mercredi 1 novembre 2017

Deux ultimes et lucratifs mois de labeur pour la plus grande pépinière du pays

Bonjour à tous!

Voilà un joli pavé sans aucune photo ou presque. Ici on bosse, on est pas là pour déconner! (je tiens à souligner que les photos en question ne sont pas de nous, mais que je n'ai pas réussi à en trouver la source... A toi qui lis cet article et que les aurais prises, merci de me contacter avant de lancer un procès!)

Je vous disais dans notre précédent article pourquoi nous nous étions résolus à nous remettre à chercher du travail un peu plus tôt que prévu. Dans les lignes qui suivent, nous relatons notre expérience d'honnêtes ouvriers dans la plus grande pépinière du pays, où nous avons passé près de deux mois et demi à bosser en accomplissant des tâches dont l'intérêt s'est étalé entre le nul et le moins pire. Un taf en entreprise classique, qui nous a montré ce que doivent vivre de nombreuses personnes une grande partie de leur vie, et qui de notre côté nous a fait frôler la démence plusieurs fois et nous a amenés aux limites de notre seuil de résignation et de tolérance tout en confirmant certaines idées que nous avions sur notre avenir professionnel. Et histoire de le souligner, car c'est un peu l'unique but de ce genre de boulot, ce fut également un taf qui nous a fait gagner un sacré tas de pognon!

Dans un souci de discrétion, je ne citerai pas le vrai nom de la compagnie. Non pas qu'il soit difficile pour quiconque de la retrouver en lisant cet article, mais je veux éviter de fournir aux moteurs de recherche internet des mots clefs qui pourrait conduire un membre de l'équipe de direction à tomber par hasard sur ces lignes, étant donné que je vais y raconter deux ou trois choses qui pourrait mettre certains des collègues néo-zélandais avec qui nous avons travaillés dans l'embarras. C'est également pour cette raison que je ne citerai pas les noms des collègues en question.

Je vous donne tout de même un indice : le nom de la boite comporte 2 syllabes, il commence par ''Wai'' et se finit par ''mea''. Dans l'article qui suit, j'utiliserai la forme phonétique, Ouaïmé.

En fin d'article, s'il vous reste un peu d'énergie, vous pourrez découvrir les premières ébauches de préparation de notre virée en Amérique du sud (tintintiiiin!).

Et histoire de finir avec un brin de sentimental, il faut souligner que cet article est le dernier qui se déroule sur l'île sud de la Nouvelle Zélande... Préparez-vous donc à faire vos adieux à cette belle, cette grandiose, cette magnifique contrée.


Mais commençons par le commencement...

Nous venons de faire nos au-revoir à Flo, et nous voilà en route pour notre petit camping de Lincoln, à quelques 5 heures de route de Nelson, pour y établir notre base opérationnelle et y lancer sereinement notre seconde quête d'un moyen de gagner de l'argent en nous pourrissant la vie.

Nous passons une nuit sur le camping de Dear Valley, aux alentours d'Hamner Spring, et le lendemain, en début d'après-midi, nous voilà de retour à Lincoln, sur notre petit camping gratos tout confort, le Cose Ford Campground, au bord du lac Ellesmere.

Nous sommes jeudi, et nous décidons de laisser passer le week-end avant de nous remettre sérieusement à éplucher les petites annonce.

Le lendemain, l'air de rien, nous jetons tout de même un oeil sur les offres d'emplois, surtout pour étudier les tendances du moment.

Pour ceux que ça intéresse, sachez que nous zonons particulièrement sur le site “backpacker board”, bien construit et fourni, gratos, et efficace dans la présentation et le tri des annonces qui concernent majoritairement des petits boulots ne demandant pas d'expérience (ou alors très peu) à l'intention des voyageurs.

Nous sommes en juin, et visiblement, dans le domaine agricole, la demande de main d'oeuvre est particulièrement importante dans les vignobles : les vendanges sont terminés, ainsi que la taille des vignes, et à présent les producteurs de raisin ont besoin de personnel pour le wraping et le striping, deux boulot particulièrement ignobles qui consistent en gros à attacher les pousses de vigne sur des supports ou à les entourer de fil.

Plusieurs détails nous embêtent dans le fait de chercher du travail dans les vignobles : sans parler du taf en lui-même, réputé bien pourri, nous remarquons que la plupart des annonces émanent des environs de la ville de Bleinheim, au nord-est de l'île. Et Bleinheim, ça sent l'arnaque à plein nez! La région possède en effet la même réputation de nid à embrouilles pour voyageurs que Mildura en Australie, et on y trouve le même travers que nous avions rencontrés dans la ville du Victoria, à savoir l'infâme business qui tourne autour des working holiday visas en quête d'un travail : la plupart des annonces proviennent de working hotels, ces établissements qui ont tout compris et obligent les gens à prendre une chambre chez eux en échange d'un travail qui n'arrive jamais. Il y a aussi les contractors, qui dans le principe sont des sortes d'agences d'emploi qui s'occupent de mettre en relation les employeurs et les travailleurs, mais qui dans la pratique canalisent la main d'oeuvre et obligent les fermiers à payer pour leurs services tout en se gardant un pourcentage sur les salaires des gens qui passent par eux pour trouver du travail. Les fermiers payent plus, les employés touchent moins, et les contractors s'en mettent plein les poches!

Je vous renvoie au début de l'article sur notre mois d'orange picking en Australie pour plus de détails. A savoir qu'en Nouvelle Zélande, si l'envergure de la chose est loin d'atteindre ce qu'on peut trouver au pays des kangourous, les arnaques et les requins près à plumer le jeune voyageur insouciant sont tout de même présents, et il convient de faire attention où on met les pieds.

De notre côté, nous sommes en terrain connu, et nous ferons gaffe quand il s'agira d'envoyer des candidatures.

Le deuxième problème, c'est que nous en avons sué des fruits. Sans rire, en mettant de côté nos expériences de travail volontaires, nous n'avons fait que ça depuis que nous avons quitté la France : cueillette des cerises, des fraises, des pommes, des oranges et des mandarines en Australie, apple thinning et rebelotte avec l'apple picking en Nouvelle Zélande... Notre voyage a littéralement été financé par les fruits et les vergers, et nous en avons assez!

Enfin bon, pour le moment, nous prenons juste la température. Nous ne nous occupons pas de la question de trouver un point de chute pendant le travail pour le moment. Chaque chose en son temps!

Il y a quand même une annonce qui retient notre attentions plus que les autres : une proposition de poste dans une tree nursery, en français une pépinière. L'annonce n'explique pas en détail les tenants et aboutissants du job, mais dégoter une place là-bas nous permettrait de varier un peu les déplaisirs, et de plus certaines personnes que nous avons rencontrées en Australie nous ont vanté les avantages de travailler pour une pépinière : boulot moins pénible que la cueillette, salaires sympathiques etc... Alors bien sûr, rien ne nous dit que les choses sont pareilles en Nouvelle Zélande, mais bon, notre instinct nous titille, et nous suivons toujours notre instinct.

Nous avions décidé de ne pas commencer l'envoie de candidature avant lundi, mais nous postulons quand même pour la pépinière, sans trop y croire cela dit : l'annonce est vieille de plus de 10 jours, et il y a de fortes chances que les postes à pourvoir soient déjà pris. Nous verrons (oui, j'ai déjà ruiné le suspense, mais vous n'avez qu'à faire comme si vous n'aviez pas lu l'intro...).

Le samedi, nous travaillons un peu sur le blog, et prenons un moment pour rédiger nos CV en anglais et écrire quelques squelettes de lettre de motivation.

Le dimanche est consacré à la préparation au départ. Je sais, c'est un peu prématuré étant donné que nous n'avons pas encore de travail, mais nous préférons nous tenir près. Si nous avons rencontré énormément de personnes qui ont galéré des semaines pour dégoter un job, de notre côté nos quêtes de travail se sont à peu près toutes conclues de la même façon : “oui, on vous embauche, vous commencez demain matin”, quand ce n'était pas “cet après-midi”.

Lundi, c'est parti : nous faisons le pied de grue devant la bibliothèque de Lincoln, et à 9h, nous attaquons le torpillage.

Nous ne lisons même pas les annonces provenant de working hotels, préférant nous concentrer sur celles postées directement par les exploitations et les producteurs, et nous arrosons copieusement les trois quart de l'île sud de candidatures. Grape wraping, grape striping, maintenance générale, peinture à faire, packing de pommes de terre, horticulture et j'en oublie.

Comme prévu, la plupart des annonces sont du genre “URGENT”, “DEMARRAGE DES QUE POSSIBLE”, “SOYEZ PRES A COMMENCER DEMAIN”, “SI VOUS ETES PRIS, VOUS ATTAQUEZ DANS 5 MINUTES!!!”.

Et paf. A 10h, le téléphone sonne!

L'ennui quand on envoie des candidatures par rafales de 15, c'est que lorsqu'on nous appelle, nous n'avons absolument aucune idée de qui est au bout du fil, ni de quelle candidature est concernée. Histoire de ne pas passer pour des crevards de boulot qui se fichent totalement de qui ils contactent (ce qui en même temps n'est pas complètement faux), nous adoptons une méthode simple en cas d'appel : dire oui à tout avant de glisser un subtil “vous pouvez me rappeler votre adresse?”.

Lorsque je décroche, une succession extrêmement rapide d'événements va débuter. Les quelques secondes qui suivent donnent à peu près ça :

- Allo, bonjour, blablabla
- oui
- suite à votre candidature blablabla
- oui pas de problème, on est dispo!
- blablabla disponible pour un entretient d'embauche aujourd'hui à 15h?
- Aucun souci, vous me rappelez votre adresse? Merci, A tout à l'heure! *clic*

- Léooo! On a un entretient à 15h! Vérifie l'adresse!!!
- Aaah! C'est la Ouaïmé, la pépinière de vendredi! Aaah! C'est à côté de Nelson!
- Retenedidju, on y était y'a trois jours! Y'a 5 heures de route, en partant maintenant on peut y être à l'heure!
- Et la tente petit rigolo, on l'abandonne ici avec les duvets?
-...
-...
- Aaah! Je les rappelle!

Je rappelle la nursery en adoptant ma voix la plus sérieuse et repentante, et nous décrochons un entretient pour le lendemain à 11h.

Le petit coup de pression nous a gonflé à bloc, et nous décidons de repartir sans plus attendre pour Nelson. Nous dormirons au Mc Lean Campsite, près du Taurangi National Park, histoire d'être frais, dispos et à l'heure demain. Et le tourbillon de la vie continue : lorsque nous regardons la localisation exacte de la pépinière, nous constatons que le hasard a voulu qu'elle se trouve juste à côté de Richmond, à une dizaine de minutes en voiture du Dominion Point Orchard... Si c'est pas de la coïncidence ça! Sentant le coup à jouer, nous envoyons un message à Tracey, pour lui demander si, à tout hasard, nous ne pourrions pas louer l'une des maisons du verger le temps que dure notre travail.

Nous rentrons au camping, démontons le camps, papotons un peu avec un campeur métaleux néo-zélandais constructeur de kart et amateur de tuning qui s'enquiert de la raison de notre agitation avant de nous inviter à venir nous pinter un de ces jours chez l'un de ses amis à Nelson, puis mettons les voiles, juste après avoir reçu la réponse de Tracey... Qui nous annonce qu'il n'y a pas de problème, nous pouvons nous pointez quand nous le voulons, pour autant de temps qu'il faut. C'est beau ce qui est en train de nous arriver quand même!

Sur la route, nous digérons mentalement tout ce qui vient de se passer, nous disant que si ce plan boulot abouti, nous aurons quand même trouvé un travail en moins d'une heure de recherche tout en réglant la question de l'hébergement ! Enfin nous n'en sommes pas encore sortis : nous n'avons aucun renseignement sur la nature du travail en question, ni sur sa durée, et encore moins sur la boite qui va peut-être nous embaucher. Restons calmes, et rappelons-nous que nous nous tapons peut-être un aller-retour de près de 1000 bornes pour rien!

Nous sommes quand même bien remontés, et le long trajet jusqu'à Nelson est rempli de conjectures en tout genre, de ''et si...'', de ''imagine...'' etc... Nous nous voyons déjà au travail, nous voyons déjà notre année en Nouvelle Zélande se transformer en apothéose absolue, en définition même du working holiday visa réussi...

Le retour en pleine cambrousse au Mc Lean se charge de nous calmer, et nous nous apaisons au son du vent et de la rivière toute proche. J'y prend un petit bain afin d'être présentable demain, et nous passons une soirée assez survoltée avant de nous coucher sans parvenir à trouver le sommeil. Décidément, si ça passe...

Nous avons eu du bol depuis que nous sommes arrivés dans ce pays. Depuis que nous sommes sortis de l'avion à Auckland, nous n'avons eu aucun souci d'aucune sorte, jamais, nous avons toujours fait ou trouvé ce que nous voulions dans des laps de temps ridiculement courts. Nous nous disons que le vent va forcément tourner à un moment, mais d'un autre côté nous nous sentons tellement en état de grâce que nous ne voyons pas pourquoi les choses ne continueraient pas sur cette lancée ! Et en même temps, à ce point là, on se dit que ça serait un peu trop beau...

Le lendemain, nous décollons du Mc Lean pour rejoindre Richmond et faire un brin de toilette. C'est que nous sommes consciencieux !

A 10h45, nous voilà à la pépinière. Nous découvrons plein de rangées de jeunes pousses, des hangars, des tracteurs, et tout un tas de travailleurs qui s'affairent, avant de nous présenter à l'accueil un brin essoufflés. Nous patientons quelques minutes avant qu'une jeunes femme tirée à quatre épingles ne nous reçoive.

Le rendez-vous tient visiblement plus de la formalité que du réel entretient. En même temps, nous ne postulons pas pour un poste d'ingénieurs en aéronautique ou de cadre dans le commerce international...

Lorsque notre interlocutrice aborde la question de notre capacité à réaliser un travail rébarbatif, répétitif et fatigant, nous lui balançons tous les violons que nous avons en réserve, jouant la carte des travailleurs sérieux et près à tout. Ce que nous sommes d'ailleurs. Nous évoquons nos 63 heures de travail hebdomadaire durant l'apple thinning, ainsi que toutes nos éreintantes expériences de picking.

Et arrive la question à 100 000$ : ''est-ce que vous aimez ca?''. Bah euh... Nous éludons, arguant que nous adorons le plein air, les plantes, et que nous préférons infiniment bosser dans les champs que dans une usine ou à Mcdo.

Bon signe, notre responsable des ressources humaines commence à nous décrire le travail que nous aurons à faire si nous sommes retenus : il s'agit de heading. Certains arbres fruitiers produis par la compagnie ont subit il y a peu un bouturage de bourgeon, et le heading consiste à couper à l'aide d'un sécateur toute la portion du jeune arbre situé au-dessus de la bouture, afin de concentrer la croissance dans le nouveau bourgeon. Le boulot dure trois semaines, mais notre nouvelle amie nous souligne que si nous travaillons bien, nous pourrons éventuellement faire prolonger notre contrat.

Deuxième question à 100 000$ : est-ce que ça nous va ? Je veux mon neveu ! Sécateuriser des arbres, c'est notre grande passion dans la vie !

Et puis nous n'allons pas y passer la journée non plus. Un grand sourire, une poignée de main énergique, et nous quittons les lieux.

Et l'avalanche continue. Une heure plus tard, nous sommes en train de glander à Richmond quand la nursery nous appelle pour nous dire que nous sommes pris et que nous devons nous présenter sur place le jeudi suivant pour une petite réunion de présentation et quelques saletés administratives avant d'attaquer le vendredi matin à 8h30. Bim, ça c'est fait. Nous contactons Tracey dans la foulée, qui nous annonce que nous pouvons débarquer dès à présent. En milieu d'après-midi, nous retrouvons Brian chez lui, discutons un moment, récupérons les clefs d'une des petites maisons du verger, et quelques dizaines de minutes plus tard nous voilà installés, effondrés dans le canapé un petit thé à la main.

Rlan. C'est qui les patrons ?

Sur le coup, nous avons un peu de mal à réaliser. Les verrous qui nous ferment les portes de la gloire sautent les uns après les autres à une rapidité effarante : c'est bon pour le travail, c'est bon pour le logement, ne reste plus qu'à voir si le taf n'est pas trop pourri et si nous pouvons prolonger notre contrat.

C'est le premier de ces deux derniers obstacles qui nous inspire le plus de crainte : le heading à l'air d'être un job vraiment moisi, et le rapide aperçu que nous avons eu de la pépinière nous a donné l'impression d'être en présence d'une grosse entreprise, d'un usine à gaz, ce qui n'est pas souvent compatible avec une atmosphère de travail saine et humaine... Nous verrons bien. L'avantage de nous être mis à la recherche de travail avant l'épuisement de notre compte en banque, c'est que si le travail à la nursery part en vrille, nous pourrons toujours démissionner sans remords.

Enfin pour le moment, nous savourons l'éclatante et fulgurante réussite de notre opération travail tout en profitant d'être de retour à la maison pour assouvir les envies de posages que nous avons depuis plusieurs jours. Nous habitons la maison que Paco et Robin occupaient durant le picking, elle est plus petite que celle que nous avions, mais nous sommes à présent deux au lieu de trois, et la taille réduite de la baraque donne un petit effet cocon-terrier qui nous va très bien ! En plus, il est gratifiant de se dire que nous avons atteint un stade où nous pouvons faire jouer nos relations pour dégoter un logement pas cher en Nouvelle Zélande.

Le mardi soir et le mercredi sont nimbés d'une aura de bonheur, d'une sensation d'accomplissement jouissive, le tout accompagné d'une pointe d'amertume : c'est bien d'avoir trouvé du travail, sauf que maintenant... Ben il va falloir travailler!

Qu'importe! Nous faisons nos petites courses et profitons de la maison, nous enchaînons plusieurs films, nous cuisinons de bons petits plats, savourons la douche chaude... Nous attendions ce petit repos avec impatience, et notre bonheur est d'autant plus complet que nous le prenons au Dominion. Nous avons tellement squatté le verger que nous avons vraiment l'impression d'être rentrés chez nous!

Le jeudi matin, nous débarquons à la pépinière pour faire la connaissance de la brochette de nouveaux employés, pour la plupart des voyageurs. Il y a des français, des chilien, des israéliens, des espagnols, et même, chose incroyable...  Un ou deux néo-zélandais ! C'est fou.

La réunion commence par une petite présentation de la boite. Nous allons donc travailler pour la Ouaïmé Tree Nursery, plus grande pépinière de Nouvelle Zélande, une entreprise âgée d'une dizaine d'année. La nursery produit des arbres en tout genre, des plantes d'agrément pour les particuliers aux arbres décoratifs, mais aussi et surtout des arbres fruitiers vendus aux vergers du pays ou exportés à l'étranger. L'hiver représente la saison la plus chargée niveau travail : toutes les récoltes sont terminées, et les producteurs commandent de nouveaux arbres pour la saison suivante.

On nous détaille ensuite notre contrat : nous sommes embauchés pour trois semaines, mais nous pouvons éventuellement rester plus longtemps. Nous allons travailler dans les champs, à raison de 8h par jour, 5 jours par semaines. Tiens, nous avons nos week end ! Nos journées vont débuter à 7h30 et se terminer à 15h45, avec une pause payée de 15 minutes le matin et une pause déjeuner non payée de 30 minutes entre 12h30 et 13h. Nous ne prendrons pas de pause l'après-midi, ce qui nous permettra de finir à 15h45 en étant payés jusqu'à 16h.

La paie tiens. Nous nous attendions à toucher uniquement le salaire minimum, à savoir environ 15$ de l'heure brut, mais on nous apprend que sur la plupart des tâches, et notamment sur le heading, il est possible d'être payé en contract, c'est-à-dire au rendement, comme pendant le picking, si on est suffisamment rapide. En effet, suivant le job, un certain score minimum est établit. Par exemple, dans le cas du heading, il s'agit d'un certain nombre d'arbres à coupés dans la journée. C'est la cible à atteindre. Lorsqu'on dépasse le nombre cible, on réalise ce qu'on appelle le ''contract'', c'est-à-dire qu'on commence à être payé au rendement et à augmenter son salaire horaire, et plus l'écart grandit, plus le salaire horaire de la journée augmente. C'est ainsi qu'apparemment, certains employés atteignent les 30$ de l'heure ! Bien sûr, il est quasiment impossible de realiser le contract les premiers jours. Mais bon, nous pouvons espérer faire plus que prévu si nous nous remuons.

Nous bénéficierons aussi de plusieurs bonus : les heures de congés payés, qui s'accumulent et qui nous serons reversés en espèces en fin de contrat à moins que nous ne voulions les utiliser. Et puis il y a la cerise sur le gâteau, un bonus dont nous avons peine à croire l'existence : en fin de mois, si nous sommes arrivés à l'heure tous les jours, nous toucherons 50 centimes de plus sur chacune des heures que nous aurons effectuées! C'est juste : nous gagnerons 80 balles de plus par mois pour le simple fait de ne pas arriver en retard. C'est grand!

Et arrive la présentation des règles et régulations de l'entreprise et des recommandations aux employés... Et nous sortons grandis de cette réunion, durant laquelle nous sont révélées de bouleversantes vérités existentielles : on nous explique avec insistance que venir travailler sous l'influence de drogues nous expose à un licenciement, que pour se protéger du soleil, il faut se couvrir et mettre de la crème, ou encore que quand on a soif, et bien il faut boire ! C'était donc ça... Pour l'anecdote, lorsque nous parlerons de cette réunion avec Brian, il nous expliquera que la pépinière a eu beaucoup de problèmes avec ses employés, et qu'à présent ses responsables se font une obligation de rappeler les règles les plus élémentaires. Effectivement, s'ils ont déjà travaillé avec des vedettes capables de se pointer au boulot en pleine montée d'acide ou de se laisser mourir de soif dans les champs,...

On nous remet ensuite tout un tas de papiers à remplir et à ramener le lendemain, puis on nous recommande de bien dormir cette nuit et de prendre un solide petit déjeuner avant de venir travailler demain... Une blague !

Avant de partir, nous discutons un moment avec un couple de jeunes néo-zélandais qui ont déjà travaillé ici il y a quelques mois, pour leur demander ce qu'il pense de l'ambiance de travail à la Ouaïmé. Ils nous assurent qu'elle est bonne, et que les responsables d'équipe sur le terrain sont bien sympas ! Yeepi !

Les choses se présentent bien : cet avis positif, plus le bonus pour arriver à l'heure, plus ces petits détails qui ont l'air de montrer que l'entreprise prend soin de ses employés. Par exemple, j'ai oublié de dire que le dernier vendredi de chaque mois, la compagnie organise un grand déjeuner collectif à ses frais. Mieux, il se déroule entre midi et 13h, soit durant une demi-heure de plus qu'une pause déjeuner normale... mais la demi-heure supplémentaire non travaillée est payée!

Lorsque nous rentrons chez nous, David, notre voisin d'en face, vient nous rendre visite, ravis que nous revoir. Nous décidons de nous retrouver le lendemain soir pour boire un verre.

Le soir venu, nous préparons nos petits sandwichs pour le lendemain, faisons notre sacs, réglons notre alarme, et nous préparons à nous remettre au boulot...

Au matin de notre premier jour, nous nous mettons en route pour la nursery, près à en découdre. Je vous passe les formalités, remise de papier, visite des locaux etc...

Il est temps de rentrer dans le vif du sujet... Et en fait non : pour célébrer notre premier jour de travail, la météo a décidé de nous arroser d'une douce pluie rafraîchissante! Pas de heading aujourd'hui, mais ne vous inquiétez pas, si nous avons signé, c'est pour en baver, et il y a pleeein d'autres choses à faire. De plus, contrairement à la politique au verger durant le picking, ici la pluie n'est pas synonyme de jour de congé, et nous travaillerons sous la flotte s'il le faut... bigre! En contrepartie, l'entreprise nous fournit tout, bottes en caoutchouc, gants de jardinage, tenue de pluie intégrale. Nous récupérons tout notre matos avant de nous mettre en route derrière notre responsable.

La Ouaïmé, en plus de son siège, possède des dizaines de parcelles éparpillées dans les alentours, probablement à cause du fait que la boite a du s'agrandir petit à petit en rachetant un champs par-ci, un champs par-là, etc... et nous allons être amené à nous deplacer au besoin dans différentes parcelles.

Nous débarquons dans l'un des champs, découvrant une immense étendue de gadoue striée de centaines de rangées de minuscule arbrisseaux, pour rencontrer notre chef d'équipe et recevoir de rapides explications sur ce que nous allons faire aujourd'hui à la place du heading.

Nous commençons en douceur : on nous donne des cutters, et nous devons parcourir des rangées de jeunes pousses de seulement 10 ou 20 centimètres de haut pour trancher les bagues en plastique qui devaient servir à les attacher à des supports. Ennuyeux, mais pas bien fatiguant ni pénible.

Et puis finalement, la pluie s'arrête et ne reprendra pas de la journée.

Après la pause de 10h, nous découvrons une nouvelle activité, bien plus bourrine et offrant la possibilité de faire du contract : le caning. On nous dépose d'énormes paquets de cannes en bambou de chaque côté du champs, et il s'agit en gros de parcourir les rangées en plantant un tuteur devant chaque pousse.

Dans la pratique, le taf requiert un peu de technique : nous devons enfoncer les cannes de 20 centimètres dans le sol, le plus droit possible, toujours du côté nord de la pousse, en anticipant la position qu'aura cette dernière une fois fixée au tuteur pour déterminer à quelle distance il faut le planter. Les pousses sont souvent tordues ou couchées au sol, mais la position de la canne doit être telle qu'une fois attachées dessus, elles se retrouvent à la verticale, à environ deux centimètres de cette dernière. Alors au début, forcément, on fait n'importe quoi, mais les chefs d'équipe nous suivent de près et nous reprennent au fur et à mesure. Et comme on nous l'avais dit, toujours avec le sourire!

La cible à atteindre pour réaliser le contract est fixé à 3000 cannes. C'est-à-dire que pour seulement commencer à dépasser le minimum horaire, il faut déjà planter 3000 cannes dans la journée, soit à peu près une cannes toutes les dix secondes, sachant qu'il faut prendre en compte le temps passer à ouvrir les paquets de cannes avant de les repartir le long de sa rangée! Bien sûr, pour valider le contract, le caning doit être bon : s'il y a trop de cannes penchées, pas assez enfoncées dans le sol, ou placer au mauvais endroit, le contract saute.

Inutile de dire que nous sommes trèèès loin d'aller assez vite en ce premier jour, concentrés que nous sommes pour bien placer nos cannes.

La vitesse s'acquiert via tout un paquet de petites techniques. A commencer par bien repartir ses paquets de cannes le long de sa rangée pour s'éviter de nombreux et chronophages aller-retours. Bien sûr, il faut apprendre à voir du premier coup d'oeil, suivant l'orientation de la pousse, l'endroit où il faut planter la canne. Enfin, il faut adopter une certaine position pour planter ses cannes le plus rapidement et le plus droit possible sans avoir à faire de mouvements superflus.

Au fil de la journée, nous assimilons à peu près tout ça et accélérons un peu, même s'il est déjà trop tard pour réaliser le contract. Côté qualité, nos chefs d'équipe sont très contents de nous!

Chaque rangée est marquée d'un numéro, et comporte un nombre d'arbres précis et connu. Quand on commence une rangée, on place une étiquette avec son nom sur la première canne, et l'addition de toutes les rangées effectuée permet de calculer le score total de la journée. Nous apprenons ainsi qu'aujourd'hui, nous avons planté environ 1200 cannes chacun. Même pas la moitié du contract... Ce qui est tout à fait normal nous dit-on! En revanche, comme d'habitude, notre travail est d'excellente qualité.

D'un côté, notre score aujourd'hui nous importe peu : nous n'avons pas été embauchés pour le caning, et il y a peu de chance que nous soyons amenés à refaire un taf de ce genre (si vous saviez ce qui vous attend mes petits voyageurs...).

Nous finissons la journée fourbus, les doigts douloureux, mais tout de même moins épuisés qu'après 9 heures de cueillette de pommes.

Bon. Et bien c'est très nul comme taf, mais nous n'en attendions pas moins! Et comme d'habitude, nous considérons surtout les à-côtés : les chefs d'équipe sont franchement sympas et patients, grands adeptes de franches rigolades, et l'équipe est carrément bonne. Durant les pauses de la journée, nous avons eu l'occasion de papoter avec nos collègues, principalement de jeunes voyageurs, et l'ambiance s'est avérée génial, avec ce petit côté on-est-tous-dans-la-même-galère-alors-autant-rigoler!

Et puis... Youpi, on est en week-end! C'était rapide comme semaine!

Nous passons la soirée chez David à lui raconter nos dernières vadrouilles.

Nous occupons nos jours de repos par un programme ultra-constructif qui va vite devenir traditionnelle et inébranlable, et qui pourrait se résumer par manger-regarder des films-dormir. Le samedi matin, nous faisons un tour a la bibliothèque avant de faire nos petites courses, puis nous rentrons pour faire nos loques pendant les 40 heures suivantes. Royal!

A ce train là, le lundi matin arrive beaucoup trop vite, mais qu'importe : nous venons juste d'attaquer, nous n'avons travaillé qu'une seule petite journée, et nous sommes encore tout frais et plein d'entrain.

Côté horaire, nous nous levons aux alentours de 6h, partons vers 7 afin d'arriver avec un peu d'avance avant d'attaquer à 7h30.

En ce lundi matin, il fait encore nuit lorsque nous partons, mais le ciel est clair, et nous allons sans doute pouvoir attaquer ce fameux heading.

Une fois arriver au champs, l'équipe se rassemble, et nous formons des binômes : je vais travailler en équipe avec Léonore, qui va me suivre pour appliquer une couche de peinture protectrice et désinfectante sur le bout de la pousse que j'aurais préalablement coupée. Nous attrapons sécateur, pinceau et pot de peinture, et... et non. Notre chef d'équipe nous prend à part pour nous annoncer que la Ouaïmé vient de l'appeler et que avons une nouvelle affectation, sur un job appelé le lifting. Kécèça? Aucune idée.

Il nous donne quelques indications pour rejoindre le champs où nous devons nous rendre, nous retournons à la voiture et nous mettons en route. Etrange comme retournement de situation! Il s'agit de notre deuxième jour, et nous nous retrouvons bombardés sur un nouveau travail sans la moindre explication. Finalement, nous n'aurons jamais fait de heading!

Nous sommes plutôt soulagés, car le heading, d'après ce que nous avons pu apprendre, est un travail dur, très douloureux pour le dos, et extrêmement répétitif. De plus, il est visiblement très difficile d'y réaliser le contract et de gagner plus d'argent. Enfin bon, calmons nos ardeurs, si ça se trouve le lifting est encore pire...

Nous débarquons dans un autre champs pour rencontrer notre nouveau chef d'équipe, un néo-zélandais pêchu et souriant, qui nous accueille très chaleureusement avant de commencer à nous expliquer avec un accent de la campagne que nous avons bien du mal à saisir en quoi consiste le lifting, tandis que le reste de l'équipe s'affaire déjà dans le champs en suivant un tracteur auquel est fixée une énorme machine.

Le lifting consiste à récolter les jeunes arbres qui sont près pour la vente. Dans la pratique, un tracteur passe lentement le long d'une rangée d'arbres. Il est équipé d'une espèce de machine infernale, le lifter, énorme appareil fixé sur le côté du tracteur composé d'une pièce de métal qui plonge en oscillant dans la terre, sous les racines des arbres, et d'un rail en pente formé de deux courroies en caoutchouc entraînées par des poulies qui guide les arbres déplantés jusqu'à l'arrière du tracteur, où est fixée une plate-forme depuis laquelle un employé effectue une sélection à la sortie du rail : il balance hors de la ligne tous les arbres trop petits ou cassés, et dépose tous les bons bien alignés dans le sillage du tracteur.

C'est là que nous entrons en jeu.

Un premier groupe de cinq à six personnes suit le tracteur. Il s'agit des ''graders'', en français calibreurs : leur tâche consiste à trier les arbres selon leur diamètre. Pour cela, ils disposent d'un gabarit qui se présente sous la forme d'une pièce de métal plate, peinte de bandes de différentes couleurs et fendue par le milieu. La fente, perpendiculaire aux bandes colorées, va en s’étrécissant : les calibreurs passent ainsi le gabarit autour du tronc de l'arbre, et le niveau auquel il s'arrête dans la fente, qui dépend de son diamètre, correspond à une couleur. Ils placent ensuite une étiquette de la couleur correspondante sur le tronc du premier arbre sélectionné, puis ils avancent en ramassant d'autres arbres de même diamètre, jusqu'à former des paquets d'arbres, dont le nombre est déterminé. Lorsque le paquet atteint le nombre requis, ils le déposent sur le sol et en commencent un nouveau. Chaque calibreur dispose d'un gabarit, d'une ribambelle d'étiquettes, et s'occupe d'une ou deux couleurs, dont l'ordre est le suivant : rouge, pour les arbres les plus fins, puis orange, jaune, blanc et rose. Les arbres les plus gros, dont le tronc ne passe pas dans la fente, sont marqués d'une étiquette noire. Le diamètre des arbres détermine le prix de vente des paquets, et le nombre d'arbres dont sont composés ces derniers dépend de leur destination : les paquets vendus directement par la pépinière en tant que plantes d'agrément pour les particuliers comprennent 3 arbres, ceux qui sont vendus aux grandes surfaces et autres magasins de jardinage en comptent 5, et les paquets destinés aux exploitations fruitières sont composés de 10 arbres. Léonore fait partie du groupe des calibreurs.

De mon côté, j'occupe le poste d'attacheur, avec quatre ou cinq autres personnes. Nous suivons les graders, et notre job consiste à... attacher (c'était facile). Nous nous nouons une grosse poignée de ficelles autour de la taille, et notre job consiste à attacher les tas que nous laissent les graders. On prend une ficelle, on noue une boucle à une extrémité, on passe la ficelle autour des troncs à une dizaine de centimètres devant les racines, on passe l'autre extrémité dans la boucle, on serre comme un malade, on fait un nœud. On répète l'opération plus haut sur le tronc, en prenant soin de ne pas trop bourriner pour ne pas casser la fragile extrémité des arbres.

La plupart des arbustes mesurent environ un mètre et ne comportent aucune branche, ce qui rend le travail des deux groupes plutôt facile.

Nous demandons de quelle espèce d'arbre fruitier sont les arbustes en question, et la réponse nous fait éclater de rire. Vous devez probablement devinez de quoi il s'agit... Après avoir nettoyé des pommiers, cueilli des pommes, nous allons passer trois semaines à récolter... Des pommiers! La boucle est bouclée... D'un côté, est-ce tellement surprenant? Nous entretiendrons toujours avec la pomme une relation particulière, et le destin de notre petit tour sera toujours intimement lié à ce fruit. Et puis comme le dit une fameuse expression, “tous les chemins mènent aux pommes”!

Le contract en lifting se réalise en équipe : à la fin de la journée, le nombre total d'arbres triés et attachés est comptabilisé, et si le contract est réalisé, tous les membres de l'équipe voit leur salaire journalier augmenter de la même façon. Ce qui comporte des avantages et des inconvénients : d'un côté, le travail de groupe est favorisé, la motivation s'en trouve renforcée, d'autant plus quand on se dit que l'on peut faire perdre de l'argent aux autres si on travail trop lentement. L'inconvénient, c'est que le moindre maillon faible dans le groupe tire tout le monde vers le bas... Et vous allez voir que dans notre équipe, si la majorité des gens sont de bons travailleurs, il y en a tout de même certain que le fait de glander en profitant du boulot des autres n'a pas l'air de déranger plus que ça...

Mais nous n'en sommes pas encore a juger nos camarades étant donne notre faible niveau. Comme en caning, le taf n'est pas vraiment difficile techniquement, mais la rapidité d'exécution nécessaire à la réalisation du contract demande une certaine pratique et pas mal de technique.

La tâche des graders, à savoir passer un gabarit autour des troncs, mettre une étiquette et faire des paquets d'arbres n'a rien de difficile en principe, mais s'avère en fait assez complexe, lorsque trimbalant 9 arbres qui se baladent sous un bras ils doivent ramasser et mesurer un arbre d'une seul main tout en suivant la cadence du tracteur. Avec l'expérience, les graders apprennent à voir d'un simple coup d'oeil à quelle couleur d'étiquette correspond le diamètre d'un arbre, sans avoir à utiliser leur gabarit.

Du côté des attacheurs, c'est un peu la même chose : attacher une ficelle demande des compétences que n'importe quel être humain à peu près lambda maîtrise depuis l'enfance, mais il faut être capable de le faire en quelques secondes. Là encore, la progression influe sur la vitesse : alors qu'au début, il est bien difficile de faire son nœud tout en tenant la ficelle pour ne pas qu'elle se détende, au bout d'un moment les doigts deviennent suffisamment agiles pour faire la chose d'une seule main quasi instantanément.

Au début de cette première journée, évidemment, c'est la foire. Léonore doit perdre du temps à  mesurer tous les arbres qu'elle pense correspondre à sa couleur tandis que ceux qu'elle a déjà ramasse sautent gaiement autour d'elle, et de mon côté, lorsque je relève la tête du premier paquet que j'ai laborieusement attaché après m'y être repris à 3 ou 4 fois, je suis seul au milieu du champs, tous les autres ayant avancé d'une soixantaine de mètres pendant que je bataillais avec mes noeuds...

Mais nous avons un formidable chef d'équipe, qui passe son temps sur le terrain à venir voir si nous avons besoin d'aide et à nous conseiller. Léonore apprend ainsi un paquet de choses, et il passe me voir régulièrement pour m'expliquer les ficelles du métier.

Je vous laisse un moment pour apprécier la subtil puissance de la double vanne contenue dans la phrase précédente. C'est bon ? Poursuivons donc.

Nous sommes une dizaine dans l'équipe, et nous faisons la connaissance de Robin, un allemand, et de Dada, italien, qui travaillent tous deux à la nursery depuis plusieurs semaine, et qui vont bien nous aider durant cette première journée. Dada fait partie des attacheurs, et il me donne tout un tas de sages conseils et de techniques visant à gagner du temps. Les deux vont rapidement devenir de bons amis.

Finalement, la journée passe plutôt bien, l'équipe réalise même tout juste le contract, fixé à quelques 6000 arbres attachés, et nos heures de la journée nous serons payées 17$ chacune au lieu des 15 minimum. De l'avis de la plupart de nos collègues qui travaillent ici depuis plusieurs années, nous avons eu de la chance d'être transférés sur le lifting, infiniment moins ennuyeux et douloureux que le heading. Sur le coup, nous les croyons. Ce n'est pas le taf le plus intéressant du monde, loin de là, mais c'est loin d'être le pire que nous ayons fait. Physique mais pas trop, suffisamment actif et varié pour ne pas être trop répétitif... Nous rentrons presque heureux, encore une fois beaucoup moins fatigués qu'après une journée de picking de pomme, en nous disant que sommes vraiment bien tombés! Et malgré la présence des débutants que nous sommes, l'équipe a quand même dépassé la paie minimum aujourd'hui, ce qui nous encourage à penser que nous pouvons faire plus d'argent que ce que nous espérions en arrivant. Oui, les choses s'annoncent plutôt bien !

Le soir, de retour dans notre petite maison, nous remettons en place nos petit rituels de fin de journée : thé, douche, dîner devant une série ou un petit film, et à 21h tout le monde au lit.

Nous passerons la semaine à lifter, nous améliorant sans cesse, remplissant quasiment tout les jours le contract. Dans ce genre de taf bien pourri, nous avons compris depuis longtemps que le simple fait de faire sérieusement ce qu'on nous demande avec motivation suffit pour être considérés comme de très bons travailleurs, et le lifting ne fait pas exception : à la fin de notre troisième jour, notre chef d'équipe nous demande, l'air de rien, si nous voulons étendre la durée de notre contrat au-delà de trois semaines !

Nous y réfléchissons pendant plusieurs jours. Nous avons définitivement vu tout ce que nous voulions sur l'île sud, et les quelques derniers spots que nous avons envie de voir se trouve sur l'île nord. Nous décollons le 6 octobre de Nouvelle Zélande, et nous voulons nous réserver trois semaines pour effectuer ces quelques dernière vadrouilles avant de partir. Nous devrons donc nous mettre en route à la mi-septembre. Nous nous plaisons à peu près bien à la pépinière, encore une fois le taf n'est pas génial mais tous les à-côtés le sont, nous sommes formidablement bien installés au verger, et plus nous mettrons d'argent de côté, plus nous pourrons vadrouiller en Amérique du sud, un continent que nous attendons de découvrir depuis des années avec une impatience frisant l'obsession. Nous sommes fin juin, ce qui nous laisse plus de deux mois et demi de libres pour travailler... C'est largement plus que nécessaire pour couvrir tous nos derniers frais en Nouvelle Zélande et partir avec 7000 euros de côté, mais lorsque nous calculons avec combien nous pourrions quitter le pays si nous bossions deux mois et demi, nous n'hésitons pas longtemps : même en touchant tous les jours le salaire minimum, et en retirant nos dépenses moyennes, nous décollerions pour l'Amérique du sud avec près de 10 000 euros !

Nous décidons de tenter le tout pour le tout et de faire les gourmands en demandant directement si nous pouvons travailler jusqu'à la fin de l'échéance que nous sommes fixée, c'est-à-dire mi-septembre. Nous annonçons bientôt la chose a notre chef d'équipe, et il nous dit qu'il va voir ce qu'il peut faire, tout en nous précisant que normalement, vu notre excellent travail, notre extension de contrat ne devrait pas poser de problème. Il ne peut en revanche pas nous renseigner sur la durée de l'extension éventuelle.

Nous voilà sur le grill, et tout dépend à présent de la décision de la direction. Dans le meilleur du meilleur des cas, si tous nos souhaits sont exaucés, nous nous retrouverons avec deux mois et demi de travail assuré, et la certitude de quitter la Nouvelle Zélande avec beaucoup plus d'argent qu'à notre arrivée. Encore une fois, notre demande est très audacieuse, et nous n'osons pas espérer un tel résultat, mais nous nous disons que nous avons au moins de grandes chances de pouvoir travailler quelques semaines de plus. Dans l'absolu, d'après nos calcul, il suffirait que notre contrat soit rallongé de deux petites semaines pour que nous puissions couvrir tous nos frais jusqu'au départ.

Un autre événement va marquer notre première semaine : un nouveau membre intègre l'équipe. Il s'agit de Laurent, voyageur français avec qui l'entente est immédiate. De nombreuses discussions et de sacrées rigolades vont suivre cette rencontre ! Laurent travaille dans la médiation scientifique, et s'est spécialisé dans l'astronomie, qu'il enseigne aux enfants à travers différentes activités. Sur le terrain, il se révèle être un travailleur acharné, efficace, qui ne se départi jamais de son sourire et de sa bonne humeur. En somme, un sacré collègue !

La semaine passe tranquillement, et nos premières impressions se confirment : le taf est très loin d'être un calvaire!

Sans parler du boulot en lui-même, nous nous retrouvons dans une dynamique de travail en entreprise bien différente de celle du picking. Le picking, beeen... Disons qu'on se sent bien dans un boulot de voyageur, un travail saisonnier bien bourrin qui se déroule dans la joie et la bonne humeur sur une durée bien précise. Les aficionados des vendanges en France comprendrons ce que je veux dire.

A la Ouaïmé, c'est différent : les horaires sont calées, les jours se suivent de manière plus régulière, les pauses chronométrées se prennent à heure fixe, ce genre de chose. Ca sent le travail sur la durée.

Enfin quand je dis “pauses chronométrées”, je parle du principe évidemment. Dans la pratique, l'attitude des collègues néo-zélandais qui travaillent ici depuis plusieurs années rappelle elle aussi une ambiance d'entreprise... Le chef d'équipe qui annonce la pause avec 5 minutes d'avance, pour nous faire reprendre 2 minutes à la bourre etc... Tout est bon pour resquiller et perdre du temps, pour grappiller la moindre minute d'inactivité, et nous nous en accommoderions fort bien si le taf n'était pas payé au rendement... Sauf que nous sommes ici pour faire des sous, et que parfois nous aimerions bien avoir la possibilité de cravacher pour rentrer plus d'argent! D'un autre côté, il est facile de comprendre que les gars qui travaillent là-dedans depuis 5 ou 10 ans soient un tantinet blasés et plus tellement à fond dans le job.

Mais il y a quand même des fois où nous rigolons bien devant les trésors d'ingéniosité qui sont déployés en fin de journée pour éviter de démarrer une nouvelle rangée ou pour finir plus tôt. Souvent, très souvent, il nous reste en effet largement le temps de lifter une nouvelle ligne d'arbres, pourtant nous nous faisons balancer sur le travail le plus inutile et ridicule que nous n'ayons jamais fait : passer dans les rangées en arrachant les feuilles des arbres qui vont être lifter le jour suivant. La tâche à pour unique but celui de perdre du temps : L'un de nos collègues kiwis nous explique que de toute façon, les feuilles tombent d'elles-même en quelques jours à la saison où nous sommes!

Bref, nous avons connu pire!

La semaine se termine, et notre week end est à l'image du précédent. Vendredi, nous passons la soirée avec Laurent et ses colocs à Richmond. Notre ami habite avec deux autres français chez un néo-zélandais pour qui il a travaillé en tant que volontaire et qui le laisse à présent garer son van chez lui.

Comme pendant le picking, nous nous faisons plaisir sur la nourriture, et nous mangeons varié tous les jours. Oui oui, nous mangeons même des légumes! Nous remettons au goût du jour notre ancienne tradition de repas un peu plus élaborés pour les jours de congé, en nous préparant un gros bœuf bourguignon. Nous sommes obligés de remplacer les lardons par du bacon, mais malgré cette impardonnable hérésie, c'est un régal!

Notre deuxième semaine est déprimante d'inactivité, au début du moins. Nous allons lifter dans un autre champs sous peu, mais le tracteur a quelques problèmes, et nous passons notre lundi entier à arracher des feuilles. 8 heures d'arrachage de feuille, payées au salaire minimum... Le mardi, idem, avec un petit changement en milieu de journée : ce coup-ci, nous ne plantons pas des cannes, nous en enlevons. Absolument aucun intérêt... Déprimant je vous dis.

Et puis en fin de journée, le tracteur est réparé, et nous rattaquons finalement le lifting dans le nouveau champs. Et nous allons découvrir ce qu'est le lifting, le vrai lifting. Visiblement, le premier champs n'était qu'une mise une bouche, avec ses arbres minuscules sans aucunes branches. Dans le nouveau, nous découvrons des arbrisseaux énormes, plus haut que nous, mais surtout plus large à cause de leurs dizaines de longues branches...

Les paquets contiennent tous dix arbres, d'un diamètre correspondant la plupart du temps aux étiquettes roses ou noir, les plus gros, et les techniques pour les trier et les attacher changent ou deviennent beaucoup plus difficiles à mettre en œuvre. Je me retrouve ainsi devant mon premier paquet de dix arbres noirs couchés par terre, aussi large que mes deux bras écartés et m'arrivant à la taille, en me disant “c'est pas possible”, avant que notre chef ne me montre comment dompter une telle monstruosité. Dompter, c'est bien le mot : il s'agit d'attacher la base des troncs, puis de caler la naissance des branches bien serrée entre ses jambes, passer la ficelle autour avant de se laisser tomber à genou dans la terre à cheval sur le paquet pour replier le tout et pouvoir nouer la ficelle. Vu l'envergure de la plupart des tas, il faut ensuite ajouter une troisième voir une quatrième ficelle, toujours en maintenant les branches entre ses pattes, pour aboutir à un saucisson d'arbres fuselé. La chose est ultra violente et très douloureuse pour l'intérieur des jambes, qui se couvrent rapidement de bleus. Parfois, la deuxième ficelle claque avant qu'on ait pu mettre la troisième, et il faut recommencer.

Les paquets étiquetés en jaune, orange ou rouge, plus petits et comportant moins branches, deviennent de rares cadeaux déroutant de simplicité.

Avec Laurent, nous voilà devenus chevaucheurs d'arbres, dompteurs de pommiers. Lorsque côte à côte tel deux cow-boys, nous nous retrouvons devant un énorme tas d'arbres étiqueté en noir, nous nous regardons, avant que l'un d'entre nous ne lâche un “je m'en occupe” bien badass en testant la résistance de sa ficelle tout en avançant d'un pas décidé pour aller dresser la bestiole. La classe.

Si notre tâche est physique et violente, celle des calibreurs est indéniablement la plus difficile techniquement. Ceux qui sont chargés de trier et de transporter les arbres noirs ou roses se retrouvent à trimbaler des paquets énormes, en essayant de ne pas trébucher sur ceux qui sont encore au sol tout en les mesurant sans laisser échapper ceux qu'ils ont déjà ramassé. Sans parler des mottes de terre qui restent accrochés aux racines après le passage du lifter et qu'ils doivent enlever autant que possible pour nous faciliter la tâche.

Le travail se fait plus violent, mais n'est toujours pas horrible : c'est physique mais stimulant, presque prenant, avec Laurent nous nous tirons la bourre pour essayer de coller au train des calibreurs tout en dissertant physique quantique et cosmologie. On s'amuserait presque!

Je dis ça, mais j'avoue qu'il y a quand même des matins glacials où, grelottants, pataugeant dans la boue à moitié gelée en direction des rangées d'arbres alors que le soleil n'est pas encore levé, nous rêvons d'un travail tranquille dans un bureau chauffé...

Et oui, tout n'est pas rose non plus! Vous avez déjà essayé de faire des nœuds avec des ficelles couvertes de givre par température négative? Les deux premières heures de travail sont une véritable torture pour les phalanges.

Il y a aussi les effets à long terme : à force de faire des milliers de nœuds par jour, certains de mes doigts perdent leur sensibilité, tandis que d'autre se couvrent de profondes et douloureuses crevasses. La peau des mains de Léonore sèche et se craquelle à force d'être en contact avec la terre et des arbres couverts de produits insecticides ou fongicides en tout genre.

Malgré tout ça, nous travaillons comme des chefs. Nos collègues néo-zélandais annoncent à Léonore que la boite irait beaucoup mieux si tous ses employés étaient aussi compétents qu'elle, et quant à moi, au milieu de la deuxième semaine, notre chef d'équipe m'attribue un nouveau surnom : la machine.

Encore une fois, nous n'avons que peu de mérite : dans ce genre de taf, il suffit de faire ce qu'on nous demande à peu près correctement pour être bien vu. Et puis à côté de certains de nos collègues, il est facile de passer pour des employés modèles... Il y a le jeune rebelle qui fume sa clope sous notre nez tandis que nous sommes en train de réaliser le contract, donc d'augmenter son salaire. Il y a celle qui disparaît inexplicablement pendant des dizaines de minutes. Il y a tous ceux qui considèrent que la journée est terminée à la pause de midi. Le vendredi, il est inutile de tenter le contract : tout le monde est déjà en week end. Il est facile de comprendre ce genre d'attitude quand elle vient de ceux qui travaillent ici depuis des années, et nous compatissons totalement avec eux : nous ne sommes là que pour quelques semaines, ce qui facilite grandement l'abnégation, mais nous comprenons qu'après 5 ou 10 ans à travailler ici on arrive à saturation. Nous avons un peu plus de mal en ce qui concerne certains des jeunes néo-zélandais avec lesquels nous travaillons, saisonniers comme nous. Les anciens nous disent souvent qu'ils sont ravis de notre présences à tous les trois, car en général les voyageurs qui ont besoin d'argent sont les plus motivés et les plus efficaces, tandis que les travailleurs locaux sont plutôt des partisans du moindre effort. Nous avions constaté la même chose en Australie.

De notre côté, nous cravachons comme des bêtes, et l'équipe réalise le contrat presque tous les jours. Nous tapons du 20, 23, parfois 25 dollars de l'heure. Il s'avère que Laurent a aussi demandé à prolonger son contrat, et nous faisons tous les trois ce qu'il faut pour nous faire bien voir. Nos efforts vont être récompensés au-delà de nos espérances : le jeudi de la deuxième semaine, durant la pause repas, la chef du personnel débarque en personne pour venir nous voir et nous annoncer différentes nouvelles.

Premièrement, nos contrat à tous les trois sont rallongés jusqu'à la date que nous avions demandé. Nous avons du taf jusqu'au 12 septembre. Deuxièmement, nous sommes sélectionnés pour faire partie de l'équipe de planting.

Le planting, tout le monde en parle sans cesse. Il s'agit de planter les nouvelles pousses d'arbres après le lifting, et apparemment, le taf est facile, pas fatiguant pour un sous, et il est aisé d'y réaliser le contract. C'est un peu le graal, le meilleur de tous les boulots qu'il est possible de faire à la Ouaïme, et en conséquence, forcement, c'est la ruée : les quelques 80 employés qui composent les équipes travaillant dans les champs ont posé leur candidature pour le job. Seules 8 places sont disponibles, la sélection est rude, et ne sont choisis que les meilleurs.

De notre côté, nous n'avons rien demandé, mais nous faisons d'office partie des 8!

Tous nos collègues nous félicitent, mais sur le coup, nous ne nous rendons pas trop compte des implications. Nous terminons notre journée de travail, rentrons, nous posons avec notre thé sur notre terrasse... et réalisons.

C'est fait. Nous avons du travail pour plus de deux mois. Nous voulions quitter la Nouvelle Zélande avec 7000 euros, mais à présent même nos calculs les plus pessimistes, basés sur 40 heures de travail hebdomadaire au salaire minimum et des estimations de dépense larges nous donnent gagnant pour partir avec près de 10 000 euros, sachant qu'il nous reste aussi à vendre la voiture et à toucher notre retour de taxes sur la dernière année fiscale. Quoiqu'il arrive à présent, nous quitterons le pays avec plus d'argent qu'à notre arrivée! Nous avons d'ors et déjà réussi : aujourd'hui, c'est officiel, notre voyage en Nouvelle Zélande est un triomphe, et la fin de notre voyage, en Amérique du sud, est assurée financièrement. Les dernières choses qui pourraient mal tourner sont insignifiantes : la vente de la voiture, le remboursement de nos taxes... Tout cela est à présent sans importance. Ce ne serons que de petits bonus qui parachèverons notre œuvre. Aujourd'hui, nous sommes les maîtres du monde! Mouhahahaha!!!

Et puis nous tempérons brusquement nos ardeurs... Le fil de nos pensées donne à peu près ça :
“Youpi! On va pouvoir travailler pendant encore deux mois!...Euh, attends... Oh mince, on va devoir travailler pendant encore deux mois...”

Ben oui, nous avons signé, maintenant il va falloir les accomplir toutes ces heures de boulot!

Nous avons tout le temps de péter une durite. Pour le moment, nous sommes juste heureux, et une fois de plus abasourdis par la facilité avec laquelle les choses se règlent encore et toujours depuis que nous sommes arrivés en Nouvelle Zélande. Nous nous rappelons que nous avons dégoté ce job après avoir envoyer une seule candidature, alors que nous n'avions même pas commencer “officiellement” nos recherches!

Bref, encore une fois, une affaire rondement menée!

Le vendredi soir, à la fin de notre deuxième semaine, nous fêtons le départ de notre chef d'équipe, qui s'en va faire pousser du houblon quelque part sur l'île sud après 5 ans de loyaux services à la Ouaïmé. Pour l'occasion, la boite paye sa tournée dans un pub près de Nelson!

La semaine suivante est un véritable hommage à la glandouille, et payée qui plus est!

Nous faisons tout d'abord la connaissance de notre nouveau chef d'équipe, un gars bien sympa qui vient tout juste d'être promu à ce poste. Et pour une première journée en tant que superviseur, le pauvre va ramasser sévère...

Le champs où nous nous trouvons est en effet rempli de caillasses, et il s'avère que le lifter, machine complexe visiblement fabriquée en Belgique (en Belgique? Avec l'Allemagne juste à côté ils ont trouvé le moyen de commander de la mécanique en Belgique?) est très fragile. Le lundi matin, cela ne fait qu'une dizaine de minutes que nous travaillons lorsque l'engin tombe en rade. Le conducteur et notre nouveau chef d'équipe s'escrime pendant un moment, le bouzin redémarre... pour lâcher 10 mètres plus loin! Nous passerons la journée à attendre, puis à avancer de 15 mètres en faisant quelques paquets d'arbres, avant d'attendre à nouveau... Et nous sommes payés pour ça! Nous finissons la journée à arracher des feuilles ou des cannes histoire de justifier notre salaire.

Mardi, les choses virent au gag : le lifter a passé la soirée en réparation, mais après seulement quelques mètres, les deux courroies en caoutchouc qui entraînent les arbres sautent de leur support... La journée est à peu près identique à la précédente, sauf que cette fois il n'y a même plus de feuille à arracher ou de cannes à retirer pour faire semblant de travailler. Nous sommes littéralement payés à ne rien faire, et nous passons le temps à discuter ou à faire des concours de jonglage avec des cailloux... Une blague!

Le mardi soir, Paco, l'espagnol avec lequel nous avions travaillé durant le picking, passe nous voir au verger avec l'un de ses amis, et nous passons une bonne soirée ensemble. Toujours le sourire aux lèvres, d'une bonne humeur contagieuse, Paco fait définitivement partie des plus formidables personnes que nous ayons rencontrées durant notre voyage, et nous nous promettons de nous recroiser avant notre départ de Nouvelle Zélande.

Le mercredi est semblable au mardi. Nous commençons à nous sentir un brin frustrés : déjà, nos journées sont d'un ennui mortel, même si nous nous marrons bien avec Laurent. Ensuite, nous ne faisons pas beaucoup d'argent. Parce que c'est rigolo cinq minutes d'être payé à glandouiller assit dans la terre pendant 8 heures, mais nous préférerions travailler, réaliser le contract et rentrer des sous. Et puis en même temps, nous nous demandons ce qui peut bien se tramer dans la tête de la direction pour payer une équipe d'une dizaine de personne à ne rien faire pendant trois jours alors qu'on pourrait nous envoyer sur un autre travail ou nous faire lifter dans un autre champs.

Finalement, jeudi, c'est le déclic : on nous envoie dans un champs moins miné de pierre, nous travaillons comme des brutes, ravis que nous sommes de ce regain d'activité, et nous bouclons largement le contract, touchant un sympathique petit 25$ de l'heure !

Le vendredi est comme tous les vendredis ici : tout le monde est déjà en week end.

Pour notre quatrième semaine de taf, nous restons dans le domaine du comique : tracteur qui pète a la pause déjeuner, petit café en plein après-midi pendant que le chef d'équipe tente de réparer la panne à grands coups de maillet, fin de journée à effeuiller des arbres qui n'ont déjà plus de feuilles etc... Notre moment préféré restera celui où, sur l'ordre de notre chef d'équipe, nous devons faire un aller-retour à l'autre bout du champs pour passer le dernier quart d'heure en paraissant occupés au cas où un membre de la direction passerait par là. Du grand art.

Voilà une bonne semaine que l'entreprise nous paye à ne rien faire. C'est ridicule. Finalement, le jeudi de notre quatrième semaine, nous voyons le bout du lifting : le lifter tient bon, on nous met en binôme avec une autre équipe de travailleurs originaires des îles Tongas, de véritables armoires à glace aux bras aussi larges que nos cuisses, et nous finissons de trier et d'attacher les derniers arbres dans la joie et la bonne humeur, nos nouveaux collègues étant très sympas.

Paf ! Le lifting est officiellement terminé. Pour info, nous apprendrons par la suite que les trois équipes de lifting ont récolté en tout plus de 620 000 pommiers ! De notre côté, le boulot restera un des meilleurs que nous ayons fais (je parle bien sur uniquement des tafs salariés que nous avons réalisés durant notre voyage) : plutôt varié, physique et motivant, sans être trop fracassant excepté pour les mains (il faut voir l'état de nos patounes quand nous terminons...), et plutôt lucratif. La moitié du temps en tout cas, parce que les deux dernières semaines ont définitivement été un festival d'absurdité et de ridicule. Mais encore une fois, nous avons bien rigolé !

Et visiblement, le planting est encore mieux, donc nous sommes plus qu'optimistes pour la suite !

Nous apprenons que le planting en question ne va pas attaquer avant une ou deux semaines, et que nous allons donc effectuer des tâches de maintenance générale en attendant, principalement du spraying et du tapening, c'est-à-dire pulvériser de l'herbicide (oui, je sais, mais il faut bien gagner sa croûte!) dans les rangées d'arbres et attacher les jeunes pousses à leur tuteur en bambou.

Mais avant ça, le vendredi est consacré au caning. La boite a décidé de rassembler quasiment tous les travailleurs des équipes des champs pour leur faire planter des cannes, et nous nous retrouvons avec nos paquets de bambou. Sauf que cette fois, nous connaissons notre affaire ! Par curiosité, je décide de tenter le contract. Je rappelle que le contract en caning est réalisé à partir de 3000 cannes plantées dans la journée. Je me fais donner quelques conseils par l'un des anciens de l'équipe, et c'est parti... Je passe une journée de malade, de laquelle je sors le dos en purée, les doigt couverts d'ampoules, la peau de boue, et les cheveux ébouriffés. Je suis à bout, mais... J'ai tiré le contract, avec environ 3200 cannes de plantées, ce qui me fait passer pour la journée à 17$ brut de l'heure au lieux de 15$ ! Et je me dis que vu la douleur, 16$ de plus ne valent définitivement pas le coup...

Après un nouveau petit week end de farniente et de folies culinaires, nous découvrons le spraying.

Alors souvent nous sommes condamnés à faire des choses qui vont un peu à l'encontre de nos convictions : oui, en voyage, nous sommes obligés d'acheter des choses en grande surface, souvent empaquetées dans tout un tas d'emballages en plastique inutiles. Oui, nous cherchons toujours le moins cher, et en général le moins cher n'est pas local, en particulier en ce qui concerne la nourriture, mais plutôt quelque chose d'importé qui a dû faire à peu près autant de kilomètres que nous durant notre petit tour pour être produit, manufacturé, emballé et livré. Nous prenons des avions, même si nous réduisons leur nombre autant que possible. Mon appareil photo tourne aux piles par souci pratique (il est difficile de recharger une batterie quand on part se paumer trois jours en pleine montagne), notre réchaud bouffe des cartouches de gaz non rechargeables... Et j'en oublie. Nous savons que quand nous rentrerons, nous ferons ce qu'il faut pour réduire notre impact environnemental au minimum, mais le mode de vie nécessaire n'est pas vraiment compatible avec le voyage au long court. Pour le moment, nous sommes en voyage, et il faut faire avec.

En revanche, avec le spraying, nous touchons du doigt les limites de ce que nous sommes près à faire, et pour la première fois nous nous sentons vraiment mal à l'aise. Oui, nous travaillons pour continuer à voyager, oui, nous devons parfois user de moyens qui vont à l'encontre de nos valeurs, mais là les choses vont un peu trop loin...

Comme je le disais plus haut, le spraying consiste à pulvériser du désherbant sur les champs. Pour se faire, un tracteur tire un gros réservoir auquel est fixée une potence de laquelle pendent 8 tuyaux terminés par des pulvérisateurs. Chacun attrape un tuyaux et suit sa rangée en arrosant les mauvaises herbes tout en prenant bien soin de ne pas asperger le dessus des pousses d'arbre.

Je ne vais pas me lancer dans l'explication détaillée de nos convictions en matière d'écologie et de développement durable, mais pour faire court disons que nous considérons que la biodiversité est la clef d'une production alimentaire durable et efficace, et que la production en monoculture, c'est le mal absolu. Donc déjà, le simple fait de désherber à coup de produits chimiques nous pose quelques problèmes. Et puis nous demandons à notre chef d'équipe ce que la boite utilise comme produit, il nous donne la marque, Laurent va jeter un œil sur internet depuis son portable, et paf : producteur? Bayer, la boite qui a racheté Monsanto.

Nous allons pulvériser un herbicide à base de glyphosate produit par le diable en personne sur le sol néo-zélandais. Honte sur nous.

Alors oui, nous le faisons. Nous tentons de pulvériser le minimum, mais impossible d'y couper ou de faire semblant : il y a un colorant rouge dans le produit qui permet à notre chef d'équipe de voir les endroits où nous avons “oublié” de passer.

Côté sécurité, c'est limite : apparemment, le produit n'est que peu toxique, nous disposons de gants en vinyle et nous devons revêtir nos pantalons de pluie, mais la potence et les tuyaux ne sont pas de première jeunesse, et il arrive régulièrement qu'une jonction lâche ou qu'un pulvérisateur se dévisse, laissant s'échapper du désherbant partout. Quand a l'efficacité de nos “protections”, notre chef d'équipe nous avoue lui-même que personne ne sait si nos bottes en caoutchouc sont véritablement à l'épreuve des produits chimiques...

Bref, nous avons les glandes, et le mot “démission” apparaît plusieurs fois dans nos conversations. Nous essayons bien de nous dire que si ce n'est pas nous qui faisons ça, quelqu'un d'autre le fera à notre place, mais en vain, tant nous trouvons en temps normal ce genre de raisonnement ridicule : si tout le monde se dit la même chose, rien ne change, mais si tout le monde refuse de participer... Il n'y aura plus personne pour le faire!

Mais nous persistons. Le taf ne présente aucune difficulté, il suffit de balader tranquillement son pulvérisateur en marchant doucement. Quand on arrive au bout d'une rangée, le tracteur fait demi-tour, replace les 8 tuyaux au-dessus de 8 nouvelles rangées, et c'est reparti. Rien de très excitant donc, mais nous pouvons jacasser, et la matinée passe plutôt bien.

Après la pause déjeuner, notre chef nous annonce qu'il y a trop de vent pour pulvériser, et que nous allons passer l'après-midi à faire du tapening.

Nous ne le savons pas encore, mais nous venons de débuter les deux semaines les plus sombres de notre voyage en Nouvelle Zélande, et sans doute de notre voyage tout entier...

Le tapening consiste à attacher les jeunes pousses à leur tuteur en bambou. On se munit pour cela d'une espèce d’agrafeuse infernale en forme de grosse pince, le tapener, que l'on charge d'agrafes et d'un rouleau de ruban en plastique. La fixation des pousses se déroulent en deux temps : une première pression sur l'agrafeuse va permettre à un petit clip situé sur la mâchoire supérieure d'attraper et de dérouler le ruban en plastique qui dépasse de la mâchoire inférieur. On redresse ensuite la pousse et on la maintient bien droite contre la canne, avant de passer les mâchoires du tapener autour, ce qui va entourer le tout d'une portion de ruban. On presse ensuite une deuxième fois, ce qui va trancher la portion de ruban et simultanément agrafer ses deux extrémités pour former une bague maintenant la pousse contre la canne.



Régulièrement, il faut recharger le tapener en agrafes et en ruban, dont on se remplit les poches avant d'attaquer.

Le tapening permet d'être payé au contract individuel, et la cible à atteindre pour réaliser le contract et commencer à dépasser le salaire minimum est de 3000 pousses attachées dans la journée. Le score est calculé de la même façon qu'en caning : chaque rangée comporte un nombre de pousses précis et connu. A chaque fois qu'on commence une nouvelle rangée, on place une étiquette avec son nom au début, et à la fin de la journée le chef d'équipe additionne toutes les rangées effectuées.

Dans la pratique, comme d'habitude quand on débute, on rame : les agrafeuses se bloquent, le ruban se déroule mal, on ne presse pas assez fort pour plier correctement l'agrafe, on ne tient pas son tapener assez droit, ce qui fait que les pattes de l'agrafe ne traversent pas les deux extrémités du ruban.

Les pousses ne font que 10 ou 20 centimètres de haut, et il faut rester plier en deux de manière permanente. De plus, elles sont la plupart du temps complètement couchées sur le sol, et nous nous fracassons les doigts pour les redresser et les maintenir contre la canne. A cause de la tension exercée par la pousse dans ce genre de cas, il arrive que la bague lâche, et il faut souvent en placer deux, voir trois.

Histoire de compliquer les choses, il y a deux ou trois consignes spéciales à respecter : la pousse doit être à moins de 2 centimètres de la canne, si elle est couchée au nord de cette dernière, il faut la passer du côte sud avant de l'attacher, il ne faut pas que la bague couvre le bourgeon principal, si le bourgeons à déjà donné une branche il faut aussi la baguer etc...

Nous ne tapons que deux ou trois heures, tant bien que mal, laborieusement, et pourtant quand nous finissons la journée, notre dos est en compote, nous avons les nerfs à vifs et les doigts douloureux. Nous rentrons chez nous en ressentant un grand trouble dans la force...

Le lendemain et le surlendemain, il y a toujours trop de vent, et nous passons nos journées à taper. Et nous découvrons l'horreur de cette tache abjecte dans toute son ampleur.

Le tapening rassemble tout ce qui fait qu'un travail est atroce  : c'est douloureux pour le dos, pour les mains, et pas de la bonne manière. En picking, à cause du sac ventral, nous rentrions le dos courbaturé, mais nous sentions bien que nos muscles dorsaux avaient seulement beaucoup travaillé, sans faire de mouvements néfastes. En tapening, c'est différent : le fait de rester penché au ras du sol pendant des heures occasionne une douleur lancinante et mauvaise, une douleur qui ne se soigne pas avec une simple nuit de repos. On sent que les muscles ne travaillent pas de la bonne façon.

Mais la douleur physique n'est rien en comparaison de l'effet d'un truc pareil sur les nerfs. Le tapener est un engin sorti tout droit des enfers, une saleté qui prend un malin plaisir à vous faire péter un câble. En fait, c'est le taf dans son ensemble qui est une torture. Notre chef d'équipe nous a dit que les tapeners étaient des appareils fragiles qui se cassaient souvent. Nos collègues kiwis nous expliquent qu'en effet, ils se cassent souvent, mais que le problème n'est pas dû à leur fragilité, plutôt au fait qu'ils finissent fracassés par terre plusieurs fois par jour sous le coup de l'énervement...

Imaginez plutôt : vous vous penchez sur une pousse complètement couchée au sol, vous tirez comme bargeot pour la redresser contre la canne. Pendant que vous la maintenez d'une main, l'arrête aiguë du sommet de la pousse, qui rappelons-le a été coupée pendant le heading quelques semaines plus tôt, vous rentre douloureusement dans les doigts. Vous passez les mâchoires de votre tapener autour du tout, mais vous poussez trop loin, et la longueur de ruban déroulée est trop importante. Vous retirez le tapener, le temps de couper la portion et d'en enclencher une autre. Pendant ce temps bien sûr, la pousse en a profité pour retourner se coucher, vous arrachant une petit lambeau de peau au passage. Vous la redressez à nouveau, passez le tapener autour, pressez, et ça y est, la bague est placée... Jusqu'à ce que vous relâchiez la pousse et qu'elle casse. Troisième tentative, vous placez une première bague, puis une deuxième en-dessous. Manque de bol, vous ne teniez pas votre tapener bien perpendiculaire à la pousse, et l'une des pattes de l'agrafe n'est pas passée dans les deux extrémités du ruban, ce que vous constatez quand vous relâchez la pousse et que la deuxième bague saute instantanément, suivie presque immédiatement par la première. A la troisième tentative, vous ne sentez déjà plus vos doigts, mais vous réussissez à placer vos deux bagues correctement. Ca y est, ça tient! Vous passez à la pousse suivante... Mais à peine vous êtes vous relevé que vous entendez deux « chtonk » secs. Visiblement, deux bagues n'étaient pas suffisantes... Vous revenez, placez correctement une bague, puis deux, puis tro... A non, votre tapener n'a plus d'agrafes! Vous laissez le temps au deux bagues de claquer une nouvelle fois et à la pousse de retourner se coucher sournoisement par terre le temps de remettre des agrafes, et c'est reparti : une bague, deux bagues... Malheureusement, lorsque vous pressez votre tapener pour attraper une nouvelle portion de ruban, rien ne se déroule, et les deux mâchoires de votre tapener ne s'écartent plus. Il n'y a plus de ruban! Lorsqu'à nouveau, tandis que vous en remettez un rouleau dans votre machine, celui-ci tombe en se déroulant par terre tandis que les deux bagues déjà placées pètent, vos neurones font pareil, et vous devenez dingue.

Je vous jure que cet enchaînement de crasses se déroule très, très souvent. Pas forcément dans le même ordre, et pas tout le temps en totalité, même si cela arrive assez fréquemment.

Ainsi, régulièrement, au cours de la journée, quelqu'un pète une durite, et un tapener effectue son baptême de l'air ou explose au sol. Des bordées d'injures ignobles fusent à travers le champs, et un collègue abandonne sa rangée dans un hurlement de rage pour aller s'asseoir en tailleur à l'écart, la tête dans les mains, le temps de se calmer. Côté injures, nous coiffons nos collègues anglophones au poteau sans problème, le français étant infiniment mieux fourni en nom d'oiseaux que la langue de Shakespeare, et lorsque Léonore, Laurent ou moi-même craque, le torrent verbale qui suit nous vaut des regards admiratifs de la part de nos compagnons de misère kiwis.

Et s'il n'y avait que ça ! Non, je vous jure, ce n'est pas terminé... Car il s'avère que la majorité des personnes qui ont planté les cannes le vendredi précédent étaient des novices en la matière, et les tuteurs sont placés la plupart du temps n'importe comment. C'est bien sûr à nous de les replacer, voir de les mettre tant il y en a qui ont été oubliées.

Dans ces conditions, il est bien sur impossible d'atteindre la cible et d'effectuer le contract, et nous tournons à quelques 1500 ou 2000 pousses attachées sur les 3000 nécessaires.

Nous passons deux jours ignobles. En fin de journée, nous avons tellement mal au dos que nous terminons dans les positions les plus saugrenues : je me traîne sur les fesses assis par terre, tandis que Léonore avance à quatre pattes...

Je vous assure que rien qu'à écrire ces lignes, je ressens des frissons d'épouvantes, et d'horribles souvenirs me remontent en mémoire tandis qu'une intense dépression m'envahit...

Heureusement, à la fin de notre deuxième jour, notre chef d'équipe nous annonce que Laurent, Léonore, une collègue néo-zélandaise et moi-même avons été choisi pour servir de cobayes et tester une nouvelle machine sur le site principal de la compagnie le lendemain. Nous ne savons pas de quoi il s'agit, mais ce sera forcément moins pire que cette saleté de tapening, et nous sommes ravis !

Au matin, nous débarquons au siège, et on nous fait le topo sur la machine en question. Il s'agit d'un engin servant à conditionner les arbres de manière individuelle pour la vente au détail. Un énorme entonnoir rempli de terreau donne sur une espèce de cylindre. On couche l’arbre sur un plan de travail, et on place les racines dans le cylindre. On actionne un bouton, ce qui va déverser du terreau dans le cylindre autour des racines, avant qu'un piston ne pousse le tout dans un sac plastique placé à la sortie. Habituellement, toute cette procédure se réalise à la main : le bas de l'arbre est placé dans le sac, que l'on rempli de terreau à la pelle.

Léonore place les arbres, notre collègue néo-zélandaise s'occupe du terreau et du piston, et Laurent tient le sac a la sortie du dispositif. De mon cote, je doit redresser l'arbre si nécessaire avant de tasser le tout en cognant le sac par terre et à l'aide d'une barre en fonte, avant de placer l'arbre sur un chariot.

La machine a coûté quelques 80 patates à la compagnie. Fabriquée aux Etats Unies, elle permet apparemment de multiplier le nombre d'arbres empaquetés par jour. Nous allons devoir trouver une méthode de fonctionnement d'équipe optimale, et nous serons filmés et observés au cours de la journée. A la fin, nous devrons donner nos impressions et nos idées à propos de la machine.

Le gars qui nous explique tout ça s'avère être le big boss du personnel et le responsable technique de la compagnie... Les yeux du monde sont rivés sur nous, il s'agit de ne pas faire d'âneries !

La journée est un chantier sans nom, mais nous rigolons bien. La machine n'est pas du tout au point, et Laurent se retrouve parfois catapulté en arrière quand le piston balance l'arbre et le terreau dans le sac. Quelque fois, l'entonnoir se bloque, et le terreau se déverse en continue. Quant à moi, le piston est tellement inefficace que je me retrouve la plupart du temps à devoir remplir la moitié du sac à la main tout en tassant, ce qu'est censé faire justement la machine. A la fin, à quatre, nous avons empaqueté cinq fois moins d'arbres que l'équipe qui effectue le travail à la main... Mais nous avons passé une bonne journée !

Le lendemain, côté travail, c'est le néant : nous passons notre temps à rassembler les branches coupées pendant le heading pour dégager les rangées de pousses. Ennuyeux au possible, mais pas tellement éreintant. C'est le repas mensuel de la Ouaïmé qui constitue l'événement de la journée : grâce au repas en lui-même bien sûr, mais surtout parce que ce rassemblement est l'occasion pour la direction de transmettre les dernières nouvelles à tout le monde, et que nous en saurons peut-être plus sur le début du planting.

Les nouvelles sont bonnes : le planting va attaquer dans une semaine et demi. Au pire du pire, s'il y a du vent tous les jours et que nous ne pouvons pas faire de spraying, nous n'allons taper que 6 ou 7 jours !

Il nous fallait bien ça pour ne pas craquer. En effet, la semaine suivante, nous tapons quasiment tout le temps, et nous ne pulvérisons qu'une heure par ci, une heure par là. Je sais que c'est dégueulasse, mais nous préférons pulvériser que taper. Dans l'absolu, nous préférerions n'importe quoi pourvu que ça nous libère du tapening...

Nous y sommes... Le travail devient un calvaire sans nom. Les premiers mots qui sortent de notre bouche le matin au réveil sont des injures, nous prenons notre petits dèj en silence, l'air morose, nous sommes déprimés quand nous arrivons devant le champs, les journées sont interminables, douloureuses, inutiles et fatigantes. Quand nous finissons le soir, nous sommes tellement à bout que même la perspective agréable de rentrer chez nous ne nous remonte pas le moral, et la seule pensée que nous avons dans la tête est qu'il va falloir revenir le lendemain.

Nous avons terminé avec soulagement d'attacher les arbres des rangées qui ont été cannées le lendemain de la fin du lifting, et à présent une autre équipe est chargée du caning tandis que nous la suivons en tapant. Malheureusement, rien ne s'améliore : hormis en ce qui concerne un ou deux des membres de l'équipe de caning, ils font tous n'importe quoi, et nous nous retrouvons parfois à devoir recanner des dizaines d'arbres avant de les attacher.

Il est inutile d'espérer atteindre la cible du contract et d'augmenter notre salaire, le taf est ignoble, et dans tous les cas nous savons que nous serons payés quoi qu'il arrive au minimum horaire. Résultat, nous n'avons pas le cœur à cravacher, et sommes d'une lenteur affligeante, mais nous n'en avons strictement rien à cirer.

Etant donné que personne ne réalise jamais le contract, la direction commence à s'inquiéter, et nous recevons un beau jour la visite de la directrice du personnel qui vient voir pourquoi nous n'avançons pas. Nous ne sommes vraiment pas en état d'encaisser la moindre petite remarque sans péter un plomb et tout envoyer balader définitivement, mais nous ne nous prenons aucun reproche : elle constate par elle-même que nous ne pouvons pas aller plus vite, le caning est trop mauvais.

Les journées passent dans la douleur, la colère et la lassitude. Nos doigts sont couverts d'ampoules, à force d'actionner cette saleté de tapener plusieurs milliers de fois par jour, nous n'arrivons même plus à serrer correctement nos mains pour ouvrir ne serait-ce qu'un bouchon en plastique, notre dos est une plaque de marbre, nos genoux craquent. La nuit, des douleurs dans tous le corps nous réveillent toutes les heures. Nous en arrivons à nous dire que si le planting avait attaqué ne serait-ce que quelques jours plus tard, nous aurions d'ors et déjà démissionner. Même la motivation de l'argent n'est plus suffisante.

En effet, à la fin de la semaine, nous avons mis suffisamment de côté pour couvrir tous nos derniers frais en Nouvelle Zélande. Il nous reste environ un mois de travail, et la dernière chose qui nous retient encore dans cette satanée boite est notre volonté de respecter nos engagements. Nous avons signé...

Le week end sonne comme une délivrance. Nous voilà pareils à ces milliards d'êtres humains qui ne vivent que deux jours par semaine et qui subissent un job qu'ils ne veulent pas faire le reste du temps pour pouvoir profiter de ces deux jours. Nous aussi, à présent, nous comptons les heures et les jours et attendons la fin de la semaine, et quand elle arrive nous l'accueillons comme le plus beau des cadeaux.

Je sais que c'est normal pour la plupart des gens, mais ça ne devrait pas. Et ça ne l'est pas pour nous.  La vie que nous avons mené ces quatre dernières années nous a bien montré qu'il est toujours possible de choisir, qu'il est possible de tout envoyer balader si l'on est pas heureux là ou est, qu'il n'y a pas une seule vie possible et que rien n'est obligatoire. Qu'il est pratiquement toujours possible, en étant près à faire quelques compromis, de faire ce que l'on veut, quand on le veut.

Et même sans parler du voyage... Je rappelle à ceux qui ne nous connaissent pas qu'en France, nous exerçons tous deux un métier que nous aimons, un métiers qui est avant tout une passions, avant d'être un métier. Pour ma part, je n'ai jamais effectué de travail purement alimentaire : animateur pendant les vacances durant mes études, le domaine social et le travail au contact des enfants et des jeunes m'a tellement emballé que j'en ai finalement fait mon métier.

Et voilà qu'à présent, nous sommes comme tous ces zombies qui attendent le week end pour s'enfuir.

Pourquoi nous restons? Je disais que même l'argent ne nous motivait plus, mais c'est un peu faux : si nous finissons notre contrat ici, selon nos calculs, nous aurons suffisamment d'économies pour profiter d'un an de vacances ininterrompues. Il y a une finalité, un objectif concret : pouvoir continuer à voyager plus longtemps. Nous ne faisons pas ce travail pour vivre. Jamais nous ne ferons quelque chose comme ça pour vivre. Il y a une fin, nous ne sommes embourbés dans ce bazar que pour quelques semaines, et ces quelques semaines vont nous permettre de voyager plusieurs mois supplémentaires.

Envisagé sous cet angle, forcément... Mais sur le coup, nous avons bien du mal à réfléchir comme ça, et c'est surtout le gavage extrême et immédiat qui domine. Quand nous en discutons à tête reposée, une chose est sûre : plus jamais nous ne ferons de taf de ce genre. Plus jamais nous ne ferons un travail qui ne nous plaît pas. Quoi qu'il en coûte.

Le tapening est définitivement le boulot le plus misérable que nous ayons jamais fait, mais nous découvrons bientôt qu'il y a pire : le tapening sous la pluie.

Le lundi et le mardi suivants, le temps se dégrade, et nous nous retrouvons à taper sous les averses, dans la boue, les pieds enfoncés parfois jusqu'aux chevilles dans la flotte au milieu d'un champs qui se transforme progressivement en lac. Mardi soir, ce chanceux de Laurent termine son contrat...

Et nous passons encore quelques crans dans le chantier absolu. Le mercredi, il pleut tellement fort que même nos tenus imperméables ne nous protègent plus, et nous sommes trempés jusqu'aux os dès le début de la journée. Glacés, frissonnants, nous nous disons que ce n'est pas possible, nous n'allons pas continuer dans ces conditions. Nos collègues kiwis ont l'air d'être résignés, apparemment nous n'avons pas le choix. Ils nous expliquent que la Ouaïmé a une nette tendance à se contreficher de ses employés, chose que nous n'avons pas vraiment constatée, au contraire. D'un autre côté, ils se plaignent mais ne protestent pas ! Ce sont peut-être nos âmes râleuses de français révoltés qui parlent, mais nous les trouvons étonnamment passifs et soumis...

Au contraire, en bonne française, Léonore va voir notre chef d'équipe en fin de matinée, pour lui expliquer fermement qu'il est absurde de continuer comme ça, et qu'il est ridicule de faire bosser des gens pendant une journée entière sous la pluie battante, avant de balancer un magnifique « je suis sûr que le patron ne laisse pas son chien dehors par un temps pareil ! ». Je viens en renfort, et explique que nous avons fait un paquet de jobs pourris, mais que jamais nous n'avons travaillé dans ces conditions, quelque soit le pays, que si nous sommes près à faire beaucoup nous avons atteint nos limites, et qu'il est inadmissible de nous obliger à rester. Notre chef se répand en excuses, il nous explique qu'il comprend mais qu'il ne peut rien y faire, c'est la direction qui décide...

Nous insistons, parce que faut pas déconner non plus, c'est lui qui est censé régler ce genre de choses. Il faut savoir que si notre nouveau chef d'équipe est sympa, trop sympa même, comme je le disais plus haut il débute avec nous sa première expérience en tant que superviseur, et point de vue autorité, prise de décision et initiative, il est un peu à la ramasse... Finalement, il passe quelques coups de fil.

A la pause de midi, il pleut toujours autant, nous sommes frigorifiés, à bout, et nos doigts sont violets. Voilà 5 heures que nous trimons sous une pluie battante, et nous n'en pouvons tout simplement plus. Nous demandons au chef ce qui se passerait si nous décidions de rentrer de nous-même. Il ne répond d'abord pas, puis il nous explique d'une voix désespérée et un brin paniquée que la direction ne tolérerait pas un abandon de poste sans raison valable, et que nous serions renvoyés.

Tandis que nous grignotons nos sandwichs, prostrés et tremblants sous la porte du coffre du mini-van de la boite, nous prenons notre décision : nous allons nous barrer, peu importe les conséquences. Au point où nous en sommes, que nous soyons virés ou pas nous est égale.

A peine commençons-nous à annoncer la chose à nos collègues que le téléphone du chef sonne : la direction nous donne à tous l'autorisation de rentrer ! Victoire !

Nous avons notre après-midi de libre! Malheureusement, cette bonne nouvelle est accompagnée d'une mauvaise... Tandis que nous nous apprêtons à partir, notre chef nous annonce d'un air d'excuse qu'à cause des grosses pluies de ces trois derniers jours, le planting a été repoussé. En effet, la machine qui sert à planter les pousses ne peut que difficilement fonctionner sur sol boueux, et il faut attendre que les champs sèchent... On y arrivera pas...

Nous passons l'après-midi à Richmond, nous sentant fiévreux et épuisés. Le soir venu, nous hésitons carrément à appeler la boite pour nous faire porter malade et prendre un congé le jour suivant... Nous verrons demain.

Au réveil, il ne pleut pas, et nous décidons vaillamment d'aller travailler, mais à peine sommes nous partis que des gouttes se mettent à tomber... Lorsque nous arrivons dans le champs, nous constatons que nous ne sommes pas les seuls à avoir eu du mal à nous remettre de la journée d'hier : la moitié de l'équipe est absente! La boite à visiblement décidé de nous ménager : aujourd'hui, pas de tapening, nous ramassons des branches et nettoyons les rangées d'arbres.

La pluie s'arrête rapidement, mais tout le monde est sur les rotules. Léonore n'en peut plus s'en va en milieu de matinée avec la bénédiction de notre chef d'équipe, qui abandonne et rentre à son tour chez lui quelques minutes plus tard. Sa remplaçante arrive bientôt, et s'avère être celle qui va nous superviser pendant le planting.

Et voilà le résultat de trois jours de boulot sous la pluie : c'est une hécatombe, plus personne n'est en état de bosser. Le peu d'entre nous qui reste ne fiche rien de la journée. Nous discutons, marchons tranquillement, et de temps à autre ramassons une branche et la jetons au loin.

Le lendemain, Léonore reste à la maison, et je passe une nouvelle journée de ramassage de branches proprement inutile mais qui a le mérite de me reposer un peu.

Le vendredi soir, nous retournons chez Laurent pour passer une dernière soirée ensemble. Notre ami a bien pensé à nous durant les trois derniers jours lorsqu'il observait les trombes de flotte qui tombaient du ciel...

Heureusement que nous passons de bons week ends! Depuis le début de cette histoire, nous rivalisons chaque semaine de créativité pour nous préparer de bons petits plats durant nos jours de repos : sushis, hamburgers, onion rings, tacos, tarte au miel, au poireaux, nouilles sautées aux crevettes, crêpes, pancakes, pad thaï, entre autres délires culinaires du monde. Avec les semaines que nous tirons, notre seule sortie du week end se déroule en quelques heures le samedi matin, le temps de faire les courses avant de nous enfermer dans notre terrier pour manger, dormir et regarder des films. Nous nous délectons de cette inactivité totale!

Nos passages à la bibliothèque de Richmond sont l'occasion pour nous d'envoyer quelques nouvelles en France, de voir un peu ce qui passe dans le monde, et de préparer la fin de notre vadrouille néo-zélandaise (déjà ! Ca passe vite un an tout de même...). Nous réservons ainsi nos billets de ferry pour remonter sur l'île nord. Nous terminons le boulot le 12 septembre, et nous prendrons la mer le 15 en début d'après-midi, ce qui nous laissera quelques jours pour régler nos dernières affaires sur l'île sud.

Et puis la semaine suivante arrive, inéluctable, insurmontable, implacable... mais il va se passer quelque chose qui va changer notre vision du tapening : le mardi, Léonore parvient à exploser la cible en tapant 4600 arbres ! Il s'avère que la compagnie est tombée sur le râble de l'équipe de caning, et que les gars se sont visiblement enfin mis à faire du bon boulot. Les tuteurs sont correctement placés!

Le mercredi, nous attaquons un nouveau bloc, dont les arbres paraissent beaucoup plus fin, tandis que le caning à l'air meilleur que jamais. En même temps, nous nous sommes dis que nous n'allions plus repositionner les tuteurs mal placés. Ce n'est pas notre job, et nous ne voyons pas pourquoi nous perdrions de l'argent pour réparer les boulettes de l'équipe de caning !

Aujourd'hui, nous allons tenter de remplir le contract tous les deux. Je rappelle qu'il est fixé à 3000 pousses attachés dans la journée. Nous nous remplissons les poches de rouleaux de ruban et de boite d'agrafes, préparons des étiquettes d'avances pour marquer nos rangées, huilons nos tapener, et c'est parti.

La plupart des arbres sont tout fins et faciles à redresser, quand ils ne sont pas plantés directement bien droit contre la canne. Comme ils exercent moins de tension une fois redressés, une bague suffit le plus souvent à les maintenir, parfois deux. Et enfin, le caning est bon ! Enfin nous pouvons accélérer. Mine de rien, nous avons acquis un sacré niveau de technique en tapening, que nous pouvons finalement mettre en application ! Nous tapons à une vitesse faramineuse, restant penchés en avançant tout en pressant notre tapener sans interruption.

9 heures plus tard, gémissants, dégoulinants de sueur et couverts de poussière, nous émergeons de nos rangées sous les ovations de nos collègues. Léonore a attaché 5200 arbres, et de mon côté je termine avec un score de 5100. Paf. Sur 8 heures de boulot, ceci représente un arbres attaché toutes les 5 à 6 secondes ! Avec des totaux pareils, nos salaires à tous les deux ont dépassé les 30$ de l'heure pour aujourd'hui.

Nous terminons la journée en morceaux, les cuisses et le dos enflammé, les phalanges craquantes et les genoux flageolants. Nous rentrons fourbus, cassés en deux. Le soir venu, nous arrivons à peine à ouvrir notre bouteille d'eau pour la remplir...

Au matin, toutes nos phalanges claquent quand nous plions les doigts. Bref, nous sommes en parfaites conditions pour tenter de renouveler l'exploit d'hier!

A partir de cet instant, nous allons exploser la cible tous les jours. Le jeudi, nous débarquons dans les champs en pleine tempête. Le ciel est noir, il souffle un vent à décorner les boeufs, mais nous sommes résolus. Le temps pourri n'aidant pas, nous ne tapons "que" 3900 arbres chacun.

Le jour suivant, nous faisons à nouveau exploser les compteurs : Léonore monte à plus de 6000 arbres tapés, tandis que je dépasse à nouveau les 5000. Nous sommes loin, très loin devant nos collègues! A ce train là, l'argent rentre à vitesse grand V, ce qui n'est pas plus mal pour la motivation.

Et ce n'est que le début... Un beau jour, Léonore entre dans la légende de la Ouaïmé en dépassant les 7000 arbres. Elle termine la journée avec un score inhumain de 7200 arbres attachés, ce qui fait grimper son salaire à 40$ de l'heure, pour une moyenne d'un arbre attaché toutes les 4 secondes. De mon côté, mon dos ne me permet pas ce genre d'excentricités, et de toute façon Léo à toujours beaucoup mieux supporté la charge dans ce genre de job que moi. Je finis avec un score confortable de 5000.

Léonore vient de tirer une journée à 320$, soit environ 200 euros. Avec mes heures payées aux alentours de 30$, nous terminons ainsi la journée la plus lucrative de notre vie.

La quasi totalité de la semaine suivante se déroule selon le même schéma. Nous recevons de nouveaux surnom : speedy 1 et speedy 2. Léonore devient une déesse du tapening, un missile que rien n'arrête, une fusée capable de rester penchée et de taper pendant des dizaines de minutes sans se relever.

La fiche de paie atterrit, et nous constatons que la semaine nous a rapporté presque 2000$! Léonore a attaché plus de 27000 arbres en 5 jours, et pour ma part je finis à 24000. A nous deux, en une semaine, nous avons attaché quelque chose comme 12% de la totalité des pommiers produits par la Ouaïmé.

Le tapening se transforme en épreuve d'endurance brutale, d'autant plus que nous explosons les scores tous les jours, mais nous sommes forcément plus motivés. Il faut avouer que voir rentrer près de 500$ quasiment tous les jours à de quoi de faire plaisir! Nous faisons beaucoup d'argent, et nous fracassons toutes nos prévisions les plus optimistes. Parfois, nous rageons d'avoir eu à subir un caning déplorable durant les deux premières semaines. Si seulement nous avions pu tenir ce rythme dès le départ...

Si le décollage de nos score en tapening est extraordinaire pour le compte en banque, il est désastreux pour notre intégrité physique, même si notre corps donne l'impression de s'habituer à la chose. Faites le calcul : il faut presser le tapener deux fois par bague, une pour fixer une portion de ruban, l'autre pour la couper et l'agrafer. Quand Léonore a réalisé son score de 7200, elle a donc pressé cette saleté d'appareil au grand minimum 14400 fois! Sans compter les ratés et les fois où elle a dû mettre plus d'une bague pour attacher une pousse. Résultat, la moitié de nos doigts ont perdu toute sensibilité, et la plupart de nos phalanges ne se plient plus correctement. Elles claquent douloureusement par paliers. Le matin au réveil, le temps que nos articulations chauffent, nous ne pouvons carrément pas serrer le poing!

Bizarrement, c'est mon dos qui me pose le moins de problèmes. Si en fin de journée, je ne peux pas attacher plus de dix arbres d'affilée sans me relever avec un grognement de douleur, une nuit de repos est généralement suffisante pour me remettre d'aplomb.

Enfin bon, nous ne pourrions pas tenir un rythme pareil plus de quelques semaines.

Au fil des jours, le planting, sans cesse repoussé à cause de la pluie et de l'humidité dans les champs, s'est transformé en rêve. C'est devenu une légende, une délivrance chimérique dont nous avons cessé d'espérer la venue depuis belle lurette.

Il est assez amusant de penser qu'il n'y a pas si longtemps, nous nous étions dis que nous aurions démissionné si le tapening avait duré plus d'une semaine et demi... Et cela va faire un mois entier que nous nous y acharnons! Comme quoi...

Et puis un beau jour, ça y est. Nous venons de voir passer quelques jours de beau temps consécutifs, et on nous annonce enfin que nous allons pouvoir attaquer le planting. Un matin, nous terminons une rangée de tapening quand notre chef d'équipe nous appelle enfin, ainsi que les 6 autres élus, pour nous donner rendez-vous dans un autre champs. Punaise, enfin! Avec des soupirs de soulagement, sous les regards envieux de ceux de nos camarades qui restent en tapening, nous laissons tomber nos agrafeuses et massons nos doigts endoloris. C'est fini! En même temps, nous ne pouvons pas nous empêcher de penser qu'à la moindre pluie, nous retournerons taper...

En milieu de matinée, sous un soleil radieux, nous découvrons enfin en quoi consiste la tâche pour laquelle on nous a prolongé notre contrat il y a un mois...

Le planting se réalise à l'aide d'une nouvelle machine infernale, sagement appelé le planteur. Il s'agit d'une espèce de large plate-forme fixée à l'arrière d'un tracteur. Sur la plate-forme se trouve 4 sièges, devant lesquels se trouvent un espace où sont placées les pousses à planter. A côté de chaque siège passe un rail rotatif munit de clips à intervalle réguliers. 4 personnes, parmi lesquelles se trouve Léonore, prennent place sur les sièges, et vont enclencher les pousses dans les clips. La rotation du rail entraînent les clips sous le planteur, où se trouve quatre dispositifs creusant des sillons dans le sol. Une fois la pousse placée dans le sillon, le clip s'ouvre et la libère. La machine permet ainsi de planter 4 lignes à la fois, parfaitement droite grâce au système de guidage GPS du tracteur. Ceux qui placent les pouces doivent être rapide et coordonnés : le rail tourne tout seul, et il faut suivre le rythme des clips sans en rater un.

Le reste de l'équipe, dont je fais partie, passe derrière le planter. Nous disposons d'un stock de pousses et de pelles, et nous comblons les trous lorsque quelqu'un sur le tracteur a raté le passage d'un clip, nous assurons que toutes les pousses sont plantées correctement, commençons et terminons le planting à la main en début et en fin de rangée.

Le cible à atteindre pour réaliser le contract en planting est de 20000 pousses plantées dans la journée, et comme en lifting, c'est le score de toute l'équipe qui est pris en compte.

Comme annoncé, le planting, c'est du velours. Après avoir passé un mois à taper, nous éprouvons littéralement du plaisir à bosser ! Encore une fois, plus le job que nous faisons est pourri, plus il est jouissif de passer sur quelque chose de juste un peu moins mauvais. Le planting, c'est simple, pas fatiguant pour un sous, à peine ennuyeux, et nous pouvons discuter en même temps sans perdre de temps. Il n'est presque pas nécessaire de se presser, et à chaque fois que nous terminons un passage, le temps que le tracteur se repositionne, nous disposons de plusieurs minutes de pause. Bref, c'est le pied !

La responsable du personnel passe nous voir dans la journée et repart très satisfaite. A la pause midi, le soleil brille, une légère brise souffle, et pour la première fois depuis plusieurs semaine, nous sommes heureux : nous en voyons enfin le bout, il ne nous reste que deux semaines et quelque de boulot, et quoi de mieux que de terminer comme ça, avec un petit taf tranquille ?

Et puis ce qui devait arriver arrive : c'est la tuile. Il faut savoir qu'une autre équipe passe derrière nous. Il s'agit de l'équipe d'irrigation, qui installe les tuyaux et tout le système d'arrosage. A la fin de la journée, tout le système tombe en rade, l'eau n'arrive plus, et nous devons arrêter le planting... Il est en effet indispensable d'arroser les jeunes pousses directement après qu'elles aient été plantées. Pas de bol...

Nous sommes censés retourner taper, mais en chemin vers le champs, nous prenons bien soin de rouler doucement, et quand nous arrivons, la journée est finie !

Le vendredi passe comme une lettre à la poste. Doux planting ! Douce récompense après en avoir tant bavé !

Malheureusement, il pleut tout le week end... Avec la dose de flotte qui tombe du ciel, il est évident qu'il va falloir une nouvelle semaine aux champs pour sécher, et que nous allons probablement finir notre contrat ici en tapening. Nous sommes dans un état indescriptible de dégoût, de tristesse, d'impatience, de résignation. Nom d'un chien, nous n'aurons planter que deux jours...

Lorsque le lundi arrive, la première pensée qui nous fuse dans la tête est "plus que deux semaines et demi"!

Et puis nous allons au travail. Léo est en tapening, et je fais du caning dans un champs horrible et plein de cailloux. Nous sommes obligés de travailler en binôme, car vu l'état du champ, il est impossible de planter directement les cannes, il faut au préalable préparer un trou : une personne enfonce une espèce de sonde pointue en métal pour ménager un creux dans les cailloux, la deuxième passe derrière pour planter la canne. Avons-nous vraiment fait du planting ou ne s'agissait-il que d'un beau rêve dont nous venons de nous réveiller pour replonger dans la réalité? Nous avons dépassé le stade de l'énervement depuis un bon moment. Nous sommes vides, nous n'en avons strictement plus rien à faire. Nous n'avons plus qu'une chose dans la tête : la fin. Le départ. Et en même temps, plus nous en approchons, plus les journées, les heures et les minutes semblent s'étirer...

Nous bossons laborieusement durant trois jours. Tapening, caning, tapening, caning... Qu'on en finisse!

Le jeudi, nous travaillons dans un nouveau champs tout aussi pourri que le premier, sauf que cette fois nous n'avons pas le droit d'utiliser les sondes en métal pour préparer les trous. Nous ne saurons jamais pourquoi. Nous devons planter des cannes en bambou à la main dans un sol plein de gadins énormes, et il est impossible de faire du bon travail : soit la cannes n'est enfoncée dans le sol que de quelques centimètres, soit il est seulement possible de la planter du mauvais côté de la pousse... Et parfois il est simplement impossible de la planter!

Juste avant midi, notre chef d'équipe nous annonce que si nous le voulons, nous pouvons rentrer chez nous, mais que si nous voulons rester, il y a du travail à faire... et nous fuyons littéralement le champs de bataille. Nous n'avons plus aucune envie de venir.

Tellement plus envie de venir que nous nous faisons porter malade le lendemain. Pour vous dire à quel point nous n'en pouvons plus! En temps normal, nous venons toujours bosser, et seule une jambe coupée ou une crise de paludisme peut nous faire envisager de nous faire porter pâle. Au point ou nous en sommes aujourd'hui, nous n'avons plus aucun scrupule à nous prendre un week end de trois jours.

Et ils passerons plus que bien ces trois jours! Nous en avions besoin. Quand le lundi arrive, nous sommes à peu près d'attaque pour une dernière semaine et demi! Nous y sommes presque, notre contrat se finit le mardi de la semaine suivante...

Nous retournons dans notre champs, et le ridicule continue : Léonore tape, mais le caning est tellement impossible à faire correctement à cause des pierres que la plupart du temps c'est le tuteur qui se couche sur la pousse... Les consignes officielles sont “faites comme vous pouvez”, ce qui en dit long sur l'utilité de la chose.... C'est pareil de mon côté : j'appelle mon chef pour lui dire que notre boulot ne sert strictement à rien, il me dit que ce n'est pas grave, je dois faire de mon mieux... Un gag, encore et toujours...

Et puis vers 10h, la responsable du personnel débarque. Elle nous annonce que le planting ne va pas reprendre avant un bon moment, et nous explique qu'en gros, la boite n'a plus assez de travail pour occuper efficacement tout le monde. Si nous voulons continuer à bosser tous les jours, nous pouvons, mais elle nous encourage vivement à prendre autant de jour de congé que nous le désirons du moment que nous prévenons! Nous comprenons que les membres de la direction veulent respecter la durée de nos contrats, mais que ça les arrangerait bien s'ils avaient moins de monde à payer!

Nous ne nous faisons pas prier! Nous terminons la journée, puis annonçons à notre chef que nous prenons trois jours, le mardi, le mercredi et le jeudi, pour revenir au prochain jour de beau temps, le vendredi. Il ne nous restera ensuite plus qu'à tirer deux jours, et nous serons libres!

Le soir, nous célébrons l'événement : il ne nous reste plus que trois jours de taf! Nous rêvons du moment où nous allons rendre nos bottes et nos tenues de pluie...

Et un nouveau retournement de situation nous tombe dessus : le lendemain matin, le téléphone sonne, Léonore décroche et sort. Quand elle rentre, je lui trouve un drôle d'air, avec les yeux dans le vague et un sourire béat sur les lèvres... Je lui demande ce qui se passe, et elle me répond d'une voix monocorde que c'était la Ouaïmé qui lui expliquait que cela les arrangerait bien si nous acceptions de mettre fin à notre contrat plus tôt que prévu, parce qu'ils n'ont plus de travail à nous proposer. Léonore a accepté instantanément. Résultat... notre journée d'hier était la dernière, nous avons terminé.

Nous nous posons autour de la table avec un café, nous disant seulement que nous n'aurons pas à revenir le vendredi. Et puis nous réalisons : nous nous regardons, et comprenons que ça y est, c'est terminé. Nous avons terminé notre boulot à la Ouaïmé. Nous avons terminé notre boulot en Nouvelle Zélande. Et nous avons terminé notre dernier boulot du voyage!

En ce jour de gloire, cet appel providentiel met fin à la dernière contrainte du Petit Tour, et vient d'annoncer le début d'un nouvel âge d'or : à partir d'aujourd'hui, d'après nos calculs, nous n'aurons plus à travailler pendant à peu près un an. Nous partons pour une année complète de vacances ininterrompues, et ça commence maintenant!

Nous hurlons de joie et nous sautons dans les bras. C'est fini!!! Punaise que nous sommes fiers... Et il y a de quoi!

Pour ceux que ça intéresse, voici un petit bilan financier de nos deux mois et demi passés à la pépinière :

Nous avons travaillé du 23 juin au 5 septembre, à raison de 5 jours par semaine, soit 53 jours, moins notre journée “d'arrêt maladie”, moins les deux demi-journées qui ont sautées à cause de la pluie, ce qui nous fait un total de 51 jours pour moi, et de 50 pour Léonore qui a pris un jour de repos supplémentaire.

Sur cette durée, nous avons chacun reçu des salaires différents, étant donné que nous étions souvent payé au rendement et que notamment durant le tapening, nous avons souvent effectué des scores différents.

Voici le résultat des courses, en salaire net :

Léonore aura gagné 6817$ (4090 euros), soit 136$ (81 euros) par jour.
De mon côté, 6520$ (3912 euros), soit 127$ (76 euros) par jour.

Au total, à nous deux, nous aurons rentré 13 337$ (8002 euros) net.

Si l'on retire de ce total les dépenses que nous avons effectuées durant ces deux mois et quelques pour vivre et nous loger, au 5 septembre, nous avons mis de côté quelques 8000$ en plus de ce dont nous disposions déjà.

Au final, lorsque nous quittons la Ouaïmé, nous avons environ 9000$ d'économie sur notre compte néo-zélandais. Durant le picking, nous avions déjà renfloué notre compte français pour le remonter à 7000 euros. Il nous reste encore un mois à passer en Nouvelle Zélande, mais même en nous faisant bien plaisir durant ce mois, en ajoutant les fonds qui nous resterons en partant et en comptant la vente de la voiture, nous sommes assurés de quitter le pays et d'atterrir en Amérique du sud avec environ 11 000 euros.

L'objectif était de partir avec 7000 euros. Nous allons partir avec 11 000.

Comme on dit, ça c'est fait. Quand nous achevons nos calculs, nous nous jetons des fleurs par brouettes entières. Nous sommes des maîtres, des dieux, nous sommes trop forts!

Et il nous reste plus d'une semaine de repos avant de remonter sur l'île nord!

Nous nous apercevons bien vite que ces quelques jours de battement supplémentaires étaient nécessaires : nous passons nos journées à la bibliothèque, afin de nous plonger dans la préparation de la dernière étape de notre Petit Tour, l'Amérique du sud et l'Amérique centrale...

Nom de nom, l'Amérique... L'ultime continent. Celui sur lequel s'achèvera notre grande vadrouille. Celui qui nous fait baver depuis tant d'année, et qui se trouve maintenant proche, si proche...

Car oui, comme je le disais, notre session travail en Nouvelle Zélande était la dernière du voyage. Lorsque les économies que nous avons faites ici arriverons à leur terme, l'heure du retour, du vrai retour, sonnera.

Nous voulons garder quelques sous pour notre retour en France, histoire d'avoir le temps de voir venir et de ne pas avoir à nous remettre à bosser sitôt après être rentrés. Nous avons ainsi prévu de passer à peu près 8 mois en Amérique, durée qui pourra être rallongée si nous effectuons quelques petits volontariats et autre woofings.

Nos plans concernant la dernière partie de notre voyage n'ont jamais été particulièrement précis (Comme d'habitude me direz-vous), mais l'Amérique du sud est une contrée qui nous fait briller les yeux depuis des années, et nous comptons bien en profiter au maximum malgré le peu de temps qui nous est imparti. Oui, quand on voyage depuis 4 ans, 8 mois c'est court... Pour l'anecdote, sachez que tandis que nous préparions notre voyage en 2013, nous avons listé les choses que nous ne voulions pas rater en Amérique latine, et lorsque nous avons terminé, nous nous sommes aperçus que pour tout voir, nous allions devoir traverser la totalité des pays du continent...

Il a fallu revoir nos ambitions à la baisse. Grosso modo, nous comptons absolument passer par le Chili, la Bolivie et le Pérou. A côté, nous aimerions également bien faire un tour en Argentine, en Colombie, en Equateur, au Costa Rica, au Mexique et à Cuba. Ca en fait des choses à voir...

Nous nous éparpillons dans tous les sens, trouvant l'inspiration et nous faisant rêver à travers des récits de voyage, des blogs, des guides en tout genre. Lorsque nous rentrons le soir dans notre chaumière, c'est pour parcourir toute la documentation que nous avons récupérer pendant la journée.

Nous nous faisons rêver, et c'est magnifique! Nos recherche sur le Chili nous font particulièrement baver. Ce n'était pas forcément le pays que nous attendions le plus en Amérique, ni celui où nous comptions passer le plus de temps, surtout à cause des prix qui y sont pratiqués. Au départ, nous pensions ne passer que quelques semaines au Chili, mais après quelques jours à admirer les photos de ses nombreux parcs, de ses montagnes, de la célèbre région de la Patagonie, du désert d'Atacama, des rues colorées de Valparaiso, après avoir lu des centaines de lignes sur la beauté de ses étendues, la chaleur de ses habitants et le nombre absolument gigantesque de choses formidables à voir, le premier pays que nous allons traverser sur notre prochain continent devient celui que nous attendons de découvrir avec le plus d'impatience! Et dans quelques semaines nous y serons... En ce qui concerne la durée du séjour, avec tout ce que nous avons mis de côté en plus de ce qui était prévu, la question est réglée. Nous avons de quoi avoir le temps!

Ces quelques jours ravivent en nous la formidable flamme du voyage, qui balaye toutes nos envies de posage. Nous revoilà enfoncer jusqu'au cou dans la préparation frénétique, nous laissant déborder avec plaisir par la masse de choses à faire et à voir, nous délectant du fait de savoir que nous allons partir pour de nouvelles et nombreuses découvertes et aventures formidables. Et nous n'avons rien d'autre à faire que de nous immerger là-dedans avec béatitude!

Qu'est ce que ça fait plaisir... Et en même temps, qu'est ce que nous sommes bien en Nouvelle Zélande! Nous ne voulons pas quitter le pays, nous ne sommes pas pressés de partir, mais nous avons tellement envie d'aller en Amérique. Un vrai bazar pour nos petites têtes...

En vérité, nous ne prévoyons véritablement qu'une seule chose au Chili, parce que nous sommes obligés : le mythique trek du Torres Del Paine, réputé comme l'une des plus belles randonnées du monde. Nous avons tiré le Tour des Annapurnas au Népal, et sous peu nous allons voir si le Torres parvient à lui arriver à la cheville!

Pourquoi sommes nous obligés d'anticiper notre arrivée là-bas? A cause du tourisme de masse et du business qui l'entoure. De nombreux campings et refuges jalonnent les deux itinéraires principaux du Torres del Paine, et si auparavant il était inutile de réserver ses nuits, l'affluence de visiteurs et la saturation permanente des campings pendant la haute saison a conduit le gouvernement chilien à rendre obligatoire les réservations, afin de canaliser la foule qui se presse chaque année sur le légendaire parcours.

Quand nous lisons ça, nous fronçons les sourcils... Déjà, être obligé de poser sa tente à des endroits précis, je le dis souvent, ça ne nous plaît pas beaucoup. Mais nous comprenons sans problème un tel fonctionnement, qui permet de préserver au mieux les espaces naturels. Ce que nous avons un peu plus de mal à avaler, en plus de la promesse de croiser beaucoup de monde sur le trek, ce sont les tarifs pratiqués par les deux compagnies qui gèrent les campings et les refuges.

A savoir que les hébergements sur le Torres sont gérés par un organisme gouvernemental, la CONAF, l'équivalent du Departement Of Conservation au Chili, qui s'occupe de quelques campings gratuits, et par deux compagnies privées, Vertice Patagonia et Fantastico Sur, qui s'occupent de tous les autres.

Et les tarots mis en place par ces deux dernières nous font écarquiller les yeux : quelques 14$ par personne et par nuit au minimum! Et il y a pire : sur certaines aires de camping, il est impossible de prendre seulement un emplacement de tente, on est obligé de prendre le pack emplacement+petit déjeuner à 30 balles!

Le Torres est visiblement devenu une grosse poule aux œufs d'or, et d'entrée de jeu nous sommes plutôt refroidis à l'idée de cautionner un truc pareil.

Mais bon, il faut ce qu'il faut... Léonore se lance courageusement dans le processus de réservation en ligne. Comme je le disais, il est possible de suivre deux itinéraires dans le Torres del Paine : le W, d'une durée de quatre jours, et le O, qui inclut le W avant de se poursuivre sur une boucle. Le O s'effectue en 8 jours, et bien sûr c'est celui-ci que nous désirons faire.

La réservation des campings se fait en ligne et demande une bonne dose de patience et d'organisation : il faut tout d'abord établir ses étapes précisément et les dater, avant de lister les campings sur lesquels on désire passer la nuit. Il faut ensuite vérifier quel organisme gère chacun des campings choisis, la CONAF, Vertice ou Fantastico. Enfin, il faut se rendre sur chacun des sites des organismes pour réserver.

Vous voyez où se trouve la difficulté : on passe une nuit sur un camping géré par la CONAF, les deux suivante sur un camping managé par Fantastico, celle d'après sur un site tenu par Vertice, la suivante chez Fantastico etc... Il est donc nécessaire de bien établir les dates d'arrivée sur chacun des sites pour ne pas se planter dans le processus de reservation.

Léonore s'attèle méticuleusement à la tache, jonglant d'un site à l'autre papier et crayon à la main, et près d'une heure plus tard c'est fait : nous avons réservé toutes nos nuits sur le parcours O. Date de départ : le 26 septembre. Date de fin : le 3 octobre. Nous arrivons au Chili le 7 septembre, et ces dates nous laissent un peu plus de trois semaines pour descendre tranquillement vers le sud du pays et rejoindre Puerto Natales, la ville représentant la porte d'entrée du trek.

Le paiement des réservations avec Fantastico s'effectue directement, tandis que Vertice Patagonia nous envoie un mail nous annonçant que nos réservations ont été prises en compte, et qu'il nous recontacterons plus tard pour régler l'addition.

Tout ça devrait nous coûter une bonne centaine d'euros, sans compter le prix d'entrée du parc... Il a intérêt à envoyer du lourd, ce Torres!

Les préparations de notre vadrouille sud-américaine ne se réalisent pas qu'en ligne : en furetant sur internet, nous tombons sur un message laissé par un couple de voyageurs français qui viennent juste de rejoindre la Nouvelle Zélande après un voyage au Chili, et qui cherchent quelqu'un pour échanger leurs pesos contre des dollars néo-zélandais! Nous les contactons, et ils nous donnent rendez-vous un soir à Nelson pour nous échanger 160 000 pesos contre 300$, nous faisant cadeau au passage d'un léger pourcentage en comparaison du taux de change officiel, et occasionnellement pour boire un verre et papoter voyage. Grâce à eux, nous voilà d'ors et déjà pourvu de monnaie chilienne, ce qui nous évitera la sempiternel recherche d'un bureau de change à notre arrivée à Santiago. Nous nous jetons une nouvelle brouette de fleur en louant notre capacité d'anticipation.

Nous passons également pas mal de temps à fignoler nos dernières semaines en Nouvelle Zélande. Comme dit plus haut, nous rejoindrons l'île nord le 16 septembre dans l'après-midi, et nous devons prendre notre avion pour le Chili à Auckland, le 6 octobre, a 20h. Durant les trois semaines d'intervalle, nous voulons passer différents spots que nous avions zappé en début d'année, irrémédiablement attirés que nous étions par les sirènes de l'île sud.

Je donnerais les détails du programme dans le prochain article.

En plus des visites, quelques rencontres nous attendent. En effet, nous avons eu la surprise d'apprendre que notre cher Paco avait trouvé du travail à une centaine de kilomètres d'Auckland, et il nous a invité à passer le voir avant de partir. De plus, nous avons aussi été contacté par Morgane et Tony, un couple de voyageurs franco-espagnol. Nous nous entre-suivons via nos blogs respectifs depuis environ trois ans, et le hasard a voulu qu'ils se trouvent en ce moment à Wellington, où ils travaillent et louent un appart. Ils nous ont proposé de leur rendre visite à notre arrivée sur l'île nord! Le genre de surprise qui nous fait toujours très plaisir.

Entre ça et l'échange de pesos chiliens, même si nous apprécions être déconnectés, il faut admettre qu'internet, c'est quand même génial!

Avec tout ça, nos derniers jours sur l'île sud passent très vite. Trop vite... Le 14 septembre, nous nettoyons la maison de fond en comble, et passons un dernier moment avec David, notre cher voisin néo-zélandais. Nous profitons une dernière fois de la bibliothèque de Richmond pour poser des annonces afin de vendre la voiture. C'est la dernière formalité qu'il nous reste à régler dans le pays avec notre demande de retour de taxes pour l'année fiscale en cours.

Le 15 au matin, l'heure est venue : la voiture est chargée et nous sommes près au départ. Nous passons rendre les clefs de la maison et nous mettons en route pour traverser une dernière fois les étendues de vignes et de collines de la région de Nelson, avant de dire au revoir à notre cher petit village de Richmond. A Nelson, nous nous arrêtons pour faire un créneau par les bureaux du département de l'Inland Revenu, l'organisme qui s'occupe des déclarations de revenus et des impôts, pour y déposer notre formulaire de demande de retour de taxe pour cause de départ définitif. Pour ceux qui désirent plus d'information à ce sujet, n'hésitez pas à nous contacter. Sachez aussi qu'il existe déjà pas mal d'articles bien écris en anglais et en français qui traitent de la chose.

Nostalgie quand tu nous tiens! Avec une drôle de boule au creux de l'estomac, nous prenons la route de Picton. Sur le trajet, nous sommes silencieux, tandis qu'une pensée envahit lentement notre esprit : nous sommes sur le point de quitter l'île sud de la Nouvelle Zélande.

Deux heures plus tard, c'est sous la pluie que nous arrivons au quai d'embarquement à Picton, à l'endroit même où nous avons débarqué quelques 10 mois plus tôt. Nous nous retrouvons rapidement dans la file de voitures qui grimpent à bord du ferry.

Après avoir posé la voiture, nous montons sur le pont supérieur du bateau pour nous poser face à la côte. Bientôt, les moteurs vrombissent, et nous la regardons s'éloigner lentement, disparaissant petit à petit dans la brume.

En quittant l'île sud, nous avons l'impression de quitter notre terre promise, notre Valhalla, notre paradis de verdure et de nature.

Un joyau qui nous aura tout donné, dont le moindre centimètre carré nous aura fait écarquiller les yeux.

L'île sud de la Nouvelle Zélande est sans conteste la plus belle et grandiose contrée qui nous ait été donne de traverser du point de vue des espaces naturels et des paysages. J'écrivais une fois qu'il nous est arrivé de voir ailleurs des étendues de nature plus belles que tout ce que nous avons vu ici, l'Himalaya en tête, mais jamais, nul part, la beauté du décors n'était aussi omniprésente, aussi permanente et continue. Absolument tous les endroits que nous avons traversé au fil des mois ici n'ont fait que confirmer et renforcer cette idée : l'intégralité de l'île sud de la Nouvelle Zélande est un tableau de maître, remplie de couleurs, de la blancheur des sommets des Alpes du Sud au vert vif des forêts vierges. Des plages d'or de l'Abel Tasman bordées de jungles d'émeraude aux étendues ocres et jaunes du Canterbury, des collines désertiques du nord est aux étendues verdoyantes du sud en passant par les montagnes d'un gris argenté ou d'un vert profond et les vaste plaines de tussock doré, chaque tournant, chaque kilomètre parcouru, chaque pas effectué offre un nouveau et formidable paysage, sublimé par d'étincelantes rivières, des lacs multicolores, un océan qui présente toues les nuances du bleu...

Ba oui, forcément, un truc pareil inspire de belles envolées lyriques! Et il ne mérite pas moins.

Notre voyage en Nouvelle Zélande n'est pas encore terminé, mais tandis que nous nous posons à l'avant du ferry, nous avons la drôle d'impression que c'est pourtant le cas, et les quelques semaines qui nous attendent paraissent n'être qu'une attente du décollage vers l'Amérique du sud.

Une grande page se tourne avec notre départ de l'île sud : la fin du dernier travail, la dernière ligne droite avant le dernier continent du Petit Tour... Nous commençons doucement à nous faire à l'idée que nous sommes sur la fin.

Néanmoins, si notre voyage en Nouvelle Zélande est une totale et éclatante réussite, il nous reste à le conclure dignement. Pour bien parachever le truc. Dans le prochain article, le dernier du pays et de notre Petit Tour en Océanie, en plus de quelques très sympathiques visites, vous allez voir que nous en avons terminé avec le pays des kiwis d'une manière qui se trouve être dans la plus pure tradition de l'année parfaite que nous y avons passé!

A bientôt!

2 commentaires:

  1. Salut !

    J'ai littéralement bu ce pavé. Je commence en nursery d'ici quelques semaines et voulais glaner quelques petites infos... Vous avez ruiné mon forfait ! Ok, ok... j'étais pris dans la lecture j'ai oublié de le couper... Un grand merci, je suis grave motivé par vos aventures ! Je vais devoir savourer d'autres pages et mettre mon bouquin de côté...

    Merci à vous :)

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    1. Salut Damien !

      Du coup ça te fait pas mal d'infos ! J'espère que le récit ne t'a pas trop dégoûté du boulot... Enfin bon, quand on attaque un taf de ce genre, il faut s'attendre à quelques désagréments. On a essayé de tout mettre, le bon et le moins bon, et de plus nous avons réalisé un bon paquet de tâches différentes, ce qui nous a permis de balayer une bonne partie des choses qui se font dans une pépinière.

      RIP pour tes datas, la library peut être une meilleur solution, surtout si tu veux continuer ta lecture du blog. C'est qu'on en a écrit des pages !

      Sinon du coup tu bosses où ?

      Merci à toi, et bon courage dans les champs néo-zélandais !

      Olivier & Léonore

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