dimanche 8 novembre 2015

Rencontres et expérience volontaire inoubliables au coeur des Bolovens et de la réalité laotienne, et le tour du plateau en autostop

Attention, voici un article riche, très riche! C'est qu'il s'en passe des choses au Laos...

Le Laos...

Qu'est ce que nous y trainons! Et qu'est ce que nous adorons ça.

Il faut dire qu'il y a de quoi. Les expériences incroyables s'y multiplient, de même que notre découverte du pays tel qu'il est aujourd'hui, et nous nous y éparpillons avec plaisir, profitant du fleuve du hasard pour nous laisser emporter vers de nouvelles opportunités.

Tenez, nous comptions faire le tour du plateau des Bolovens à pied. Et bien non! Une rencontre improbable, un contact, et nous voilà embringués dans un nouveau vortex. Cette fois, en plus de nouveaux et formidables amis, c'est un extraordinaire volontariat sur le plateau que nous a offert la providence par le biais du meilleur vecteur qui soit : les rencontres.

Un volontariat qui nous aura permis de connaitre et de partager avec des joyaux de l'humanite, de vivre avec eux selon des principes qui nous sont chers, mais aussi grâce à eux d'apprendre et de voir une dure et désillusionante réalité. Nous aurons eu l'opportunité, en plus de travailler, d'apporter notre pierre a un édifice fragile mais solide, petit mais grandiose, insignifiant mais tellement important...

Il y a du lourd dans les lignes qui suivent, et cette aventure nous aura marqué pour un bon bout de temps.


Vers le sud!


Notre histoire commence à Kong Lo. Nous nous apprêtons à rejoindre Pakse, au sud du pays, pour y vadrouiller le célèbre plateau des Bolovens, ses champs qui produisent le meilleur café du monde et ses cascades.

Le départ de Kong Lo est un chouia compliqué. Le petit village étant assez éloigné de la route 13, l'axe principal reliant le nord au sud du pays, il faut tout d'abord prendre un premier bus (40000 kips) et se refaire deux bonnes heures de tape-cul sur près de 90 kilomètres de route de terre pour trouver un premier morceau de goudron.

Une fois sur la 13, des bus pour Pakse passent régulièrement. Celui que nous empreintons n'y va pas directement, et nous effectuons un changement après quelques heures de route et d'attente. Avec tout ce bazar, en étant partis à 7h du matin de Kong Lo, nous arrivons à 20h à Pakse, complètement rétamés par les 300 pauvres kilomètres que nous avons parcouru laborieusement en 13h...

En plus, il s'avère que les routes du sud sont beaucoup moins belles que leurs homologues du nord. Des rizières, des champs, tout est plat, et c'est un peu morne... Comprenons nous bien, le décors est toujours verdoyant, les rizières et les villages sont toujours aussi mignons, mais les panoramas qu'offrent les routes du nord vont bien au-delà de la simple beauté, et justifient presque à eux seuls le trajet en plus de la destination. Il est quand même rare de trouver un pays où le simple fait de se déplacer entre deux endroits constitue déjà une visite à part entière!

Nous débarquons de nuit à 8 kilomètres du centre-ville, pour trouver un seul tuk-tuk censé embarquer tous les passagers... Le bon point, c'est que le prix s'en trouve grandement divisé, et vaut bien de se tasser un peu!

A l'arrivée, nous sommes extenués, mais il faut encore trouver une chambre... Pakse est une ville assez développée, pas mal touristique, et les tarifs s'en ressentent. Il est très difficile de trouver une piaule à moins de 80000 kips, et nous errons pendant plus d'une heure, le cerveau éteint, passant par 5 ou 6 établissements, avant de trouver une chambre à 60000 kips à la Noknoi guest house. Nous grignotons un paquet de nouilles crues, et nous effondrons.


Douce providence et sainte flexibilité


Au matin, nous attaquons les préparatifs de notre tour du plateau des Bolovens, à commencer par déterminer si le fait de partir à pied présente un intérêt quelconque. S'il s'avère qu'il s'agit de marcher 200 bornes sur de la route goudronnée et que seules les célèbres cascades du tour sont à voir, nous envisagerons peut-être un changement de plans. Nous dénichons des cartes du plateau, des itinéraires, et...

Et puis rien du tout. Accrochez-vous à vos chausettes, car la providence s'en mêle, balayant tous nos questionnements et toutes nos ridicules tentatives de plannification. Ce cher et chahuteur hasard, qui conditionne gentillement chaque instant de notre vie, s'emballe et sort complètement de ses gonds. Et encore une fois il fait très fort. Quand il s'excite celui-là, il faut s'attendre à tout...

Comme souvent, le filou commence sont grand numéro l'air de rien, avec une rencontre et un simple bonjour. Un homme vient nous saluer, nous expliquant que ses enfants ont partagés quelques semaines de voyage au Laos avec lui et sa femme avant de rentrer en France pour travailler. De leur côté, ils s'apprêtent à rejoindre Hong Kong puis Los Angeles. Whoua!

Nous nous mettons à papoter, expliquant notre projet et notre petit tour. Notre homme adore, et nous raconte son incroyable histoire. C'est ainsi que nous faisons la connaissance d'André Michaudel.
Ce nom ne vous dit peut-être rien, pourtant Marie Auguste Michaudel, le père d'André, fut commissaire de la république française au Laos entre 1947 et 1948.

La vie d'André, à l'image de l'homme, est extraordinaire. D'origine lao, il quitta son pays natal à l'âge de 6 ans pour la France, avant d'enchainer les expériences. Voyageur, enseignant en langue et en poésie française au Rwanda pendant deux ans, navigateur, engagé dans la lutte ouvrière en France, il se mit enfin au service de son pays d'origine, en fondant l'association d'amitié franco-lao et en organisant le retour des étudiants ayant fuit le pays pour la France en 1975 lorsque le Pathet Lao prit le pouvoir. Il revient au Laos régulièrement, et travaille souvent en coopération avec les ambassades des deux pays et le gouvernement lao. Il a par exemple été invité à accueillir Francois Hollande lors de sa dernière visite ici. Bref, on ne croise pas des gens comme ça tous les jours!

J'en oublie bien sûr, et tout ceci représente un bien pâle résumé des nombreuses anecdotes qu'André a évoqué avec nous. Je regretterais longtemps de ne pas avoir enregistré toutes ses histoires!

Il nous présente sa femme, Noy, qui est laotienne mais parle un français impeccable, et nous passons la journée ensemble à discuter. Ils sont formidables, et à nouveau, nous en apprenons énormement sur le Laos, son histoire, et sur les relations qu'entretient le pays avec la France.



Et c'est là que tout bascule...

André nous parle d'un de ses amis qui doit passer les voir dans la soirée. Il dirige la CPC, la Coopérative des Producteurs de Café du plateau des Bolovens, une association fondée sur le commerce équitable, le développement durable et la lutte contre la pauvreté, en soutient aux petits producteurs du plateau contre les grosses multinationales qui les étouffent peu à peu. La CPC coordonne les activités des fermiers, organise les exportations et assure à tout le monde des salaires décents et réguliers, permettant aux habitants les plus pauvres du plateau de vivre dignement de leur activité. 

Nous demandons à André si nous pouvons donner un coup de main quelque part, et lorsqu'il en parle à son ami le soir venu, ce dernier nous annonce que nous pourrions travailler pour un couple qui réside sur le plateau et y cultive la terre. Comme toujours, nous ne demandons pas d'argent, juste le toit et la nourriture. Un petit coup de fil plus tard, et nous voilà en contact! Nous devrions les rencontrer dans les jours qui viennent pour faire connaissance et en apprendre un peu plus sur ce que nous aurons à faire. Apparement, il s'agirait d'un boulot type woofing. 

Sympathique ce petit revirement de situation! 

Nous ne savons pas encore ce que nous allons faire, ni pour combien de temps, mais nous commençons une petite réorganisation. A commencer par nos visas. Quel que soit le temps que nous passons à travailler sur le plateau, nous voulons toujours en faire le tour avant de partir pour les 4000 îles à l'extrême sud du pays, et nos deux semaines de visas restantes ne seront pas suffisantes.

Le lendemain, nous partons donc vadrouiller Pakse en quête d'un poste de police où demander une extension. Nous ne voulons demander que dix jours supplémentaires, qui vont nous revenir moins cher qu'un nouveau visa run.

Pakse est une ville assez développée et ne présente pas vraiment d'intérêts, exception faite de ses petits marchés animés, de quelques bâtiments coloniaux et des rives du Mékong, et comme à Vientiane, les grues défigurent l'horizon et les chantiers de construction fleurissent un peu partout.



Au poste de police, nous constatons que l'extension est bizarrement plus longue à obtenir que le visa à la frontière, et nous devons abandonner nos passeports aux autorités jusqu'au lendemain.

Nous partons nous balader sur les rives du Mékong, tout contents, remerciant notre bonne étoile de placer sur notre route tous ces gens incroyables. Nous voilà répartis pour on ne sait pas encore trop quoi dans ce pays de rêve, nous avons encore une fois envoyé balader tous nos plans, et nous sommes impatients de découvrir ce qui nous attend. Je disais il n'y a pas si longtemps que nous étions de plus en plus sereins et posés face au déferlement anarchique et aléatoire d'événements, de rencontres et d'opportunités, mais il n'en est rien. Nos petites têtes s'éparpillent toujours dans tous les sens, et nous sommes de nouveau électrisés par ce qu'il se passe tandis que nous cherchons en vain à mettre de l'ordre dans nos esprits bouillonants.

Le lendemain, André et Noy nous invitent à partir en balade sur le plateau avec eux. Ils ont loué une voiture avec chauffeur pour l'occasion, et nous quittons Pakse de bon matin pour un premier arrêt chez nos futurs employeurs (que ce terme est froid!).

Nous sortons de la ville et roulons en pleine cambrousse. Les immeubles laissent place aux maisons de bambou, aux plantations de caféiers et à la verdure, et nous traversons quelques petits villages avant d'arriver à destination.

Au milieu d'un jardin gigantesque remplie de plantes et de fleurs, sur la terrasse d'une haute maison sur pilotis, nous rencontrons ainsi les deux anges dont nous allons finalement partager la vie pendant près de deux semaines, sans mesurer encore toutes les implications de cette rencontre. Nés au Laos et ayant vécu plus de trente ans en France, ils ont tenu à garder l'anonymat, et par respect pour leur volonté ainsi que pour leur sécurité, nous avons décidé de changer leurs noms. Nous les appellerons ici Kina et Loe, mais nous ferons les présentations plus tards. 

Nous discutons et faisons connaissance autour d'un café tellement fabuleux qu'il nous dégoutera de tous les autres pendant un bon moment, avant de repartir avec André et Noy pour continuer notre petite balade. Nous passons à Tad Kouang Si, l'une des nombreuses cascades célèbres des environs, où nos amis nous payent un verre. Au passage, après ces quelques kilomètres sur le plateau, il devient évident que faire le tour à pied ne présente aucun intérêt. La route est goudronnée sur toute sa longueur, et les paysages sont sympas mais un peu mornes et répétitifs. Il nous faudra trouver une alternative...

En attendant, nous sommes plus que chouchoutés! Nous retournons chez Kina et Loe qui nous invitent pour le repas de midi, et nous régalent avec les produits de leur jardin. Tout est fait maison, et nous nous délectons de soupe de poissons du Mékong, de salade de papaye, d'omelette, de riz gluant, de légumes... En dessert, nos hôtes nous réservent une surprise royale : du durian accompagné de riz rouge. Evoquez le durian avec des gens qui sont allés au Laos, et vous obtiendrez probablement toujours la même réponse : ça pue et c'est dégueulasse. Notre première bouchée est accompagnée du regard attentif et amusé de nos amis attendant notre réaction. Le durian est effectivement un fruit à l'odeur, à la texture et au goût extrêmement particuliers. La saveur est indescriptible, douçâtre, très sucrée et salée en même temps, et le fruit se présente naturellement au palais comme un morceau de fromage à raclette fondu. Comme je le disais, la chose n'est vraiment pas au goût de tout le monde, mais de notre côté nous trouvons ça... Intéressant, et vraiment pas mauvais. Un peu écoeurant tout de même.

Accompagné du riz rouge en tout cas, ça passe très bien, et il faut dire que nous n'avons jamais eu sur les papilles un goût pareil. A savoir qu'un durian se monnaie très cher en Asie du sud-est et constitue un met très rafiné dont la haute société raffole.

Après une balade digestive dans le jardin, durant laquelle nous découvrons l'étendue et la variété des cultures de Kina et Loe (nous en reparlerons plus tard), nous discutons un peu travail. Kina et Loe nous expliquent qu'ils n'accueillent personne en temps normal, mais comme nous avons été recommandés par leur ami, ils serons ravis de nous recevoir aussi longtemps que nous le voulons. Ils ont de menus travaux à nous faire faire, principalement d'entretient du jardin, en échange du toit et de la nourriture, et nous prenons rendez-vous pour commencer dans quelques jours avant de rentrer a Pakse. Sur la route, nous prenons soin de noter mentalement le plus de points de repère possible pour nous y retrouver lorsque nous reviendrons. 

De retour en ville, nous passons au commissariat récupérer nos passeports, puis André et Noy nous emmènent dans les hauteurs, de l'autre côté du Mékong, pour passer voir le Grand Bouddha. La statue domine la cité depuis son promontoire, qui offre un panorama formidable sur toute la vallée.




Nous passons une dernière soirée avec André et Noy, qui doivent reprendre la route demain.

Au matin, nous disons au-revoir à nos amis, les remerciant pour tout ce qu'ils ont fait pour nous. Ils nous offrent avant de partir leur Lonely Planet sur la Thailande, moult cartes du Laos, des fruits, et même quelques médicaments! Quand je vous dis qu'ils sont extraordinaires.

André, vous devez lire ces lignes, nous vous remercions donc encore pour ces cadeaux, pour tous ces bons moments de partage et d'échange, pour vos formidables histoires, et pour nous avoir permis de trouver un petit job sur le plateau qui s'est avéré être, comme vous allez le voir, l'une des plus belles expériences de notre grand voyage. A bientôt quelque part dans le monde!


Trajet épique et présentations 


Nous réglons nos dernières affaires à Pakse, et le lendemain nous nous mettons en route pour rejoindre la maison Kina et Loe sur le plateau des Bolovens.

Grâce à notre petite balade de l'autre jour, nous savons où nous devons nous rendre, et pourtant la journée va vite se transformer en une longue épopée certe peu glorieuse mais qui nous fait encore rire aujourd'hui...

Le début de notre histoire est assez classique : nous prenons un tuk-tuk pour parcourir les 8 kilomètres qui nous séparent de la station de bus. Sur place, nous partons en quête d'informations. La chose n'est pas évidente, étant donné que nous n'avons pas de destination précise, uniquement le nom d'une route et le numéro de la borne kilométrique où nous devons nous arrêter. Nous parvenons finalement à nous expliquer à peu près clairement grâce aux quelques rudiments de Lao que nous commençons à avoir, et nous voilà bientôt en route dans un de ces grand tuk-tuks collectifs.

Ce genre d'engin est complètement ouvert sur les côtés, mais le toit descend très bas et cache presque complètement le paysage, si bien que nous ne savons pas vraiment où nous sommes par rapport aux repères que nous avions pris la veille.

Heureusement, le chauffeur a bien compris où nous allions, et nous arrête à la borne kilométrique que nous lui avions annoncé, dans un petit village.

C'est la que ça commence à être amusant. Nous nous souvenons d'avoir traversé un village la dernière fois que nous sommes venue, nous continuons donc sur la route à pied. Après quelques kilomètres, nous ne reconnaissons toujours pas la zone, mais nous nous entêtons. Après plus de 6 bornes de marche à pied, durant lesquels nombre de laos s'arrêtent, hilares, pour nous demander où nous allons sans que nous parvenions à leur expliquer, nous commençons à nous dire qu'il  y a un souci. Il était temps...

L'après-midi est alors bien entamé, nous sommes au milieu de la cambrousse, et nous ne savons pas trop quoi faire. Dans les villages que nous traversons, on nous salue, on nous sourit, et parfois nous tentons de demander notre chemin, mais personne ne parle anglais, et de toute façon nous ne savons pas trop comment expliquer que nous cherchons la maison d'un couple lao venant de France...

Fatigués, dégoulinants de sueur, nous nous asseyons au bord de la route tandis que le soleil décline. Voilà voilà. C'est super. Et maintenant, que fait-on?

Au début, nous pensons que le bus nous a posé trop loin dès le départ, et que nous devions en fait revenir sur nos pas au premier village plutôt que de continuer comme des boeufs. Léonore, pour rigoler, imagine que nous ne sommes pas sur la bonne route depuis que nous avons quitté Pakse. Nous rions : si ça se trouve, ce n'était pas le bon bus et nous avons fait plusieurs dizaines de bornes dans la mauvaise direction! AHAH! Ahah... euh...

Saisis d'un doute, je demande à Léonore de sortir la boussole. Nous devrions normalement nous diriger vers l'est... Et nous nous décomposons lorsque l'aiguille arrête de gigoter... en fait, la graaande route que nous avons suivit durant tout ce satané après-midi va... au sud. Retenedidju.

Sans déconner... Histoire de confimer nos craintes, nous rejoignons une station service et demandons où se trouve Paksong, une ville sensée se trouver sur le plateau des Bolovens, à l'est de Pakse, sur notre route. Les gens nous montrent la direction d'où nous venons...

Il y a du y avoir une incompréhension quelque part, et nous sommes montés dans le mauvais bus avant de parcourir plus de 40 kilomètres dans la mauvaise direction. Pour la petite anecdote, nous nous apercevrons quelques semaines plus tard que nous avions juste confondu la route 13, qui descend vers le sud, avec celle qui monte au plateau lorsque nous annoncions notre destination à la station de bus de Pakse. Oui, nous sommes des vedettes! Le chauffeur, de sont côté, nous avait très bien compris...

Bon, ce n'est pas tout ça, mais la nuit tombe (youpiiii!!!), et nous sommes paumés comme des buses en rase campagne, complètement gavés par notre prise de conscience. Sans rire, des blaireaux pareils, il faudrait les encadrer!

Il n'y a pas 106 solutions : nous gardons la tête froide, ce qui n'est pas évident vu la température qui règne, et tentons un autostop pour retourner à Pakse. Et nous passons encore un cran dans la marrade : le premier camion qui passe s'arrête, et nous voilà chargés dans une remorque au milieu des noix de coco, en compagnie de toute une troupe de laotiennes hilares qui rentrent probablement des champs. Nous ne savons pas du tout jusqu'où nous allons, mais nous y allons!

Sur la route, nos camarades ont l'air de bien s'amuser. Le bronzage de Léonore parait être le sujet principal de discussions intenses et animées de nombreux fous rires. Dans le sud-est asiatique, il faut savoir que la mode est à la peau blanche. Il faut voir les vietnamiennes ou les laotiennes se promener emmitouflées de la tête aux pied pour se cacher du soleil alors qu'il fait plus de quarante degrés... Les plus riches utilisent tout un tas de crêmes et de pilules qui blanchissent la peau (et occasionellement causent de nombreux cancers...). Bref, le fait que les femmes occidentales cherchent à bronzer est source de franches marrades dans cette partie du monde, et Léonore ne fait pas exception à la règle, surtout parmis des villageoises qui n'ont pas du voir beaucoup de femmes blanches!

Un grand moment. Nous ne comprenons absolument rien à ce qu'il se dit, nous ne savons pas où nos chauffeurs vont nous arrêter, mais qu'est ce qu'on rigole!

Nous arrivons finalement dans... On ne sait pas trop. L'endroit ressemble à une espèce de parking en terre battue, entouré d'étals de marché en bois et en tôle. Certains vendeurs ont installé leurs légumes à même le sol, et il y a foule. Nous débarquons là-dedans, attirant bien des regards, tandis que notre chauffeur tente visiblement de nous expliquer quelque chose. Il abandonne rapidement, nous annonçant ''Pakse'' avant de nous faire signe d'attendre. Nous voilà seul au milieu de ce parking-marché-place du village. D'un côté, c'est l'occasion pour nous d'observer une bonne tranche de vie laotienne depuis le coeur de la meule. Nous remarquons que la misère est beaucoup plus palpable vu d'ici que depuis les endroits touristiques...

Nous attendons, n'ayant rien d'autre à faire, réfléchissant tout de même : nous ne voulons pas aller à Pakse, nous désirons seulement rejoindre l'intersection avec notre route, à une dizaine de kilomètres de centre-ville, et nous cherchons un moyen de l'expliquer à notre chauffeur. Ca promet d'être intéressant... Tandis que nous sortons de quoi écrire et dessiner, en supposant que notre homme sache lire l'alphabet latin, le destin nous envoie un sauveur!

Un homme nous aborde dans un anglais impeccable. Ouiiii! C'est un lao, habitant aux Etats Unis, en visite dans son pays, et nous lui racontons nos mésaventures. Il explique tout ça à notre chauffeur mort de rire, puis propose de nous poser à l'intersection.

Formidable! Nous profitons d'avoir un interprète pour remercier du fond du coeur le camioneur qui nous a amené ici, et lui expliquer à quel point il nous a tiré d'affaire, puis embarquons à l'arrière du pick-up de notre américain.

Quand nous arrivons à l'intersection, il est trop tard pour rejoindre Kina et Loe, mais nous sommes loin du centre touristique et nous dénichons juste à côté une chambre à 60000 kips. Nous achetons une portion de riz gluant et quelques morceaux de viande aupres d'un vendeur de rue pour le diner, et récupérons de cette journée riche en chocolat. Nous partirons en stop demain, sur la bonne route cette fois. Nous sommes forts, très forts...

Bon, nous avons perdu une journee et un trajet de bus, mais c'est un moindre mal. Au matin, nous rejoignons la route, la vrai (nous en demandons plusieurs fois confirmation...), marchons un peu pour sortir de la ville sous un soleil brulant, et levons le bras. Le fait de lever le pouce ne signifie rien ici, pour se faire embarquer il suffit de lever le bras quand un vehicule approche.

Nous attendons moins dix minutes avant qu'un pick-up ne s'arrête. Le conducteur est Thai, il parle anglais, et nous propose de grimper dans la remorque et de taper sur le toit quand nous reconnaitrons notre destination. Là c'est pro!

C'est sur, ca marche beaucoup mieux que la veille, et nous arrivons bientot a la maison. Nous sommes accueillis par l'une des filles qui travaillent ici, qui nous explique que Kina et Loe sont partis pour la journee avant de nous montrer notre chambre. Nous decouvrons nos appartements, une petite piece au premier etage avec terrasse! Les toilettes et la douche se trouvent dans le jardin.

Nous nous posons, attendant Kina et Loe qui rentrent en milieu d'apres-midi. Pas de travail aujourd'hui, nous passons l'apres-midi a discuter, a faire plus ample connaissance, a visiter le jardin et a apprendre le fonctionnement de la petite communaute qui habite ici.

Il est temps de faire les présentations. Nous avons appris ce qui va suivre au fil de nos nombreuses discussions.

Mais avant, vous ne couperez pas à un peu d'histoire. Nous avons déjé parlé de l'exil des étudiants en debut d'article, et il convient de préciser deux ou trois choses à ce sujet qui auront leur importance pour la suite.

L'histoire de tous les pays que nous traversons est très complexe, mais celle du Laos est un imbriglio phénoménale de conquêtes, de divisions, de réunifications, de putchs, de guerres, de changements de régime, de répressions, entre autres.

Globalement, elle fut intimement liée à celle du Vietnam, en particulier pendant la première et la deuxième guerre d'Indochine, durant laquelle la guerre civile agita le pays, voyant s'opposer la Royal Lao Army, soutenue par les Etats Unis, au Pathet Lao, le parti communiste soutenu par le Vietminh.

Après les accords de Paris et le retrait des troupes américaines du Vietnam, le Pathet Lao gagna en influence, pour finalement prendre le pouvoir en 1975, fondant ainsi la République Démocratique Populaire du Laos.

Tout dans ce nom est en contradiction totale avec les mesures qui furent prises par le parti à partir de 1975. Les libertés d'expression et de réunion furent abrogées, de même que les élections. Le Pathet Lao se lança dans la purge du pays, anéantissant tous ses opposants, massacrant les Hmongs, une ethnie minoritaire enrôlée par les forces US pendant le conflit. La liberté politique disparue, et le nouveau régime mit en place une police radicale d'endoctrinement, prônant la haine de l'occident et du capitalisme et la gloire du communisme. Beaucoup furent envoyés dans des camps de rééducation, euphémisme désignant des camps de travail forcé où des milliers de civils connurent la mort dans les années qui suivirent.

Fuir le Laos était alors beaucoup plus facile que de quitter le Vietnam où le Cambodge, et en 1977, plus de dix pourcents de la population, parmis lesquels la quasi-totalité de la classe instruite, avaient quitté le pays. Cette fuite des cerveaux explique d'ailleur en partie le retard qu'accuse le Laos dans son développement. La plupart des exilés trouvèrent refuge en Thailande, et un certain nombre d'entre eux gagna la France avec le statut de réfugiés politiques.

Kina et Loe, jeunes étudiants diplômés à l'époque, en faisaient partie.

A leur arrivée, en tant qu'infirmiers et travailleurs sociaux, ils furent embauchés par l'ONU pour accueillir et soigner les réfugiés Laos. Ils resterent finalement en France pendant 32 ans, Loe travaillant comme infirmier en hôpital puis en laboratoire de recherche sur les transfusions sanguines. Kina continua le travaille social, en tant qu'éducatrice après de personnes atteintes de handicap, et plus généralement auprès de tous types de public (aide à domicile, personnes agées etc...).

Lorsque le contexte politique au Laos se fut calmé, ils effectuèrent plusieurs séjours dans leur pays d'origine, avant d'y récupérer une maison sur le plateau des Bolovens.

La volonté première de Kina a toujours été d'aider le peuple lao, et notamment les plus démunis. Elle se mit à travailler en collaboration avec les ambassades des deux pays et avec plusieurs ONG opérant au Laos. Elle officiait également en tant qu'interprète dans les affaires officelles.  

Lorsqu'elle prit conscience de la corruption qui rongeait le gouvernement et les ONG internationales, elle se retira des fonctions officielles pour agir localement avec ses propres moyens, aidée par Loe.

Investissant leur retraite française, ils agrandirent leur maison et se mirent à cultiver leur jardin. Petit à petit, ils plantèrent, expérimentèrent, agrandirent les cultures. Ils ont finalement presque atteint l'autosuffisance alimentaire avec des cultures intégralement biologiques.

Un autre genre de travail commença alors. L'argent de la retraite ne servit plus à manger ou à agrandir la ferme, mais fut mis au service des habitants les plus pauvres du plateau. Avec l'aide de son mari, Kina se mit à financer des écoles, des projets, des familles. Elle commença à prendre en charge les frais de scolarité de beaucoup d'enfants issus du milieu paysans, et à apporter nourriture et médicaments aux plus démunis de la région. La ferme grandissant, elle eu bientôt du surplus à donner.

Elle embaucha plusieurs jeunes laos, pour les extirper de conditions de vie souvent misérables, et leur payer des formations.

Ce sont des anges de générosité que nous rencontrons. Des personnes désintéressés qui prônent le partage comme une chose qui va de soi, la vie simple, l'aide à son prochain. Il faut entendre Kina en parler pour bien comprendre la portée du terme ''désintéressé''. Ils gardent ce dont ils ont besoin pour vivre, juste vivre, et donnent tout le reste. Et pour vivre heureux, il n'est pas nécessaire d'avoir une grosse voiture, des vêtements de marque, ou de manger au restaurant tous les jours. Oui, on s'y retrouve bien!



Ils aspirent à une vie simple dans le calme de leur jardin, profitant de ce que la terre leur donne, loin des magouilles de toutes institutions officielles, en faisant don aux autres de tout ce qu'ils peuvent et en apportant leur aide là où c'est possible.

Nos discussions avec eux sont sans fin, et nous nous retrouvons parfaitement dans leur mode de vie basé sur la simplicité, le partage, et l'écologie.


Leur jardin est immense, et ils cultivent de nombreuses variétés de fruits et de légumes. Mangues, papayes, jacquier, ananas, fruits de la passion, noix de macadamia, et autres fruits exotiques se partagent le terrain. A cela il faut ajouter les fruits qu'ils ont ramené de France pour tenter de les faire pousser ici. Tout le monde disait que c'était impossible, vint quelqu'un qui ne le savait pas et qui l'a fait! C'est ainsi que nous trouvons des plans de fraises, de mûres, de framboises, des pêches, et j'en oublie. Poivre, pousses de bambou, piments, café, tomates, concombres... Ils ont de tout, utilisent tout, recyclent tout! A noter que toutes les plantes et les fleurs qui embaument le jardin trouvent une utilité dans la confection de tisanes, de plats ou de médicaments.





Le must, c'est que nos deux amis ont appris à travailler la terre au fur et à mesure, à force d'expériences, de pratique, d'observation et de lectures.

Kina est amoureuse de son jardin, et crache avec dégout sur toutes les productions industrielles ou modifiées, ne jurant que par le naturel et le fait-maison. Ormis quelques condiments, épices et ingrédients, la cuisine est remplie presque uniquement de produits du jardin! Inutile de dire que tout ça pousse sans engrais chimique. Juste du compost, avec l'aide du formidable sol lao sur lequel tout pousse!













Ils achètent tout de même deux ou trois choses, des nouilles, du riz, du poisson tout frais sorti du Mékong, parfois du porc et du boeuf. Le reste des protéines? Et bien ils peuvent compter sur leur poulailler qui fournit viande et oeufs! Et les poulets sont traités comme des rois. A nouveau, il faut voir Kina partir les nourrir avec les restes de nos plats pour comprendre l'étendue de ce qu'elle définit comme le partage.

Revenons à notre première journée. Après des heures de discussions, la nuit tombe, et une symphonie assourdissante commence alors que les insectes se mettent à grilloner, siffler, crisser, chanter... On s'entend à peine parler! En pleine campagne, les moustiques, de leur côté, tentent un remake de la Grande Bouffe tous les soirs, et nous devons nous tartiner de répulsif. Pour le diner, nos amis allument de petits braseros dont la fumée repousse ces saletés. Nous ne faisons plus trop attention aux piqûres de moustiques depuis un bon moment déjà, mais Marianne nous a parlé d'un risque d'épidemie de dengue qui sévirait dans le sud...

Après un sacré diner, la tête et le ventre plein, nous allons nous coucher. Nous faisons alors la connaissance de certains de nos colocataires : des crickets de 10 centimètres de long, des grillons et des cigales énormes, que pourchassent de véritables hordes de geckos. Cet endroit est formidable!

Pendant la nuit, une sensation que nous n'avions pas éprouvé depuis plus de trois mois nous chatouille... Mais... Mais! Il fait frais! IL FAIT FRAIIIIIIIS!!! Aaah, délicieuse fraicheur! Et oui, perché à 900 mètres d'altitude, la température est douce, si douuuce!  


Dix jours sur le chemin du bonheur avec des lumières de ce monde


Trêve de plaisanterie. Au matin, il est temps de nous mettre au travail. Nous devons ratisser un immense champs de caféiers et de noyers avec l'aide de Loe pour le débarrasser de ses feuilles mortes. La tâche nous prendra deux bons jours, mais il faut savoir que nos horaires sont quand même aux oignons, pour la simple et bonne raison que nous n'en avons pas! Nous devons presque insister pour travailler, nos amis étant plutôt du genre à nous dire de ne pas nous embêter, d'attaquer et d'arrêter quand nous le voulons. Ils nous traitent plus en invités qu'en employés, et nous décidons nous-même de notre rythme. Nous travaillons ainsi entre 9h et midi, arrêtant lorsque la chaleur devient trop forte, pour nous y remettre vers 15h sous le soleil moins ardent de la fin d'après-midi.




Nous travaillons ainsi entre 4 et 5h par jour, et nos journées sont donc plutôt tranquilles, même si nous perdons plusieurs litres de flotte quand nous nous activons sur nos rateaux!

Nous passons notre temps libre à écouter les formidables histoires de nos amis autour du meilleur café du monde. Côté repas, nous en ressortons systématiquement pliés en deux, à grands coups de cuisine lao et européenne. C'est Tim, l'une des protégées de Kina et Loe, qui s'occupe de nous concocter riz gluant, soupes en tous genres, currys, poulet, poissons, omelettes, légumes, et tout un tas d'autres joyeusetées gastronomiques toutes meilleures les unes que les autres.

En parlant de Tim, effectivement, nous ne sommes pas les seuls à travailler ici. Comme je le disais, nos amis ont pris sous leur aile trois jeunes laos qui les aident à s'occuper de leur jardin. Il y a donc Tim, demoiselle à tout faire, qui s'occupe du jardinage, de la cuisine, du nettoyage, de tout en fait, en échange des repas et d'un salaire. Vu sa fiabilité, Kina et Loe lui ont proposé aussi le logement pour assurer une présence permanente à la maison, mais Tim, mère de deux enfants, tient à rentrer chez elle le soir.

Elle est secondée par une toute jeune fille d'environ 16 ans. Elle ne connait pas son âge exact... Exploitée par son oncle durant des années, la pauvre fille a passé son enfance à travailler plus de 14h par jour dans son restaurant sans aucun salaire. Traitée comme une esclave, elle n'est jamais aller à l'école. Kina et Loe l'ont un beau jour tire de sa misérable condition pour lui offrir le gîte, le couvert, et surtout un travail rémunéré et la formation de son choix. Elle donne aujourd'hui un coup de main à la maison, jardine, et réapprend à sourire. Intéressée par la vente, elle est en train de monter, avec l'aide de ses bienfaiteurs, un petit stand devant la maison pour vendre de la salade de papaye aux passants.

En entendant une si bouleversante histoire, nous demandons abasourdis à nos amis si un recours quelconque était possible durant son enfance. Que les droits de l'enfance soit quasi-inexistants au Laos est une chose, mais cette fois le problème est tellement énormes et dégueulasses! Nous parlons quand même d'une ordure qui réduit en esclavage une gamine de 10 ans de sa propre famille pour la faire trimer tous les jours de 6h à 23h, en la nourrissant des restes de ses clients, sans aucune contrepartie!

La réponse de nos amis est à pleurer : le travail des mineurs n'est pas interdit au Laos, mais surtout il n'est pas encadré. Pire, la police considère que c'est la famille qui décide et a tous les droits, sans aucune limite, et les problèmes de travail et d'exploitation des mineurs ne sont pas de leur ressort... En quelques sortes, les enfants sont considérés ici comme de petits adultes, pas comme des êtres ayant des besoins différents. Rien ne s'oppose donc à les faire travailler, et considerant l'importance de la famille dans cette partie du monde, c'est elle qui détient la plus haute autorité.

Ca secoue...

Kina et Loe accueillent enfin un jeune homme sans ressources qui a manifesté l'envie de devenir enseignant. Kina lui a trouvé une place dans l'une des écoles dont elle s'occupe, et l'a accueillit gratuitement chez elle.

Tout ce petit monde s'active à la maison. Selon Kina, chacun doit mettre la main à la pâte, chacun doit apprendre à vivre avec les autres et à faire ce qui est bon et nécessaire pour la communauté.

Ainsi, un matin, nous nous lançons tous ensemble dans un sympathique projet de construction : la conversion d'un cratère de bombe en fosse à compost!

Encore un brin d'histoire avant de poursuivre (et oui!) : on parle toujours du Vietnam lorsqu'on évoque la seconde guerre d'Indochine, mais il faut savoir que le Laos, embringué dans ce conflit avec lequel il n'avait rien à voir, a payé un lourd tribut à la guerre. Sous prétexte de bombarder la piste Ho Chi Minh, la fameuse ligne de ravitaillement du Vietminh qui par endroits traversait les montagnes de l'est du Laos et notament le nord des Bolovens, les américains ont largués sur le pays environ 3 millions de tonnes de bombes. Le plateau fut l'une des régions les plus durement touchée par ce pilonage intensif, chose étrange quand on considère que la piste passait seulement au nord... Moins étrange quand on connait la raison officieuse de la plupart de ces bombardements : les avions américains avaient ordre de rentrer de leurs missions les soutes vides. Lorsqu'ils rejoignaient leurs bases Thailandaises, ils larguaient donc le reste de leurs bombes au hasard sur le Laos... Personnes ne connaitra jamais le nombre de victimes que ces bombardements inutiles ont causé.

Aujourd'hui, le plateau est donc couvert de cratères, et l'un d'entre eux se trouve dans le champs que nous avons ratissé ces derniers jours. Comme nous l'avons dit, ici, nous recyclons tout, et nous avons en deux jours rassemblé un sacre tas d'herbes sèches et de feuilles mortes prêt à être composté.

Nous commençons par abattre à la machette quelques arbres parmis ceux qui n'arrivent pas à pousser pour former un cadrillage au fond du cratère destiné à isoler le tas de compost du sol.

 
Nous rassemblons ensuite tout ce que nous avons ratissé dans le cratère. Certains parcourent le champs avec une brouette tandis que d'autres marchent sur l'amoncellement de feuilles qui grossit pour le tasser. En fin de journée, nous avons un énorme tas de végétation rassemblé dans notre cratère.



Tim recouvre alors le tas avec un mélange de fruits fermentés destinés à amorcer les réactions biochimiques de compostage. Nous attrapons ensuite des seaux que nous remplissons d'eau pour humidifier le bazar, avant de couvrir le tout avec des bâches. A laisser cuire pendant deux ou trois mois pour obtenir du compost de première qualité! Faites du recyclage, pas la guerre...




Nos journées de travail sont ponctuées de pauses durant lesquelles nous profitons de tous les cadeaux du jardin. Smoothies, tisanes, jus de fruits, thé et sorbets faits maison... Globalement, nos hôtes sont aux petits soins pour nous, et nous faisons le plein de légumes et de fruits, tout en profitant du calme environnant et du cadre naturel. Nous sommes comme des coqs en pâte, à notre place en tout point dans ce petit coin de paradis en compagnie de gens qui ont tout compris.

Malheureusement, tout le monde n'est pas comme ça. Un matin, Kina nous emmène découvrir la dure réalité du plateau. Dans les bolovens, ce qui marche, c'est le café, et l'or noir constitue ici un sacré générateur de richesse, dont profitent comme d'habitude une poignée de crevards cupides au détriment de milliers de familles. Et oui, le café des bolovens, ça rapporte, donc on en met partout. Sauf que le café n'a jamais nourrit personne.

Nos amis nous ont souvent parlé des dures conditions de vie et de la misère qui règnent dans les petits villages de l'intérieur du plateau, et aujourd'hui Kina tient à ce que nous voyons ça de nos yeux, en nous emmenant dans l'un de ces villages. Ca, évidemment, vous ne le verrez pas pendant votre tour du plateau à mobilette, le gouvernement ayant bien pris soin d'installer au bord de la route touristique les habitants les plus aisés. Mais il suffit de s'éloigner de quelques centaines de mètres de la route pour trouver la misère la plus totale.

Il nous est déjà arrivé plus d'une fois d'y plonger dans la misère, la vrai, que ce soit dans notre bidonville à Kathmandu ou dans le slum de Jaipur en Inde, mais à chaque fois reviennent ces battements de coeur étranges et ce petit noeud dans la gorge tandis que monte la culpabilité de s'être déjà plaint, ne serait-ce qu'une fois, dans sa vie. Nous avons appris au fil du voyage à gérer tout ça, mais c'est toujours aussi intense.

C'est pourtant un joli village dans lequel nous débarquons, aux petites maisons de bois et de bambou sur pilotis. Nous suivons Kina sur le sol de terre, et elle nous présente aux quelques habitants présents. Il n'y a pas grand monde, certains tissent de grands paniers d'osiers, mais la plupart sont dans les champs. On nous invite à entrer dans une minuscule maison d'une pièce où sont dispersées les maigres possessions d'une des familles. Nous y rencontrons l'une des protégées de Kina, une très vieille femme au crépuscule de sa vie qui tient le lit toute la journée. Personne ne connait son âge, et quand on lui demande, elle répond qu'elle est aussi vieille que le grand arbre qui pousse à quelques metres de la maison.

La réalité ici est de l'ordre de celles qui vous retournent sans aucune pitié. Les habitants de ce village n'ont rien. A cause des gros producteurs de café et de leurs champs qui ont envahit toutes les zones cultivables, ils sont obligés de parcourir plus de 5 kilomètres pour rejoindre les champs ou ramasser du bois pour cuisiner. Certains ont des parcelles à cultiver, mais la plupart travaillent pour de gros propriétaires en echange d'un salaire de misère. Ils ne mangent littéralement que du riz, le peu d'argent qu'ils arrivent à produire servant aux dépenses quotidiennes : matériel de cuisines, d'hygiène, un peu de savon ou une brosse à dent, parfois des vêtements. Pour les proteines, et bien... Ils doivent fouiller le sol pour trouver quelques grillons à se mettre sous la dent ou être chanceux et abattre un oiseau au lance-pierre. Aucun enfant n'est scolarisé, il ne reste plus d'argent pour payer l'uniforme ou l'inscription. Où sont-ils? De l'autre côté de la vallée, à trimer dans les cultures dès l'âge de 6 ans. La maison que nous venons de visiter doit faire moins de 20 mètres carrés, et dix personnes y vivent. Il faut dire que cette famille est plutôt chanceuse : non loin, treize personnes s'entassent dans une cabane presque deux fois plus petite.







Ceux qui ne travaillent pas dans les champs confectionnent des paniers. A nouveau, les gros propriétaires exercent une main-mise totale sur ce genre d'activités : les villageois sont obligés de vendre tous leur paniers à la même personne, qui les achètent 4000 kips pièce (environ 40 centimes d'euros), pour les revendre le double.

La misère dans le monde n'est un secret pour personne, mais encore une fois nous voyons la chose de l'intérieur, et ça secoue. Et encore une fois, si le cadre et les conditions de vie respirent la pauvreté, ce n'est pas du tout le cas des habitants. Les plus jeunes enfants cavalent et jouent à grand renfort d'éclats de rire, et les visages sont éclairés et souriants, comme de magnifiques lumières au milieu de la détresse matérielle.


Les gens ici ne disposent d'aucun soutient de la part du gouvernement, d'aucune aide sociale. Inutile de dire que le concept d'assurance médicale est inconnu, et que rien n'est gratuit...

Kina donne tout ce qu'elle a pour eux. Elle achète des médicaments, des vêtements et des kits d'hygiène. Elle leur donne des oeufs et de la viande pour apporter un peu de protéines à leur alimentation. Régulièrement, elle accueille l'un de ses amis, un médecin, qui donne pendant quelques semaines des consultations gratuites et des médicaments dans tous les villages de la région.

Elle assume les frais de scolarité de deux des enfants du village, et récemment, elle a pris en charge un nouveau-né orphelin, décidée à assumer tous ses frais jusqu'à l'âge adulte.

Elle réalise tout ça elle-même avec l'aide de la petite retraite du couple. Les moyens manquent, les actions sont locales et petites, mais nos amis en sont fières et ne se découragent pas. Ils préfèrent cette petite efficacité à l'engrossissement d'ONG corrompues jusqu'à l'os.

Nous restons un moment dans le village, puis suivons un jeune homme à travers la forêt. Il nous emmène voir un joli point de vue sur l'intérieur du plateau.



Nous rentrons à la maison perdus dans nos pensées et bien remués.

Le lendemain, Kina et Loe partent pour Pakse, et nous avons notre journée de libre. Nous décidons d'aller visiter certaines des nombreuses et fameuses cascades qui jalonnent la boucle des Bolovens. Plusieurs se trouvent relativement près de nous, et nous partons à pied et en tongues (détail qui aura son importance...) pour une looongue marche.

Nous atteignons d'abord la Tad Itou (''Tad'' signifiant ''cascade'') après une belle dégringolade dans des escaliers en rondins bien raides à flanc de collines.




Au pied des chutes, c'est le drame. En bon Averel, ne pouvant réfreiner mon désir de m'approcher plus près des cascades, je descends dans le lit peu profond de la rivière, ne tenant pas compte des avis de Léonore (''Tu vas te faire mal...''). Bien sûr, ce qui devait arriver arriva, je dérape et me vautre comme une bouse dans l'eau. Pas de casse, mais la rivière me fera payer mon impertinence en embarquant l'une de mes tongues...

-Ma tooooooongue! M'écrie-je, alors que Léonore se fout de moi en riant à gorge déployée. J'envisage de plonger dans le courant pour aller la récuperer, mais la configuration de la rivière laisse présager une deuxième chute d'eau juste en-dessous... Je regarde, impuissant, ma chaussure disparaître. Noooooooooon!!!

Bon, ça c'est fait, je n'ai plus qu'une godasse, et il nous reste plus de 15 bornes à faire aujourd'hui pour passer voir toutes les cascades.

Nous passons voir le personnel de l'hôtel situé juste à côté pour leur demander s'il ne traine pas une chaussure en rab, mais nous n'obtenons que des éclats de rire. C'est de bonne guerre, je l'admet...

A la guerre comme la guerre, nous contournons l'hôtel pour trouver l'endroit ou sont jetés les ordures, et nous trouvons un mAAAgnifique sac de toile que je m'attache sur le pied. La grande classe.




Nous rejoignons un restaurant, et rebelotte. Le fils du propriétaire hilare nous fait signe de le suivre, pour nous emmener dans un magasin où je peux me racheter une paire de tatanes. Ah ça en fait des aventures...

Et nous marchons. Nous marchons longtemps, très longtemps...

Nous nous dirigeons vers les Tad Champi. Au bout d'un moment, nous devons quitter la route pour continuer sur un chemin en terre pendant deux bons kilomètres. Nous voilà au milieu des champs de caféiers.



Nous atteignons enfin Tad Champi. C'est sympa, nous voilà paumes seuls au milieu de la jungle, et la nature est belle!




Nous dégustons les sandwichs pâté-beurre que j'ai préparé avec amour avant de partir (et qui quoi qu'en disent certaines, n'étaient pas si gras que ça...), puis explorons les environs pour trouver une surprise sur la berge : une grosse chambre à air faisant office de bouée!

Je saute à l'eau, pour découvrir une corde tendue entre le bord et la cascade, qui permet de se hisser jusqu'au pied de la chute! Ah ça rigole...



Après la baignade, nous grimpons péniblement dans la jungle, rejoignons la route et puis... Oui, nous marchons. Nous marchons parmis les villages, nous marchons parmis les collines et la verdure, sur une satanée bande de goudron qui n'en finit pas. Nous atteignons finalement l'une des plus célèbres cascades du plateau, j'ai nommé Tad Fan. Après un bout de chemin dans la forêt, nous débouchons au-dessus des chutes, grandioses et vertigineuses. Juste après la saison des pluies, le débit est énorme.



Nous avons déjà marché plus de 15 kilomètres, l'après-midi est bien avancé, et mes nouvelles tongues, pas encore faites, m'ont ouvert les pieds. Je sais, je n'avais qu'à pas faire l'imbécile...

Et pourtant, nous continuons. 2 kilomètres nous séparent de la cascade suivante, Tad Xuong. Il y a beaucoup, beaucoup de touristes, principalement asiatiques, mais les chutes sont magnifiques!



Nous flânons un moment, admirant la nature environnante, puis regagnons la route. L'après-midi touche à sa fin, et entre la route et les aller-retours aux cascades, nous avons parcouru près de 20 kilomètres (en tongues!) dans la journée.

Harassés, nous nous postons au bord de la route et levons le bras. Et encore une fois, le stop marche du tonnerre. Nous sommes récupérés par la première voiture qui passe pour quelques bornes, et nous avons à peine le temps d'en descendre qu'une famille nous embarque dans la remorque de son camion. Ils nous posent devant notre portail!

Nous commençons à avoir fait suffisamment de stop avec succès au Laos pour que sa redoutable et systématique efficacité ne soit juste due à la chance. L'expérience est validée : l'autostop ici, c'est du velour! Cela nous donne quelques idées pour notre tour du plateau...

Nous retrouvons Kina et Loe à la maison. Le soir venu, ils nous réservent une surprise de taille : nous avons du saucisson français pour le diner! Avec du vrai pain en plus! Aaaaaaaah! Ces gens sont des dieux!!!

Après manger, j'enseigne la recette des crêpes bretonnes à la jeune fille qui travaille avec nous. Ou plutôt la recette des crêpes lao-bretonnes. Oui, on fait avec ce qu'on a, c'est-à-dire du lait de soja à la place du lait et de la bière lao! Vivement le petit dèj.

Nous discutons jusque tard dans la soirée avec nos amis, avant d'aller nous effondrer. Au matin, c'est donc crêpe party, et il s'avère que la crêpe au lait de soja, ça passe très bien!



Les jours passent, la vie s'écoule doucement, et nous sommes heureux. Nous nettoyons le jardin, ratissons, entre autres menus travaux. Un matin, nous découvrons qu'une horde de cochons... Oui, 3 cochons se sont infiltrés dans le jardin pour manger les légumes! Nous passerons notre journée à réparer et à consolider la clôture avec des pieux et du fil de fer. Nous passons toujours des heures à discuter avec Kina et Loe. Grâce à leurs grandes connaissances du pays, nous apprenons énormément de choses sur le Laos, sa société, ses coutumes. Nos amis sont incroyablement prévenants avec nous, et partager leur vie et nos façons de penser est un bonheur.



Un après-midi, Kina nous invite à l'accompagner pour visiter l'une des écoles dont elle s'occupe. Nous partons pour le village acheter de quoi offrir un grand goûter aux enfants : paquets de biscuits et sirop.

Nous découvrons bientôt l'école. Nous sommes au Laos, donc par ''école'' il faut comprendre ''un lieu où l'on enseigne''. En ce qui concerne le bâtiment que désigne ce nom, et bien il ne s'agit que de quelques murs avec un toit en tôle au milieu d'un terrain vague. On est loin de chez nous... L'école accueille 60 enfants et trois instituteurs, 2 titulaires et le jeune qui habite avec nous.



Dès que nous pénétrons dans la cour, Kina n'est pas satisfaite du tout. Et on la comprend : déjà, il est 15h de l'après-midi, et l'un des enseignant arrive en même temps que nous alors qu'il devrait être là depuis 14h. Ensuite, la cour est une véritable décharge, pleine de sacs plastiques et de morceaux de papier. C'est le branle-bas de combat : notre petite Kina pousse une gueulante dans les salles de classe, et fait sortir tous les élèves. Pendant que les enseignant se font passer un savon par notre énergique amie, nous faisons le tour de la cour avec les enfants et de grandes corbeilles pour ramasser tout ce qui traine. Tous ensemble, la chose prend 5 minutes. Nous mettons tout ça au feu (bah oui au feu, où d'autre?), avant de rassembler les petits pour leur distribuer le goûter que nous leur avons apporté.


 

Les enfants sont des anges, et nous distribuons biscuits et boissons qu'ils recoivent en joignant les mains. Il est intéressant de voir que la plupart d'entre eux rangent leur paquet de biscuit pour pouvoir le partager avec leur famille une fois rentrés chez eux.



Après la distribution, pendant que les titous sont dehors, nous en profitons pour jeter un oeil dans les classes. Et nous nous souvenons du nombre de fois où nous avons entendu quelqu'un se plaindre du manque de moyens de l'éducation française...



Il n'y a rien, aucun matériel pédagogique, aucun jeu, aucun jouet. Seulement quelques cahiers et stylos.

Kina a énormément soutenu cette école. Dans son fonctionnement, mais aussi dans la création d'un cadre un peu plus joyeux pour les enfants que des murs décrépis et un terrain vague en terre. En plus de financer l'établissement, Elle et Loe ont raccordé le reseau électrique à l'école, ont payé et installé l'eau courante, de la peinture, des jeux,un boite à outils, et j'en oublie. Elle a aussi confié nombre des fleurs de son jardin à l'enseignant qu'elle a acueillit, en lui demandant de les planter avec les enfants. Et c'est un nouveau sujet de discorde : devant l'école, il n'y a pas une fleur. D'après les enseignants, elles ne poussent pas... 

Nous devons les secouer pour qu'ils réagissent. Nous attrapons des pelles et nettoyons l'endroit où les fleurs ont été plantées. Déjà, la terre n'a pas été bêchée, et est completement tassée. Ensuite, à chaque coup de pelle, nous remontons plus de bouts de plastique que de terre. En gros, l'équipe enseignante n'a rien fait.

Et je me retrouve à apprendre aux enseignants comment bêcher, aérer et nettoyer la terre! 



Il n'y a déjà pas beaucoup de moyens, alors si en plus le personnel fait preuve de mauvaise volonté... Comme nous le verrons par la suite, les bougres n'ont pas vraiment d'excuse si l'on considère leur situation.

Nous passons ensuite dans les classes pour dire au-revoir aux élèves et assister un peu au début de la classe.







De retour à la maison, Kina est morose. Fournir tant d'efforts pour s'apercevoir que les premiers impliqués, les professeurs, n'en ont rien à faire, et que finalement rien n'avance... Nous en discutons, et nous rendons compte que la chose n'est pas nouvelle. Etre enseignant au Laos, c'est plutôt s'assurer une place confortable et pas trop fatiguante que répondre à sa vocation. Là encore, beaucoup de choses nous rappellent le Népal, comme les profs qui quittent l'école au milieu de la journée en laissant les élèves seuls, sans parler de la vétusté des locaux et du manque de moyens. A savoir que la quasi-totalité des écoles laotiennes fonctionnent de la même façon : les enseignants ne font pas leur travail, et les élèves suivent au mieux 2 heures de cour par jour au lieu des 5 heures prévues par l'emploi du temps, dans des établissements en ruine et sans matériel. Le jour où nous sommes arrivés sur le plateau par exemple, l'école était fermée depuis trois jours, car les enseignants ne venaient pas travailler!

Et s'il n'y avait que ça... Les jeux, la peinture, la boite à outils, tout ce qu'ont acheté Kina et Loe pour l'école a disparu en quelques jours...

Si l'on remonte dans les institutions, d'autres problemes apparaissent, et ils ne sont pas seulement dus au fait que le pays soit très pauvre. Il n'y a par exemple aucun contrôle de la part du ministère de l'éducation. Le gouvernement trouve un intérêt certain à limiter le niveau d'éducation du peuple, pour des raisons que nous n'évoquerons pas ici.

Intérêts personnels, abus de pouvoir, corruption, égoïsme, cupidité, répression, monopole, asservissement, travail infantile... Tout ce pan immonde de l'humanité que notre voyage a petit à petit fait passer en arrière-plan commence à nous revenir en pleine poire. Heureusement que nos amis et leurs convictions inébranlables sont là!

La fin de notre séjour approche à grands pas, et Kina nous demande de l'assister pour préparer un événement qu'elle organise quatre ou cinq fois par an, et qui va rapidement redonner tout son éclat à notre confiance dans l'humanité.

Nous avons déjà expliqué toute l'aide qu'apportent nos amis aux habitants des villages jour après jour, mais ils ne peuvent se permettre de supporter toute la misère de la région sur leurs épaules, et ces aides doivent être ciblées... Ils ont déjà quatre protégés, enfants et personnes agées, plus les trois jeunes embauchés à la ferme, sans parler des écoles. Mais quelques fois par an, ils font encore plus : Kina et Tim préparent un cadeau qui s'adresse à toute la communauté, sous la forme d'un grand repas pour tous les enfants du village.

Un matin, nous nous mettons tous au travail dans la cuisine. Tim et son mari ont travaillé toute la journée précédente pour acheter et commencer à préparer le festin.

Le menu est simple, nouilles au porc et aux légumes, boissons, biscuits... Mais il convient de rappeler que lorsqu'on se nourrit exclusivement de riz, un repas pareil constitue un festin royal.

Nous passons la matinée à cuire et à préparer plus de 20 kilos de nouilles (!).



En fin de matinée, quand tout est fin prêt, nous chargeons notre énorme marmite dans une brouette, embarquons bouteilles de soda et sirops, biscuits et glaçons, puis nous nous mettons en route tous ensemble pour le village.

Kina a fait passer le mot durant les jours précédents, et les gens accourent en la voyant passer. Je la suis avec la brouette et une drôle de sensation au creux du ventre... Portant une simple tunique en lin, cette petite femme souriante dont les yeux pétillent derrière ses lunettes et qui marche en s'aidant de sa canne au milieu des enfants qui accourent nous rappelle bigrement un célèbre petit indien...

Nous arrivons au village et nous installons en attendant que tout le monde se rassemble.



Bientôt, une foule de personne arrive. Les parents font passer des assiettes aux petits qui s'agenouillent sagements autour de nous, et nous commençons la distribution.  



Les enfants tendent leurs assiettes que nous remplissons avant d'aller manger, et à voir leurs sourires, on comprend qu'effectivement un simple plat de nouilles est ici un repas de fête.
 









Nous avons préparé assez de nouilles pour resservir tout le monde plusieurs fois, après quoi nous distribuons boissons et biscuits.




Nous vivons un moment d'une rare intensité. Voir naître des sourires tout autour de nous dans ce minuscule village abandonné du monde provoque une sensation indescriptible, un déferlement qui mélange une foule de sentiments. Nous en prenons plein le tête et le coeur, et ces instants se gravent au fer rouge dans nos mémoires. Nous sommes sur un tout petit bout de la planète, entourés d'une toute petite fraction de ceux qui sont dans le besoin, pourtant aujourd'hui nous avons fait quelque chose d'utile et de sensé, de petit mais de grand, et sur le coup, tout le reste devient futile et absurde.

Nous passons un bon moment au village, avant de partir explorer un peu les environs, au milieu des maisons de bambou et de la jungle. Une surprise nous attend dans l'une des maisons où nous sommes accueillis : un bébé est né dans la nuit, et nous avons l'honneur de rencontrer le titou durant sa première journée sur terre!

Sur le retour, nous repassons devant la maison de la vieille femme que nous avions vu il y a quelques jours. Kina lui demande si les nouilles étaient bonnes, et elle éclate de rire lorsqu'elle entend la réponse. Oui, elles etaient bonnes!

Et bien punaise, ce n'est pas tous les jours...

Nous rentrons nous poser et discuter, encore et encore, de tout ce qu'il se passe dans ce troublant pays, dans cette region, dans le monde. De tout ce qu'il y aurait a faire et de tout ce que nous faisons deja. De tout ce cote immonde et puissant qui divise, vide et detruit. Mais pas aujourd'hui.

Le lendemain, il est temps de nous remettre en route. Nous embrassons nos chers Kina et Loe, que nous recroiserons aussi probablement en France un de ces jours. Ils nous ont énormément apporté sur beaucoup de choses, et notre vision du Laos est grâce à eux beaucoup plus complète. Et plus sombre aussi... Nous n'oublierons jamais les moments formidables que nous avons passé avec eux, et nos discussions nous ont marqué pour un bon moment. Ils nous ont accueilli, ils ont pris soin de nous, et nous ont fait vivre une des plus belles expériences de notre voyage. Merci!


Du stop et des cascades


Beaucoup de choses nous tournent dans la tête quand nous quittons la maison, mais il faut rapidement nous remettre dans le bain de la route, étant donné que nous avons décidé de faire le tour du plateau en autostop! Le soleil brille, les oiseaux chantent, et nous marchons un peu pour lever le bras à l'écart des habitations. Notre objectif est de rejoindre Tad Lo, un petit village au nord de la boucle des Bolovens à côté des cascades du même nom.

Nous visons tout d'abord Paksong, une petite ville proche d'où part la route pour le nord du plateau. En quelques minutes, nous sommes chargés à l'arrière de la voiture d'un couple qui nous pose dans le centre de Paksong! Du velour je vous dis!

Nous ramons un peu pour trouver notre chemin. Nous visons à présent Ban Bane, à une soixantaine de kilomètres de Paksong, mais impossible de nous faire comprendre quand nous demandons notre chemin. Nous commençons à connaitre quelques mots de lao, mais comme au Vietnam nous avons du mal avec les prononciations et surtout les modulations de la voix qui changent le sens d'un mot du tout au tout. Nous trouvons finalement une fille qui connait l'alphabet latin, lui écrivons notre destination, et elle nous indique la bonne route.

Et puis vous connaissez la chanson : lever de bras et embarquement quasi-instantané dans une remorque. Notre chauffeur est génial, il nous pose à 30 kilomètre de Ban Bane mais nous dessine un plan avec les intersections que nous allons croiser et quelles directions nous devons y prendre pour atteindre Tad Lo.

Les choses se corsent alors un peu. Ce n'est pas que personne ne nous prend, c'est qu'il n'y a personne du tout...

Finalement, un camion s'arrête et nous récupère. A partir de là, nous sauterons de remorques en remorques avec nos gros sacs, tel deux guérilleros bondissants. En fait, le stop au Laos, c'est simple : si un véhicule a de la place, il s'arrête. Les quelques voitures vides qui passent sans s'arrêter sont des véhicules de tourisme ou des gens qui se rendent là où nous sommes. Les etendues que nous traversons deviennent beaucoup plus belles que sur le début de la boucle. Moins de champs et plus de rizières émeraude qui s'étalent au pied des montagnes du centre du plateau. Depuis une remorque les cheveux aux vents, c'est délectable!











Trois changement de camion plus tard, nous débarquons à 2 kilomètres de Tad Lo, que nous rejoignons à pied. Nous aurons mis moins de trois heures à parcourir plus de 150 bornes! Magnifique.

Une dernière suée, et nous parvenons au petit village, qui s'étale au bord de la rivière du même nom.



Le bled est minuscule, tous les hébergements sont rassemblés dans la même rue, et nous y dénichons rapidement notre petit coin de paradis : une guest house tenue par une famille française, la Fandee family, qui nous propose un joli petit bungalow privé avec terrasse et hamac pour 60000 kips! Nous ne cherchons pas moins cher. Voilà 10 jours que nous ne dépensons rien, le coin est à tomber, donc zut!

Tad Lo, bien qu'un tantinet touristique, c'est mignon tout plein. Quelques bicoques, de petits restos plus gargottes que restos, très peu de monde et un calme absolue au milieu de la verdure, au bord d'une petite rivière qui glougloute allègrement.

Si l'on y réfléchit, nous avons tout de même enchainés les boulots au cours de ce dernier mois, et même si les-dits boulots étaient merveilleux, nous sommes ravis de pouvoir glandouiller étalés dans un hamac. En revanche, terminés les repas de rêves gargantuesques, nous reprenons notre régime assiette de riz-nouilles déshydratées, l'une en petit bouiboui et les autres dans notre piaule sur notre réchaud. Condition sine qua non pour dépenser moins de deux euros par personnes et par jour en nourriture!

Nous profitons de la soirée posés en terrasse, savourant l'air frais dans le calme du village qui s'endort, songeant à tout ce que nous avons vécu durant ces dix derniers jours avec nos amis, discutant de ce Laos où nous trainons, où nous creusons encore et encore. On fait de ces choses décidément!

Le lendemain, nous partons pour ce qui va se transformer en mission épique. Sur la carte pourtant, tout paraissait simple : un itinéraire de rando formant une belle et régulière ligne de pointillés devait nous faire passer par toutes les cascades fameuses du coin, Tad Hang, Tad Lo, et Tad Soung. Il est possible rejoindre Tad Soung par la route, mais nous voulons y aller à pied par la campagne.

Tout commence tranquillement : nous achetons quelques bananes et des galettes de riz soufflés pour la route et traversons le pont au-dessus de la rivière qui nous offre un beau point de vue sur Tad Hang. Bon, c'est plus une succession de rapides qu'une cascade, mais nous nous en contentrons. 



Nous marchons 2 kilomètres sur un petit chemin qui traverse la jungle en longeant la rivière...



...Et nous arrivons à Tad Lo, déjà beaucoup plus impressionante!



A partir de là, notre journée devient très folklorique. Nous continuons sur notre sentier complètement désert pour déboucher au beau milieu du village d'une des nombreuses ethnies qui habitent dans les parages. Nous souvenant de l'accueil mitigé que nous avions reçu à Nam Tha et des croyances bien ancrées de ces ethnies pour les esprits et autres génies, nous y faisons une pause, fermons nos bouches et nous faisons encore plus discrets, polis et souriants que d'habitude. Le village est formé de cahutes disposées en cercle autour d'un autel central, lieu de culte animique. Quelques étals se trouvent devant certaines maisons, et des tapis servent de support à des piments séchant au soleil.



Nous sommes finalement bien accueillit. Les gens nous saluent, nous sourient, nous font de grands signes de mains, et nous nous enhardissons au point de leur demander notre chemin. Ils nous montrent la sortie du village, et bientôt nous revoilà en forêt. Nous débouchons ensuite sur une campagne magnifique, pleine de rizières et de cultures en terrasse. A l'horizon se dresse de petites montagnes. De l'une d'elle doit jaillir Tad Soung...



Nous marchons un bon moment sous le cagnard, déviant un peu de la bonne direction. Pas de souci, nous devons probablement contourner les cultures.

Sauf qu'au bout d'un moment, le chemin s'arrête sur un champs de maïs... Bigre. Heureusement, une femme se repose à l'ombre d'un abrit de feuillage non loin, et nous lui demandons notre chemin. D'un signe, elle nous indique de revenir sur nos pas et de tourner à droite.

Nous trouvons effectivement un petit chemin qui part dans les rizières, mais il s'achève au bout de quelques mètres sur un canal d'irrigation.

Nous rebroussons chemin et retournons au village. Sur place, nous questionnons plusieurs personnes, qui nous indiquent toutes la direction d'où nous venons...

Un homme vient même nous voir pour nous faire comprendre que nous n'atteindrons pas la cascade seuls et qu'il peut nous y emmener moyennant quelques billets. Pas tout de suite l'ami...

Nous ne renonçons pas. Nous retournons sur notre chemin, pour tomber sur un paysans qui nous indique le petit chemin en cul-de-sac de tout à l'heure... Nous voilà au bord du canal, et notre homme nous fait signe que oui, c'est par là, avant de continuer sa route.

Que faire? Nous trouvons finalement un passage sur le côté d'une rizière, et contournons le canal au prix d'un bon pataugeage dans la gadoue. Le chemin continue dans cet ordre d'idée : boueux, traversant des bosquets inextricables, disparaissant parfois...

Nous nous perdons à nouveau, lorsque passe un berger et son troupeau. Heureusement qu'il est là! Il nous montre une minuscule piste qui s'enfonce parmis les hautes herbes, invisible à l'oeil nu... Nous nous poserons un moment avec lui à l'ombre de sa cabane. Nous dégoulinons de sueur et le soleil cogne fort!

Avant que nous repartions, notre homme nous donne un dernier conseil en dessinant dans la terre, qui veut dire quelque chose comme ''continuer toujours tout droit, même si vous voyez un autre chemin''.

Nous suivons son conseil à la lettre, et s'ensuivent 2 kilomètres de marche dans une campagne absolument sublime. Il n'y a pas un chat (nous avons compris depuis longtemps que ce ''chemin de randonnée'' n'est pas destiné à être emprunté...), et nous longeons rizières, champs et plaines sur de petits chemins. La balade est vraiment fantastique, et nous ne regrettons pas d'avoir persévérer.


 





Nous arrivons finalement au bout de nos peines, et ce n'est pas dommage! Nous débouchons de la cambrousse sur une route avec un panneau indiquant ''Tad soung''! Nous traversons un nouveau village, nous enfonçons dans la jungle, et arrivons finalement au pied de l'immense falaise d'où jaillit la cascade, au milieu d'un chaos de roches abritant de petites marres.






Nous crapahutons dans les rochers pour nous rapprocher des immenses chutes, avant de nous poser pour grignoter notre maigre pitance et profiter du cadre.





Nous décidons ensuite de grimper au sommet de la falaise, en suivant un petit chemin à travers la jungle. Le sentier doit être a l'abandon depuis pas mal de temps, et il nous faut parfois nous frayer un chemin à travers la végétation. La chaleur et l'humidité sont écrasantes, et nous multiplions les pauses.



Quelques monstrueux escaliers de rondins plus tard, nous voilà au sommet, profitant d'une vue imprenable sur la vallée de puis le bord de la falaise.






Cette physique journée touche à sa fin, et nous rebroussons chemin, redescendant de la montagne pour rentrer à Tad Lo, par la route cette fois! Inutile de dire que le soir, nous nous endormons comme des bébés!

Nous passons la journée du lendemain à glandouiller et à préparer la suite du Laos, mais aussi notre arrivée en Nouvelle Zélande! Nous envoyons en effet nos demandes de working holiday visa. La procédure se réalise en ligne, et elle nous réserve une surprise : la Nouvelle Zélande ne rigole pas avec les maladies, et notamment la tuberculose. Ainsi, pour décrocher le visa, et dans le cas où vous avez visité des pays que l'immigration neo-zélandaise considère comme à risque pour la tuberculose durant les 5 dernières années (ça ratisse large...), vous devrez fournir une radio des poumons et un avis médical issu d'un établissement agréé... Il s'avère que la grande majorité des pays que nous avons traversé durant ces deux ans de voyage sont considérés comme risqués... Nous décidons de nous atteler à cette petite formalité administrative en Thailande. Au Laos, forcément, les cliniques approuvées par le ministère neo-zélandais ne courent pas les rues...

Nous préparons ensuite notre dernière semaine au Laos. Nous comptons passer au Wat Phu, temple pré-angkorien situé à quelques kilomètres de Pakse, sur la rive ouest du Mekong, avant de rejoindre les célèbres 4000 iles à l'extrême sud du pays pour nous poser une dernière fois dans cet incroyable pays avant de rejoindre le Cambodge. Mais ça, c'est une autre histoire! 

Et bien... Ca en fait des choses a raconter!

Nos têtes sont pleines, remplies par des gens formidables, et nos esprits tourbillonent.

Notre rencontre avec André nous aura permis de faire la connaissance d'un homme incroyable, qui nous aura fait de nombreux cadeaux, parmis lesquels ses nombreuses histoires et connaissances sur le Laos. Il nous aura aussi permis de faire la connaissance de Kina et de Loe.

Kina et Loe... Selon nous, ces trésors devraient servir d'exemple au monde, et chacun devrait s'en inspirer. Mener une vie simple et proche de la nature, autosuffisante, fondée sur le partage et la communauté, l'importance de penser par soi-même, le don désintéressé, l'aide à son prochain... Nous en avons déjà parlé et nous ne reviendrons pas là-dessus.

Au-delà de leurs valeurs et de leur conception de la vie, dans lesquelles nous nous retrouvons totalement (nous nous voyons grosso-modo mener la même existence un de ces jours!), nos amis nous aurons appris énormément sur une réalite laotienne qui peut être sans pitié, sur des problèmes dont nous avons volontairement omis de parler ici, qui constituent un rappel douloureux d'une vérité universelle : l'humanité est belle, mais elle comporte sont lot d'ordures cupides, avides et sans aucune considération pour leur prochain. Comme toujours, l'argent et le pouvoir sont les dénominateurs communs qui pourrissent un fruit sinon formidable.

Kina et Loe font partie de ces flammes qui ravivent la foi, et ont définitivement ancré dans nos têtes une réalité que nous connaissions déjà : face à la détresse, si on a la volonté d'aider, seules les actions locales et personnelles sont efficaces. Tout recours à une quelconque institution officielle ne fait qu'engraisser des porcs qui ont trouvé un bon moyen de s'enrichir tout en passant pour des êtres généreux et dévoués à la cause humaine. A titre d'exemple, nous pouvons citer le responsable de l'association Médecins sans frontières au Laos, qui s'est réservé un confortable salaire de 3000$ par mois (le salaire moyen lao est de 100$), possède trois belles et rutilantes voitures, et habite dans un manoir. Tout ça est bien sûr payé avec l'argent des dons... Nous en avons des milliers comme ça.

Les initiatives locales sont petites, et paraissent tellement insignifiantes quand on considère les énormes puissances qui jouent contre elles, mais même si nous avons toujours la sensation, à chaque fois que nous participons à de tel projets humanitaires, de plutôt rattraper les pots cassés et de limiter les dégâts occasionnés par des entités surpuissantes et influentes, il faut être fière de ce qu'on fait, ne pas se décourager et espérer que d'autre suivrons le mouvement. A leur échelle, avec leur petit moyens, mais vraiment motivés par leur cause.

De notre côté, nous avons toujours l'impression de ne pas en faire assez, et en quelque sorte c'est vrai. Nous aurions aimé faire plus pour les habitants du village. Pour être honnête, nous avons même envisagé de nous installer durablement avec Kina et Loe afin de les aider dans leurs projets. Mais notre heure n'est pas encore venue.

Nous poursuivons notre route, rangeant tout ça dans un coin de notre tête et le gravant dans ces lignes, pour le ressortir le moment venu.

En attendant, le Petit Tour continue!

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