gris. Et histoire de parfaire le tableau, la neige se met à tomber. Ambiance!




Oui, je sais... "mais qu'est-ce que tu fiches Oliv à prendre des photos? T'as rien de mieux à faire perdu dans le brouillard?". Et bien très honnêtement, non.

Avant que le brouillard ne tombe, nous avons eu le temps de voir le sommet qui encadre un des côtés du col, vers l'ouest. Il doit se trouver à présent droit devant nous. D'après la boussole, il s'agit du sommet que nous devons franchir et qui donne sur la crête qui descend en direction du campement néo-zélandais. Problème, nous ne savons pas si la voie de sortie s'ouvre avant, depuis le col ou nous nous trouvons, ou après le sommet, depuis la crête. Tout ce que nous savons, c'est qu'elle barre vers le sud. Nous traversons le col dans sa largeur sans rien repérer. Avec tout ce brouillard, il est vrai que ça ne veut pas dire grand chose : un marquage pourrait se trouver à trente mètres de nous que nous ne le verrions pas.

Nous ne pouvons plus nous fier aux traces des américains. Déjà... Elles ont disparu. Le vent qui souffle sur le col et la neige qui tombe par intermittence ont tout effacé. Mais de toute façon, nous savons qu'ils ne sont pas venus par le chemin secondaire que nous cherchons.

Christian sort son GPS, et nous confirme que nous nous dirigeons vers le sommet qui se trouve sur l'itinéraire. Nous sommes toujours sur le bon tracé, mais nous ne savons pas si sa trace GPS indique aussi la voie secondaire.

Dans le doute, nous maintenons le cap et commençons à grimper. S'il n'y a rien derrière, il sera toujours temps de faire demi-tour pour retourner au col.



Dans la pente, nous nous remettons à enfoncer de 30 ou 40 centimètres, et Christian et moi nous relayons pour faire la trace, montant lentement mais surement. Nous atteignons rapidement le sommet, qui n'était en fait plus très haut après la progressive ascension du début de matinée et la costaude grimpette sur le versant au-dessus du lac.

Nous repérons un tapis de caillasse dépourvu de neige et nous y affalons. Nous sommes fatigués, et surtout nous doutons et commençons à nous faire du souci. Nous n'y voyons rien, nous ne savons pas où nous devons aller. Nous savons que nous suivons un itinéraire, mais s'il s'agit de celui conduisant vers le campement et que nous avons déjà dépassé la sortie, nous allons nous retrouver sur la crête suivante. Le GPS de Christian va tomber en rade sous peu, et nous n'aurons plus aucun moyen de nous repérer, hormis la boussole, dans le brouillard, sans aucun point de repère. Comme si ça ne suffisait pas, un vent glacial se lève et la neige redouble d'intensité. Heureusement, nous sommes tous bien équipés contre le froid, et nous nous emmitouflons.

Nous nous reposons un moment et grignotons un morceau le temps de reflechir. Si seulement ce satané brouillard pouvait se lever...

Et nous n'aurons finalement pas le temps de trop nous en faire, ni de chercher une solution d'urgence ou un plan b. Dame météo prend pitié de nous, et les volutes de brouillard qui se succèdent sans interruption depuis près d'une heure commencent à s'effilocher, tandis que des trous apparaissent dans le gris opaque.

Lorsque la vue se dégage brusquement au sud, nous écarquillons les yeux et oublions momentanément tous nos tracas.



Les volutes se dispersent ensuite progressivement et l'est se dégage, le col que nous venons de quitter apparaît en contrebas, puis la crête et le versant que nous avons suivi, et enfin la laguna Cerro Castillo.



Le versant tiens... Alors qu'il nous apparaît nettement, nous distinguons de petits points noirs qui avancent vers nous. Ils sont quatre! Le guide et son groupe! Lorsqu'ils arrivent au col, ils bifurquent vers le sud, en direction de l'autre côté du col. Avec l'appareil photo, nous zoomons devant eux, cherchons un peu... Et apercevons un petit triangle jaune qui émerge de la neige, juste en amont de la pente qui descend du col vers le sud. La voilà la sortie!

Nous prenons quelques repères pour retrouver la balise une fois en bas, et commençons à redescendre sur le col. Nous voilà rassurés! Nous allons quitter ce chantier de blancheur et de grisaille!

La neige tombe, le vent souffle, mais nous dégringolons sans problème et atterrissons au col en peu de temps, avant de repérer notre balise au pied de laquelle nous tombons sur la trace laissée dans la neige par nos prédécesseurs. Nous sommes tirés d'affaire!

La vue vers la vallée, au sud, est maintenant complètement dégagée, et elle envoie!



Nous arrivons au bord d'un versant raide qui descend dans la plaine, et la trace y plonge tout droit, profonde tranchée de neige qui doit être ici de nouveau bien mollassonne. Et bien allons-y.

Au début, nous descendons en ramasse, rapidement... Après nous être tordu la cheville pour la deuxième fois, nous commençons à tempérer nos ardeurs. Nous revoilà sur une couche de neige fondue d'un bon mètre d'épaisseur, qui couvre un pierrier sur lequel donnent nos pieds au fond de la trace. On n'en sortira pas...

Nous descendons de biais le versant dans cette espèce de purée infâme, bien touillée par 5 paires de pieds avant notre passage, et nous fatiguons rapidement. Le panorama est sensationnel, mais comme d'habitude avec ce genre de vue large et lointaine, on finit par s'y habituer, étant donné qu'elle ne change pas...



Et finalement, après deux bonnes heures épuisante à patauger dans la mélasse, le sol fait ses premières apparitions, la couche de neige se fait plus fine, et bientôt nous voilà de retour sur la terre ferme. Nous passons une ou deux ravines un peu escarpées avant de nous affaler à l'abris d'un rocher. Il est 14h, nous sommes trempés, éreintés, nous ne sentons plus nos orteils, mais le soleil perce enfin les nuages et réchauffe nos carcasses. Nous sommes bien! Nous voyons le sentier qui apparaît nettement et descend vers une zone de buissons. C'est bon, nous en sommes sortis!



Avec ces bêtises, nous n'avons rien avaler depuis le pti dèj à part une poignée de biscuits dans les hauteurs alors que nous attendions que le brouillard se lève, et nous dévorons nos sandwichs avant de nous remettre en route.

Nous en terminons bientôt avec la descente, et nous nous retrouvons dans une vaste plaine buissonneuse à travers laquelle le sentier serpente



L'endroit est magnifique, la balade ne comporte plus aucune difficulté, et nous nous contentons de gambader gaiement et de profiter du paysage, sautant quelques rivières, tandis que des faucons nous survolent.

Le sentier se ramifie régulièrement en une multitude de pistes qui partent dans tous les sens, mais soit elles se rejoignent au bout d'un moment, soit des indices montrent le bon chemin, sous formes de balises ou de panneaux. La plaine abrite de nombreux coins désignés pour camper, et la plupart du temps, les pistes secondaires se terminent en cul-de-sac sur un de ces coins, ce qui fait qu'il est impossible de se planter.

De notre côté, nous hésitons à nous arrêter à plusieurs reprises : nous sommes épuisés, et à traîner nos basques trempées sur un sentier devenu extrêmement poussiéreux, nous sommes couvert d'une fine couche de poudre rouge-orangée des pieds aux genoux... Nous écoutons la bave aux lèvres le glouglou des petits ruisseaux d'eau cristalline qui coulent autour de carrés d'herbe somptueux qui n'attendent que nous guitoune, mais nous continuons un peu. Nous ne savons pas quelle distance il nous reste à parcourir avant la sortie, et il est encore tôt.

Le sentier longe quelques flancs de colline avant de plonger dans les bois, et quelques minutes plus tard, nous découvrons un peu à l'écart du chemin une jolie petite clairière tout indiquée pour y poser la tente. Nous n'avons plus d'eau, mais une rivière coule non loin, l'après- midi touche à sa fin, d'après nos estimation nous devons être à moins d'une heure de marche de la fin de la traversée, et nous nous disons qu'une petite nuit supplémentaire dans le parc nous économiserait le camping au village de Cerro Castillo.

Nous faisons nos adieux à Christian, qui décide de rejoindre le village avant la nuit. Nous ne nous connaissons que depuis la veille au soir, pourtant nous avons traversé une sacrée journée de dingue ensemble, et ce genre de chose forge de solides liens. C'est un ami que nous quittons ce soir!

Nous montons le camp au milieu du bois, remplissons nos bouteilles à la rivière, et faisons bouillir suffisamment d'eau pour le thé et la soirée, avant d'enfiler des fringues sèches et d'étaler nos frusques détrempées et couvertes de poussière sur les arbres alentour.



Enfin, nous pouvons nous poser! C'est une véritable journée de fou furieux qui s'achève. Avec celle d'hier, ça commence à faire pas mal... 

En analysant tout ça, nous nous disons que nous avons fait les zouaves, et que depuis le début de cette folle balade, nous avons commis des erreurs de jugement que nous ne sommes plus censés faire. Se taper un premier trek en montagne dans un nouveau pays sans vraiment savoir si les sentiers sont bien marqués, en nous basant uniquement sur les dires des gens, sans connaitre le véritable état du terrain ou ce satané niveau d'enneigement, sans matos approprié à l'enneigement sus-nommé... D'un autre côté, à quelle autre source d'information pouvions-nous nous fier? La CONAF n'est au courant de rien, tout le monde, y compris des montagnards habitués à la région, nous a certifié que le parcourt s'effectuait sans difficultés d'orientation, même le guide qui nous a bien aidé a été autant pris au dépourvu que nous devant la quantité de neige dans les hauteurs, la météo est complètement imprévisible... Nous n'avions finalement aucun moyen de mieux nous informer. Non, là où nous avons vraiment joué les buses de niveau intergalactiques, c'est avec la carte. Nous ne sommes plus en Nouvelle Zélande, et partir se paumer dans les montagnes patagoniennes sans carte, il fallait le faire...

Cela dit, nous ne nous sommes jamais réellement mis en danger. En l'absence du guide et de son groupe la veille, nous aurions rebroussé chemin avant d'attaquer l'ascension du col. Aujourd'hui, au-dessus du lac, si le brouillard ne s'était pas levé et que nous n'avions pas repéré l'entrée de la voie de sortie, nous avions suffisamment de provisions pour faire demi-tour et nous retaper 2 jours de marche dans l'autre sens afin de rejoindre l'entrée de l'itinéraire par un chemin que nous connaissions. Ca aurait été difficile, complètement déprimant, mais faisable.

Il n'empêche que nous ne nous remettrons plus dans ce genre de situation. Nous avons été un tantinet trop surexcités par la perspective de ce trek, et nous sommes partis bille en tête et fleur au fusil pour finalement bien ramassé et nous retrouver dans des positions inconfortables et pas rassurantes.

Ceci étant dit, place à des réflexions moins strictes et prudentes : au final, nous avons vécu l'une des meilleurs grandes randonnées de notre voyage avec la traversée du Cerro Castillo. Nous nous sommes marrés tout du long, nous avons bien ramassé sans jamais que la galère ne prenne le pas sur le plaisir tout en y contribuant (y'a pas, creuser une trace dans plus d'un mètre de neige en escaladant un col, c'est peut-être fracassant mais aussi jouissif et très gratifiant!), nous avons traversé des étendues et des paysages extraordinairement variés et magnifiques sur un terrain tout aussi varié durant une marche difficile, exigeante, plutôt technique et du coup très intéressante... C'est simple, nous n'avions pas vécu de trek aussi intense à tous les niveaux depuis notre virée dans le Nelson Lake National Park en Nouvelle Zélande, et je dirais même depuis le tour de Annapurnas si les deux étaient comparables. Ce dernier ne joue pas dans la même catégorie et reste évidemment très très très loin au-dessus, nous sommes d'accord...

Pour ceux qui voudrait se lancer dans la traversée, vous avez déjà du comprendre ça, mais je tiens vraiment à insister sur le fait que cette balade n'est définitivement pas à la portée de tout le monde, en tout cas avec les conditions dans lesquelles nous l'avons vécu. Je ne sais pas ce que ça donne en plein été et sans neige, mais voilà : même au printemps, même si le tracé n'atteint pas des altitudes stratosphériques, il peut être couvert de neige, les ascensions sont rudes, les pierriers, traversée de rivières et autres joyeusetés du même genre omniprésents, et l'orientation peut poser problème, encore que j'imagine que le sentier doit sans doute, comme tout le monde nous l'a dit, être évident à suivre quand il n'est pas planqué sous la neige les trois quarts du temps... 

A noté que pour la rédaction de cet article, je me suis un peu documenté grâce à plusieurs pages en espagnol traitant de la balade que mon niveau de l'époque ne me permettait de comprendre qu'à moitié, et qu'il est effectivement souligné que même sous des conditions météo parfaites et sans neige, ce trek s'adresse à des marcheurs confirmés qui possèdent une certaine expérience de la randonnée en milieu reculé et qui n'ont pas des jambes en carton. 

Si tel est votre cas, vous effectuerez avec la traversée du Cerro Castillo un trek proprement exceptionnel, qui de notre côté restera l'un des moments les plus forts de notre vadrouille sud-américaine et de notre voyage en général.

Au milieu de notre forêt, nous discutons de tout ça un bon moment avant de nous calfeutrer sous la tente, d'engloutir nos pâtes et de nous endormir à poings fermés dès que nous éteignons nos frontales.


Repos tranquille


Le lendemain, nous émergeons pour voir un grand soleil briller au-dessus des branches des arbres, et nous nous mettons en route pour parcourir les quelques derniers kilomètres qui nous séparent de la sortie.

Le chemin est plat, facile, le temps est radieux, et nous sortons bientôt du bois pour déboucher sur une vaste plaine. La dizaine de lapins qui détale à notre arrivée ne nous distrait que quelques seconde du panorama formidable qui s'étale devant nous.




Nous traversons la plaine, nous rinçant l'oeil devant le paysage avant de replonger en forêt.



Encore quelques dizaines de minutes de marche dans un sous-bois touffu, et nous atterrissons devant un portail en bois marquant la sortie du parc derrière lequel un groupe de jeunes français attend. Le portail est fermé, et nous sautons par-dessus pour rejoindre nos compatriotes qui nous regardent arriver avec des yeux ronds. Ils nous demandent d'où nous venons, et nous leur montrons la montagne qui se dresse dresse derrière nous, après quoi ils nous pointent la cabane du ranger vide à côté du portail, nous expliquant que visiblement, le parc est fermé! C'était donc ça... Et bien nous n'aurons finalement pas à payer l'entrée! Parfaite conclusion à cette formidable escapade.

De leur côté, nos camarades comptaient se rendre à la lagune, ignorant eux aussi l'état du chemin, mais nous jetons un œil à leurs baskets et à leurs shorts avant de leur expliquer notre descente d'hier et les conditions qui règnent au lac puis de leur suggérer d'oublier leur plan. Je ne sais pas de quoi nous avons l'air, mais nous devons paraître bien rétamés, car lorsqu'une des filles du groupe commence à proposer d'y aller quand même, son ami lui sort "non mais laisse tomber, regarde dans quel état ils sont!".

Nous leur proposons une solution de secours en leur parlant de la forêt et de la superbe plaine qui s'étale au bas de la pente, avant la neige, puis les laissons pour suivre la route en terre qui part vers le village de Cerro Castillo.

2 ou 3 kilomètres plus loin, nous débouchons sur la Carretera Austral qui nous conduit au village. Le bled est minuscule, petit rassemblement de maisonnettes en bois qui s'étalent le long de la route entre deux chaînes de montagnes couvertes de forêts. Il n'y a pas un rat, les quelques petites échoppes que nous croisons sont toutes fermées, et nous avons l'impression de parcourir un joli petit village fantôme montagnard, charmant mais un brin lugubre! Le cadre est fantastique, et nous commençons à nous dire qu'ici, c'est un peu comme en Nouvelle Zélande : où qu'on aille, le paysage dépote!

Bon, quels sont nos plans maintenant que nous en avons terminé avec cette traversée épique? Durant notre marche d'approche, nous avons décidé de nous poser un peu, si possible, au village, le temps de nous reposer de notre épopée dans les montagnes et de planifier une suite à laquelle nous n'avons pas vraiment encore pris le temps de réfléchir, tant les événements de ces derniers jours ont occulté tout le reste.

Avant toute chose, nous allons voir si il y a de quoi s'affaler dans les parages, ce que ne garantit pas le premier aperçu que nous avons du village. Nous savons qu'il s'y trouve deux campings, mais si tout est fermé, nous devrons trouver autre chose.

Nous tombons bientôt sur un panneau qui indique justement l'un d'entre eux. Nous parcourons quelques ruelles et découvrons El Mirador, un camping niché à la limite du village, dans la verdure. Le coin est lui aussi complètement désert, et nous cherchons quelqu'un, sans trouve âme qui vive, avant de nous rendre à la dernière baraque que nous voyons de ce côté du village, juste derrière le camping. Une jeune fille en sort tandis que nous approchons, et victoire, il s'agit de la fille de la patronne!

La nuit est facturée 4000 pesos par personne, ce qui considérant l'endroit où nous sommes est plutôt raisonnable, et même moins cher que ce que nous payions à Coyhaique. Nous disposons d'un coin feu, d'un abri-salle à manger, et on nous promet de l'eau chaude dans les douches!

Quelques dizaines de minutes plus tard, nous sommes affalés sous l'abri un café à la main. Il est midi passé, mais nous n'avons pas envie de ne passer qu'une demi-journée ici, et nous décidons de consacrer de poser nos sacs ici jusqu'à après-demain, le temps de nous remettre de notre virée dans les montagnes et de préparer la suite des festivités.

La douche chaude est une bénédiction après trois jours très humides et froids passés la moitié du temps les pieds dans la neige.

L'après-midi, nous partons en mission de ravitaillement. Il va bien falloir qu'un magasin soit ouvert, parce que nous n'avons plus rien à manger...

La vue sur la réserve s'est dégagée, et en chemin nous gardons les yeux rives sur les hauteurs que nous avons quitte la veille et qui se dressent au loin. Nous apercevons le sommet où nous nous sommes paumés dans le brouillard, la pente interminable que nous avons dégringolé, la grande plaine broussailleuse, le tout dominé par le Cerro Castillo... Magnifique!

Nous zonons dans les petites ruelles du village, croisant par moment un habitant qui nous salue, mais les 2 ou 3 magasins que nous trouvons sont désespérément fermés, et nous ne découvrons pas le moindre marché... Finalement, par hasard, nous quittons la devanture d'une nouvelle échoppe minuscule à la porte fermée et aux intérieurs plongés dans la pénombre au moment ou un homme arrive et nous fait signe de revenir. Nous apprenons qu'en fait, il faut tout simplement frapper à la porte, et le vendeur vient ouvrir! Vu le peu de fréquentation des alentours, les tenanciers ne laissent pas leurs boutiques ouvertes, ils restent chez eux et ne viennent au comptoir que si un client frappe.

Malheureusement, le magasin ne propose pas grand chose, et nous continuons nos recherches. Nous faisons un tour sur la place du village, furetons à droite à gauche... A part deux ou trois papys et quelques chiens errants, nous ne croisons personne! Très calme ce coin décidément...

Et enfin, sur le chemin du retour, nous trouvons notre bonheur : une boutique ouverte et à peu près bien fournie! Enfin quand je dis notre bonheur... Il y a de quoi nous refaire de bonne réserves de provisions, mais pour la première fois nous expérimentons les prix de la Patagonie, la vrai, la profonde... Et ça ne fait pas rire! Tout est environ trois fois plus cher que ce que nous avions l'habitude de payer auparavant!

Nous n'avons pas vraiment le choix, et nous craquons l'équivalent d'à peu près trente balles pour quelques avocats, œufs, tomates, morceaux de pain, fromage et paquets de biscuits. De quoi tenir trois malheureux jours jours à tout casser, et encore en faisant gaffe! Ba oui, le fait que cette région soit complètement coupée du monde constitue sa force mais aussi sa malédiction : du coup les denrées qu'on y trouve viennent de très loin, et il a bien fallu les acheminer ici, par bateau, camion, voir avion...

Nous finissons l'après-midi au camping, ramassant du bois en prévision d'une flambée pour ce soir, rencontrant la patronne, une vieille dame très sympa mais que nous sommes incapables de comprendre. Dans la soirée, deux autres voyageurs, un brésilien et une américaine, débarquent au camping. Ils font partie de cette espèce de baroudeurs fous furieux pour qui nous éprouvons autant de respect que de compassion : les voyageurs à vélo!

Nous passerons la soirée ensemble, à discuter voyage et amérique, avant que nos compagnons aillent se coucher et que nous nous posions vers la tente pour finir la soirée autour d'un bon feu sous le ciel étoilé. Coup de bol, les nuages ont visiblement décidé de rester perché sur les hauteurs !

Tandis que nous refaisons le monde, Léonore aperçoit à plusieurs reprises un chat qui rôde autour de la tente. Je m'approche pour voir ce que veux la bestiole, et elle détale sans demander son reste.

Parce que le truc, c'est qu'elle l'avait déjà, son reste... lorsque le feu finit de brûler et que nous rentrons nous coucher, nous découvrons un énorme trou dans la base de la toile de la chambre, le sac plastique contenant notre fromage éventré, et le fromage en question à moitié grignoté!

Ah la sale bête! La tente, nom d'un chat, la tente! Nous voilà avec un trou béant dans la toile de la chambre de notre maison, de notre terrier, de notre refuge bien-aimé! Nous allons en avoir tellement besoin dans les jours et les semaines qui viennent, et nous ne pouvons pas nous permettre d'en racheter une autre. Le prix du matos de montagne et de camping, au Chili, est très élevé, et tout le monde sait qu'il faut venir équipé plutôt que d'avoir à faire des achats spécialisés ici. Bref, c'est la tuile, la bonne grosse tuile qui tache...

Et le fromage... Au prix que nous l'avons payé! D'abord les chiens à Castro, maintenant il faut que les chats s'y mettent aussi...

Les animaux domestiques ont visiblement un problème dans ce pays. Il est tard, nous sommes dépités, mais il n'y a pas grand-chose à faire de plus ce soir, et nous nous couchons bien dégoûtés après avoir bouché le trou tant bien que mal avec des fringues. Saleté de bestioles...

Au matin, nous faisons l'inventaire de notre matériel de réparation. Entre le reste du kit que nous avions acheté en Nouvelle Zélande et les rustines fournies avec les tapis de sol, nous pensons avoir de quoi colmater la brèche de notre pauvre guitoune éventrée. Nous tenterons les réparations demain, avant de partir, après l'avoir démontée. Le chat a quand même su rester magnanime dans sa gloutonnerie en creusant son trou sous le double-toit, et même s'il pleut nous ne prendrons pas l'eau.

La journée est consacrée au repos bien mérité, à la lessive, à l'écriture du blog, et au squattage du tressautant signal wifi du camping pour préparer la suite de nos vadrouilles.

Nous nous disons encore une fois que nous n'allons pas passer nos vies ici, surtout maintenant que nous avons constater de nos propres yeux le coût de la vie, et que nous n'allons pas trop tarder à passer en Argentine. Elle est belle cette Patagonie chilienne, mais elle risque de nous vampiriser le compte en banque à vitesse grand V! Nous aimerions quand même nous ménager un dernier arrêt sympa dans la région avant de changer de pays.

Nous commençons par repérer le poste frontière facilement accessible le plus proche de nous, et sans surprise, il s'agit de celui dont on nous avait parlé au terminal de bus de Coyhaique, situé entre Chile Chico, au Chili, et Los Antiguos, en Argentine. Chile Chico se trouve à plus de 280 kilomètres du village de Cerro Castillo, et sur le chemin, nous découvrons la présence d'un petit bled apparemment très sympa appelé Puerto Rio Tranquilo.

Le village en question se situe au bord du lago General Carrera, un immense lac de 1850 kilomètres carrés qui se trouve à cheval sur la frontière avec l'Argentine, dont les alentours offrent des paysages apparemment somptueux. De plus, il est possible d'effectuer des sorties en bateau sur le lac pour aller observer les Cathédrales de marbres, une série de grotte et d'alcôves sculptées par les vagues qui constituent l'un des sites naturels les plus fascinant de la région. Il existe en plus plusieurs campings où poser sa tente à Rio Tranquilo!

Et bien voilà : Puerto Rio Tranquilo, son lac et ses Cathédrales de marbres constituerons notre dernière étape en Patagonie chilienne. Après cela, nous rejoindrons Chile Chico avant de passer en Argentine pour descendre à El Chalten et la parc national Los Glacieres.

Nous décidons de mettre les voiles en pouce dès le lendemain, pour prendre le temps qu'il faut afin de rejoindre Rio Tranquilo et passer voir les fameuses cathédrales de marbre après-demain.

Au réveil, nous rangeons nos affaires et nous apprêtons à opérer la tente. La blessure n'est pas belle à voir : un trou de 6 ou 7 centimètres de diamètre donne sur une déchirure droite de plus de 5 centimètres, tandis que tout autour de petit coups de crocs constellent la toile.

La tâche n'est pas une mince affaire, et toutes nos réserves de toile autocollante, de colle et d'étanchéisant y passe, mais notre tente adorée est bientôt tirée d'affaire. La pauvre gardera des cicatrices toutes sa vie, mais la voilà prête à reprendre du service!

Nous remballons le camps et rejoignons la Carretera Austral pour nous apercevoir que celle-ci n'est plus goudronnée dès la sortie du village! Passées les dernières maisons, le goudron disparaît pour laisser place à une large piste poussiéreuse.

Nous posons les sacs et attaquons le stop. “attaquer” est un bien grand mot : nous n'avons pas grand-chose à faire tant la route est déserte... Il doit s'écouler un bon quart d'heure de battement entre chaque passage de véhicule! Déprimant... Et chaque fois que nous voyons une voiture traverser le village, nous sourions de toutes nos dents, levons le pouce avec entrain, malheureusement il s'agit systématiquement soit de minibus de tour-opérateurs qui ne vont évidemment pas nous embarquer gratos, soit de voitures pleine à ras-bord qui n'ont plus un centimètre cube où nous caser...



Nous faisons les piquets, profitant du paysage mais maudissant tout de même un peu l'isolation du coin, et le temps passe... 30 minutes... 45... Après une heure à faire les zouaves sur le bord de la route, un van gigantesque et très surélevé, du genre 4x4 aménagé, ralenti près de nous. Ah? La fenêtre s'ouvre, et nous voyons la passagère, une jeune femme, qui nous dit en anglais qu'elle et son mari, au volant, auraient bien voulu nous prendre mais qu'ils voyagent avec leurs enfants. En regardant à l'arrière, nous apercevons effectivement deux têtes blondes qui nous dévisagent avec curiosité.

Ils sont désolés, et nous souhaitent bonne chance avant de repartir. Nous comprenons parfaitement leur geste : vu le ton employé ils auraient adoré nous prendre, mais ils ne nous connaissent pas, et avec deux ptios en bas âge, on ne doit vouloir prendre aucun risque.

L'attente dure, encore et encore... Une heure est demi... Voilà bientôt 2 heures que nous poireautons, et nous commençons à en avoir ras-le-bol. Nous décidons de retourner au village pour voir si à tout hasard, un bus ne passerait bientôt pour Rio Tranquilo. Comme nous le disions dans un précédent article, nous faisons du stop pour le plaisir, mais nous avons les moyens de ne pas nous forcer si la galère pointe un peu trop le bout de son nez.

De retour au village, nous avisons une jeune fille qui tient un stand de nourriture sur le bord de la route. Elle nous explique qu'il n'y a qu'un seul bus par jour qui passe ici... Damned! A quelle heure? Midi et demi... Dans 20 minutes! Du velours tout ça!

Nous attendons un moment, et le bus arrive presque à l'heure. Nous embarquons pour 7000 pesos chacun, et nous voilà en route pour Rio Tranquilo. Le bled n'a beau être qu'à 120 kilomètres de Cerro Castillo, à cause de la route en terre, le bus ne peut pas aller bien vite, ce qui nous laisse tout le temps de profiter du formidable paysage, tout en montagnes aux sommets enneigés, forêt sombres, falaises, rivières et torrents. Douce Patagonie...

Durant le trajet, le temps pas tellement radieux du début de journée s'améliore, et nous arrivons à Puerto Rio Tranquilo sous un beau soleil comme nous n'en avions pas vu depuis Chiloé.

En tout, le voyage nous prend un peu plus de 3 heures. En début d'après-midi, le bus nous largue dans le centre d'un tout petit village. Quelques centaines de maisons s'étalent au pied d'une petite montagne, l'endroit est très calme, et comme toujours depuis que nous sommes arrivés dans cette région aux airs de paradis naturel, le cadre et le paysage environnant sont incroyables!

Avant de nous extasier sur les alentours, nous devons trouver un point de chute. Juste avant de rentrer dans le village, depuis le bus, nous avons repéré un panneau indiquant un camping.

Nous rebroussons chemin et suivons le panneau, nous enfonçant dans la campagne, pour trouver un joli pré où poser la tente. Malheureusement, l'emplacement de tente y est facturé 5000 pesos par personne, sans wifi, sans eau chaude et sans abris. A ce prix là, c'est du vol!

Nous traversons le village dans l'autre sens à la recherche d'une petite rue repérée sur internet à Villa Cerro Castillo et censée fourmiller de campings. La quête n'est pas facile du tout, pour la bonne raison qu'il n'y a aucun panneau indiquant les noms de rues que nous croisons! Finalement, nous tombons visiblement dessus par hasard : nous nous retrouvons sur une route en terre le long de laquelle nous croisons trois ou quatre campings! Nous avons l'embarras du choix, tous les camping sont au même prix, 5000 pesos la nuit par personne, il ne reste plus qu'à choisir... Nous n'aurons pas à réfléchir : un couple de voyageur nous aborde pour nous conseiller le Bellavista, où ils se sont eux-même posé.

Nous nous rendons sur place pour jeter un oeil, et nous rendre compte que nos compagnons ne nous ont pas menti : cuisine et salle à manger à dispositions, wifi fulgurant (et avec tout le retard que nous avons pris sur le blog, c'est quelque chose que nous attendions depuis un bon moment!), douches impeccables... Bon, nous raquons l'équivalent de 14 euros pour deux en camping, mais nous commençons à nous y faire. Comme quoi...

Tandis que nous montons le camps, nous avons la surprise de voir débarquer le van aménagé qui nous a croisé à la sortie de Cerro Castillo ! Sitôt garé, le conducteur vient nous voir pour se présenter et s'excuser de ne pas nous avoir embarqué tout à l'heure. Nous lui assurons qu'il n'y a aucun souci, que c'est le stop, que rien n'est forcé, que nous aurions peut-être fait pareil à leur place et que nous comprenons parfaitement, avant de papoter un peu. C'est ainsi que nous faisons la connaissance de Rob, qui voyage en Amérique du Sud accompagné de sa femme, Mary Jane, et de leur deux enfants, Liam et Avery, âgés respectivement de 7 et 5 ans. Cette petite famille sympa comme tout vient du Canada, et notre rencontre avec eux va pas mal bouleverser les quelques jours qui viennent ! Mais ça, nous ne le savons pas encore...

Nous les laissons s'installer, embarquons le pique-nique et partons faire un tour dans le village pour  voir comment se goupillent les sorties pour les cathédrales de marbre.

Mais avant tout, nous voulons voir ce fameux Lago General Carrera soit disant tellement impressionnant. Nous descendons sur la plage, et il faut admettre...



C'est grand. Nous nous posons sur une souche de bois flotté pour pique-niquer face à ce panorama de fou en profitant de la quiétude du lieu. Qu'est-ce que nous avons bien fait de nous attarder dans cette région !

Nous rejoignons ensuite la route qui longe la plage où se trouvent toutes les agences touristiques du bled. Il y en a une bonne dizaine, qui proposent un éventail impressionnant d'activités, de la marche sur glacier au rafting et au kayak, pour des prix qui frisent l'insolence. De notre côté, même si nous taper du glacier en Patagonie ne nous déplairait pas, nous restons raisonnables : la simple sortie en bateau pour les cathédrales coûte déjà son pesant de cacahuètes. Toutes les agences la proposent au même prix : 10000 pesos par personne, pour des prestations à peu près équivalentes. Nous nous pointerons demain matin et prendrons la première qui part.

Toujours aucun petit marché à l'horizon, et nous passons faire quelques courses au magasin du coin, dont nous ressortons blêmes... Chaque session provisions ici nous donne l'impression de nous faire proprement vampiriser! Nous n'en avons heureusement plus pour très longtemps...

Nous rentrons au camping en fin d'après-midi, histoire de cravacher un peu sur le blog en engloutissant quelques litres de thé.

Notre séance de travail connait une fin prématurée lorsque les deux voyageurs qui nous ont conseillé le camping débarquent et que nous nous mettons à discuter. Originaires d'Autriche, ils voyagent depuis plusieurs semaines au Chili, et ont suivi à peu près le même itinéraire que nous jusqu'à maintenant. La suite de leur programme est d'ailleurs sensiblement la même que la nôtre : descendre par l'Argentine pour rejoindre Puerto Natales et le Torres en faisant un ou deux arrêts sur la route en Argentine pour explorer le parc Los Glacieres.

Nous parlons voyage durant un bon moment, après quoi ils nous laissent.

De retour en ligne, nous découvrons un mail. Un mail qui va nous amener à reconsidérer tous les tenants et aboutissants de l'organisation de ces derniers mois de voyage.

Je vous ai bien embêtés durant tous ces premiers articles avec un tas de réflexions pratico-pratiques sur ce que nous allons/voulons/pouvons faire/prévoir/tenter, sur le quand et le comment, l'ordre et le timing. Et bien ce mail va mettre fin à ça (joie!), ou tout du moins nous pousser une bonne fois pour toute à poser un minimum les choses et à réfléchir concrètement à nos priorités et à nos envies.

Il s'agit d'un mail de mon père, qui propose de venir nous rejoindre au Chili pour passer quelques semaines et visiter le nord du pays, et notamment le célébrissime désert d'Atacama, avec nous. Important je vous dis !

Il nous propose de venir aux alentours du 20 novembre. Plus tard, le voyage risque d''entrer en conflit avec le déroulement des fêtes de fin d'année...

Nous voilà tout chamboulés à l'idée de la visite... Et puis nous commençons à réfléchir : nous sommes le 30 octobre. Si nous partons après-demain, en comptant l'arrêt à El Chalten et à El Calafate, un ou deux petits treks au passage, le Torres del Paine, plus sans doute une semaine supplémentaire dans la Terre de feu, puis dans la région des lacs après être remontés, nous repasserions au niveau de Santiago pour rejoindre le nord du pays, au minimum et sans perdre un seul jour, début décembre. Et encore, il s'agit de l'estimation la plus optimiste, basée sur l'absence totale d'imprévus et de retards et sur un rythme de voyage plus qu'effréné...

Et ça, ce n'est en fait pas possible. Mon père ne pourrais pas passer nous voir, mais il y a aussi autre chose. Nous y réfléchirons.

La journée se termine sur pas mal de réflexions concernant la suite de nos vadrouilles chiliennes, et nous commençons à prendre quelques décisions radicales mais nécessaires.

Nous finissons la soirée avec nos amis Autrichiens, avant de nous poser sous la tente. Nous réglons notre alarme afin de nous réveiller avant le lever du soleil, pour aller admirer ce dernier au-dessus du lac.

Le lendemain, bien sûr, nous regrettons. Quel intérêt ? Pourquoi s'infliger un réveil de nuit alors que le soleil se lève tous les jours ?

Nous parvenons quand même à nous motiver, nous extirpons des duvets, nous emmitouflons et sortons dans les ruelles encore sombres et désertes de Rio Tranquilo en direction de la plage.

Alors oui, ça valait le coup, même si quelques nuages couvrant l'horizon nous gâchent un peu le spectacle !



Nous rentrons au camping pour nous caféiner un peu avant de rejoindre les rives du lac et de trouver le prochain bateau qui part. Nous dénichons bientôt une agence, qui nous annonce que nous devons juste attendre un groupe de 4 français qui a réservé pour ce matin avant d'embarquer. Quelques minutes plus tard, nous avons la surprise de voir débarquer les quatre jeunes frenchies que nous avions croisé à la sortie du Cerro Castillo, juste avant de rejoindre le village ! C'est petit la Patagonie.

Nous embarquons tous ensemble sur une grosse barque en compagnie d'un guide et du pilote, et nous voilà bientôt bondissant sur les vagues du lac, cheveux au vent et arrosés d'écume.

Après quelques minutes, nous arrivons en vue des falaises...



Comme souvent dans ce pays, notre guide ne parle pas un mot d'anglais, mais il articule et nous comprenons sans problème son espagnol.

Au fil des millénaires, les eaux du lacs ont érodé la base des falaises principalement constitué de carbonate de calcium qui se dressent au bord, entraînant l'apparition de nombreuses formations géologiques particulières. La Cathédrale de Marbre, en espagnol "Catedral de Marmol", n'est en fait que l'une d'entre elles, qui regroupent également les cavernes de marbre et la chapelle de marbre. Ces formations ont été classées monuments nationaux en 1994.

Si le phénomène en lui-même est plutôt classique, le résultat, quant à lui, est juste bluffant et magnifique! Nous passons d'abord les cavernes : 



Avant de découvrir la fameuse cathédrale et la chapelle. La couleur de l'eau et celles de la roche érodée, qui ressemble pour le coup véritablement à du marbre, la masse rocheuse sculptée de cavernes dans lesquelles s'engouffrent les vagues... le tout offre un rendu impressionnant!



Notre capitaine tente quelques incursions dans les cavernes, mais le lac est trop agité, et nous nous remettons bientôt en route pour Rio Tranquilo.

La sortie dure au final un peu plus d'une heure et demi. Et bien c'était pas mal tout ça, mais nous ne pouvons nous empêcher de trouver le tarif un poil abusif. 10000 pesos par personne, ça reste un peu cher pour ce que propose le tour, même si nous avons du mal à ne pas vous le recommander si vous passez dans le coin. Disons qu'on sent bien que les agences essayent de tirer un maximum de profit de la chose. Rien de bien inhabituel donc!

Nous passons faire quelques courses avant de rejoindre le terminal de bus pour nous rencarder sur les transports à destination de Chile Chico. Nous apprenons qu'un bus part demain à 14h, mais que nous avons peu de chance de pouvoir enchaîner directement pour l'Argentine, et qu'il nous faudra probablement passer une nuit là-bas pour passer la frontière le lendemain. Ce qui ne nous va qu'à moitié, Chile Chico n'étant pas vraiment connu pour son intérêt touristique... Nous verrons.

Nous rentrons au camping, et les quelques heures qu'il nous restent avant la fin de journée vont voir se dérouler plusieurs événements qui vont achever de nous remettre définitivement sur l'orbite de la vadrouille, la vrai!

Déjà, nous envoyons un mot à mon père pour lui faire part des décisions que nous avons prises entre hier et aujourd'hui, et que je vais vous détailler un peu : nous devons arrêter de vouloir absolument tout faire, et nous devons nous mettre dans la tête que les mois nous sont comptés. Il ne nous reste plus des années de voyage! Nous réfléchissons à un pseudo-programme sans vraiment prendre cet élément au sérieux, mais si l'on considère les choses avec un minimum de bon sens, qu'est ce qu'on constate? Parti comme c'est parti, si nous faisons tout ce que nous voulons faire au Chili, nous allons y passer 4, 5 mois, peut-être plus. Alors bien sûr, le pays nous botte, mais n'oublions pas qu'après le Chili, il y a la Bolivie. Puis le Pérou. Puis l'Equateur.

Et ensuite, nous voulons continuer si possible, passer en Colombie, au Costa Rica, en Amérique Centrale, au Mexique, à Cuba?! Il suffit de réfléchir 2 minutes pour se rendre compte d'à quel point ces plans sont absurdes, tant financièrement que temporellement!

Nous avons donc raisonné d'un point de vue strictement technique et pécuniaire : suivant le taux auquel nous allons pouvoir échanger nos dollars néo-zélandais, nous disposons d'une réserve dont le montant se situe entre 11000 et 12000 euros. Nous voulons rentrer en France avec des économies, disons 2000 ou 3000 euros. Ce qui fait que nous disposons d'environ 9000 euros pour terminer le voyage, auxquels il faut retirer une somme que nous estimons (de manière trèèès optimiste!) à environ 1000 euros pour les billets de retour. Nous disposons donc de 8000 euros entièrement consacrés à l'Amérique du sud.

Ces premières semaines nous ont permis de calculer que nous allons dépenser à peu près entre 1000 et 1200 euros par mois au Chili. Oui, il est violent ce pays pour le porte-feuille! Encore qu'après la Nouvelle Zélande, nous ne sommes pas trop choqués...

En toute logique, au Pérou et en Bolivie, où la vadrouille coûte bien moins cher qu'au Chili, nous allons dépenser moins d'argent. Disons entre 800 et 1000 euros par mois.

Donc pour prévoir large, disons que nous allons dépenser, en moyenne, sur la totalité de notre virée sud-américaine, 1000 euros par mois. Nous avons donc de quoi voyager pendant 8 mois.

8 mois. Chili, Bolivie, Pérou, Equateur. 4 pays, 2 mois par pays.

Une durée suffisante pour que nous n'ayons jamais à nous presser, pour que nous puissions profiter à fond des endroits où nous sommes, pour que nous puissions nous poser si nous en avons envie, ce qui ne manquera pas d'arriver après le temps que nous avons passé sur la route. De quoi voyager comme nous l'aimons et terminer ce voyage comme il le mérite : en découvrant et en explorant tranquillement des pays qui nous attirent, des cultures et des histoires que nous rêvons de découvrir depuis des années, en ayant le temps de nous immerger dans les endroits que nous traversons, de nous prendre des jours à ne rien faire si nous le voulons... Enfin bon, vous savez comment nous fonctionnons!

Et tout le reste, tout les pays que nous voulions visiter mais dans lesquels nous ne pourrons raisonnablement pas nous rendre? Ils constituent autant de destinations possibles pour nos prochains voyages! Nous envisageons tout de même une éventuelle incursion en Colombie si nous avons le temps, avec tout le bien que nous entendons dessus à chaque fois que nous croisons quelqu'un qui y a mis les pieds.

Il est temps d'arrêter de nous emballer sans réfléchir correctement, et le mail de mon père a été le déclencheur nécessaire. Posons un peu les choses nom de nom! Là pour le coup, pour être posées, elles le sont. Nous pouvons désormais savoir à peu près où nous serons et quelle période, et nous pouvons même estimer avec une relative précision notre date de retour : elle se situera probablement entre fin mai et début juin 2018!

Belle avancée organisationnelle. Quelles vont être les conséquences sur notre vadrouille chilienne? Et bien déjà, nous allons faire des coupes dans notre programme : plus de deux mois au Chili, c'est beaucoup plus de sous de dépenser et moins de temps à passer dans des pays que nous attendons plus et qui promettent de nous faire vibrer. Et notamment dans le pays que nous attendons le plus, notre terre promise en Amérique du sud... Un indice : son nom commence par "pé" et finit par "rou".

Nous décidons de mettre de côté la Terre de Feu pour le moment. Ce choix nous coûte, nous connaissons la réputation de paradis sauvage et inexploré de la belle... Mais on ne peut pas tout faire!

Rien qu'avec ce changement, nous gagnons énormément de temps : celui que nous n'allons pas passer là-bas, mais aussi celui que nous n'allons pas passer dans les transports pour y descendre! Une durée non négligeable dans un pays aussi long.

Bref, après Puerto Natales et le Torres del Paine, nous remontrons sur la région des lacs pour y passer quelques jours avant de rejoindre mon père à Santiago le 20 ou le 21 novembre pour filer tous ensemble vers le nord. Parce que oui, la principale conséquence de ces changements de programme, c'est bien évidemment qu'ils vont nous permettre de partager un mois de vadrouille avec mon père, et ça c'est quand même quelque chose!

Nous lui écrivons pour lui transmettre toutes ces dernières nouvelles. Voilà qui est fait!

Pendant ce temps, Rob, le père de la petite famille canadienne que nous avons rencontrée hier, est venu se poser avec nous et nous parle un peu plus du voyage que lui et sa famille ont entrepris. Et whaou... Pour faire court, Rob, Mary Jane et leur deux enfants ont décidé un beau jour de partir sur les routes d'Amérique. Ils ont fait aménager un van sur-mesure pour pouvoir vivre dedans et l'ont fait descendre en bateau depuis le Canada jusqu'à Santiago, où ils ont atterris il y a peu pour récupérer la bête et commencer à sillonner les routes. Leur projet? Une virée de 300 jours qui doit les conduire du bas de l'Amérique du sud jusqu'au Canada!

Pour plus d'informations sur ce grand voyage en famille, voici leur site, 300 Days South - A Family Adventure (en anglais). Je vous assure que c'est inspirant!

Nous passons la fin d'après-midi à discuter voyage et à échanger sur nos expériences. Rob est super sympa, posé, réfléchi et à l'écoute, et bourré d'histoires bien marrantes sur les premières semaines de voyage de sa famille.

Il nous laisse un moment, et nous furetons un peu sur le net à la recherche d'un truc sympa à faire entre Chile Chico et El Chalten : les deux bleds étant séparé de plus de 800 bornes, nous trouverions bien quelque chose pour couper le voyage en deux! D'autant que le passage de la frontière et l'enchaînement des transports ne semble pas de tout repos...

Nous trouvons un endroit qui pourrait être plutôt intéressant et original à découvrir : la Cueva de las Manos, littéralement la grotte des mains, site de peintures rupestres classé au patrimoine mondial, et situé dans la province de Santa Cruz en Argentine, à 189 kilomètres de Chile Chico sur la route pour El Chalten. Un peu d'histoire dans ce monde de paysages naturels certes incroyables mais qui occupent en exclusivité le devant de la scène depuis que nous sommes arrivés en Nouvelle Zélande, voilà qui nous ferait très plaisir!

Nous sommes en train de nous renseigner sur la question lorsque Rob revient nous voir, et vlan : il nous demande où nous allons après Rio Tranquilo, et lorsque nous lui annonçons que nous allons normalement filer à El Chalten en Argentine, il nous explique qu'eux aussi, qu'il leur reste deux places dans le van, et que si le coeur nous en dit, nous pouvons venir avec eux pour partager quelques jours de voyage avec la famille!

Nous acceptons avec joie, ravis. Quel super cadeau!

Nous lui parlons rapidement de la grotte aux mains. Non pas que nous tenions absolument à y aller s'ils ne veulent pas, mais nous nous disons que ses deux loustics peuvent apprécier la chose! Il nous annonce qu'il va se renseigner, avant de nous laisser dîner.

Ce soir, notre morne casserole de pâtes est la meilleur du monde, réjouis que nous sommes d'avoir rencontré Rob! Nous passons voir la famille avant d'aller nous coucher, déjà pour les remercier tous du fond du coeur de nous permettre de les accompagner, et puis pour discuter un peu avec Mary Jane, alias MJ, avant de nous présenter aux deux petits. Les jours suivants s'annoncent formidables! Le voyage décidément...

Le lendemain, lever aux aurores pour replier et rejoindre nos nouveaux compagnons de route. Liam et Avery nous aident à démonter la tente, après quoi nous chargeons nos affaires dans leur véhicule, avant d'avoir un rapide conciliabule avec Rob et MJ histoire de parler du voyage.

Nos amis sont adeptes du camping sauvage gratuit en pleine nature, d'autant plus commode qu'étant véhiculés, ils peuvent aller où ils veulent pour trouver de parfait spot de camping. Ils sont forts! Le projet visite de la Cueva de las Manos a été validé, et nous nous y rendrons ensemble. Avec cet arrêt, Rob estime que nous arriverons à El Chalten dans trois ou quatre jours. Pour passer en Argentine, nous n'allons pas emprunter la route de Chile Chico, mais une autre piste située plus au sud, et qui s'ouvre au nord de la ville de Cochrane, ce pour une raison simple : la Carretera Austral n'est déjà pas bien évidente à parcourir, tout en terre, graviers et nids de poule, mais visiblement la route qui relie Chile Chico à Los Antiguos est encore pire, et tient vraiment de la piste pour 4x4. D'après Rob, certes les bus l'empruntent, mais les chauffeurs sont de grands marteaux! Le véhicule de la famille est relevé, mais n'est pas un 4x4 pour autant, et il est préférable de rallonger un peu le temps de trajet et de ne pas se retrouver bloqué, ou pire, au beau milieu des cols de la Cordillère.

Nous nous installons tous dans le van, passons faire quelques courses à la supérette du coin, et ciao Rio Tranquilo! Le coin nous aura bien plu, et nous ne regrettons pas de l'avoir choisi : le bled porte bien son nom, petit havre de tranquillité niché au cœur d'un environnement fabuleux, le lac est magnifique, et l'attraction du coin vaut le détour. Si l'on ajoute les belles rencontres que nous y avons faites, Puerto Rio Tranquilo restera dans les mémoires!

Nous voilà dévalant la Carretera Austral, traversant forêts de sapin et vallons encaissés, longeant torrents bondissants et rivières.

Nous émergeons des arbres pour suivre une ligne de crête dégagée depuis laquelle une vue fantastique impose un arrêt!



C'est l'autre gros avantage du véhicule personnel par rapport au bus : on s'arrête quand on veut, où on veut! Chaque fois qu'un nouveau paysage fantastique apparaît au détour d'un virage, nous pouvons nous arrêter et en profiter. Autant dire que nous passons notre journée à nous rincer l’œil!

Nous quittons bientôt la Carretera Austral et bifurquons vers l'est. Nous commençons à nous élever dans la Cordillère, et le décors change : la piste serpente bientôt au milieu d'une immense steppe vallonnée et mouchetée de touffes d'herbe drue et de petits buissons... 

Nous voilà dans un milieu particulier dans lequel nous allons retourner de nombreuses fois au cours de mois qui viennent, et qui a chaque fois va nous subjuguer par sa beauté et sa diversité : celui des hauts plateaux andins.

Non seulement le paysage et grandiose, mais en plus nous y faisons pour la première fois une rencontre que nous attendions depuis un bon moment : nos premiers camélidés sud-américains! Et ce ne sont pas n'importe lesquels... Il s'agit de grands et fiers guanacos!



Le guanacos, c'est une bestiole de la même famille que le lama, à la bouille sympa comme tout, et au joli pelage brun-roux et blanc.

Alors il faut savoir que le guanaco va vite devenir notre animal favori dans cette contrée. Parce que soyons francs, il a la classe! Le majestueux guanaco, contrairement au célèbre lama et à l'alpaga, est sauvage, et n'a jamais été domestiqué. Grand montagnard, il vit en troupeau dans les hauteurs de la Cordillère des Andes, et il y en a un paquet! Après notre première rencontre, nous croiserons des bandes de 10 ou 20 individus à plusieurs reprises.

Paysage somptueux, bestioles... Une sacrée journée de voyage! L'entente avec nos compagnons de voyage est parfaite : Rob et MJ sont sympas, ouverts et plein d'anecdotes, tandis que leur deux enfants sont adorables. Liam est un fan inconditionnel de Star Wars, Avery est vive et pleine d'imagination, les deux adorent les animaux et la nature... Et ils sont en train de vivre une expérience assez exceptionnelle du haut de leur 7 et 5 ans!

L'après-midi n'est pas encore terminé, mais Rob décide de s'arrêter pour aujourd'hui. Il s'avère que nous ne sommes qu'à quelques dizaines de kilomètre de la frontière, et toute personne ayant un minimum baroudé sait qu'on ne glandouille pas près d'un passage frontalier, et qu'on y dort encore moins!

Alors point de vue coin camping sauvage, nous sommes au paradis : nous sommes dans la pampa andine, au beau milieu des collines, des montagnes et des immenses plaines désertiques, nous avons croisé notre dernière trace de civilisation il y a plus d'une heure, à part la piste que nous suivons il n'y a plus un signe de présence humaine... Nous quittons la route pour nous enfoncer un peu dans la plaine et nous garons dans une petite prairie d'herbe.

Le moteur s'arrête, nous ouvrons la porte et tout le monde saute. Nous sommes cueillis par un petit vent, seul bruit alentour, et tout le monde prend un moment pour apprécier la beauté et le calme du lieu.



La vie est belle!

Nous montons la guitoune à quelques dizaines de mètre du van, toujours assistés par nos deux jeunes amis férus de camping, et préparons un thé que nous buvons en silence, dans l'un des plus beaux et sereins endroits où nous ayons jamais campé...



En chemin vers ce nirvana du posage en pleine nature, nous avons croisé un petit lac, et Rob et MJ nous propose d'aller y jeter un œil. Nous voilà partis tous ensembles, sous le regard curieux de quelques guanacos qui nous observent depuis les collines...



Le lac se trouve non loin. et nous ne mettons pas longtemps à descendre vers ses rives.



Nous finissons l'après-midi au bord du lac, à observer une bande de flamands roses qui vaquent sur l'autre rive, à découvrir quelques squelettes de pauvres guanacos ayant probablement servi de casse-croûte à un puma affamé et à profiter des environs.

Nous rentrons pour dîner, avant de partager une petite coupe de vin chilien (fameux!) en silence face aux grandioses étendues qui nous entourent. Le moment est parfait! Lorsque nous nous couchons, bercés par le bruit du vent, dans cette contrée sauvage et loin de tout, nous nous sentons entiers, remplis à ras-bord de tout ce qui fait la beauté du voyage.

Après un redémarrage un peu frileux, voilà que notre Petit Tour a trouvé son rythme. Un trek comme  nous n'en avions plus fait depuis longtemps, des découvertes merveilleuses et des rencontres qui nous ont beaucoup apporté, le tout dans une région fabuleuse... La Nouvelle Zélande avait placé la barre très haut et nous craignions un peu d'être blasés niveau somptueuses étendues sauvages, pourtant la Patagonie est largement à la hauteur! Et ce n'est que le début...

Et le chamboulement organisationnel : Nous avons éradiqué certaines contraintes inutiles tout en en posant de nouvelles, logiques et nécessaires. Pour l'heure, nous voilà libres, et nous allons nous laisser couler tranquillement vers les endroits que nous voulons voir. Le Chili se prête décidément très bien à la dérive! Et à côté, nous nous sommes fixés une échéance, et pas n'importe laquelle : la fin du voyage. La fin de la définition du Petit Tour comme un voyage à durée indéterminé. Nous pouvons quasiment dire à quel moment nous allons rentrer. C'est bien la première fois depuis le début de cette histoire... Et tout va bien! Il le fallait : il est clair que nous allons rentrer en France à la fin de notre vadrouille sud-américaine, et nous ne sommes en conséquence plus illimité point de vue timing. Le fait de poser une durée, un nombre de mois fini, va nous permettre de nous organiser et d'avoir les moyens financiers pour en profiter correctement, de mieux appréhender le retour car nous savons plus ou moins quand il aura lieu, bref, de finir correctement une entreprise qui nous aura mine de rien occupé pendant environ 1/7ème de nos vies!

Et nous pouvons officiellement annoncer que nous retrouverons mon père le 21 novembre!

Dans l'immédiat, nous restons en pleine symbolique en nous préparant à entrer, en compagnie de notre joyeuse famille de voyageurs, dans le vingtième pays que nous aurons foulé au cour de nos vadrouilles : l'Argentine!

Au prochain épisode, une petite incursion d'une semaine de l'autre côté de la frontière, dans une Patagonie argentine tout aussi belle que son homologue chilienne!